[Sortie] Le coffret DAIEI KAIDAN de Roboto Films

Beaucoup ont découvert les films de fantômes japonais avec le célèbre Ring (1998) de Hideo Nakata, phénomène mondial ayant terrorisé bon nombre de spectateurs qui a même eu droit à son remake coréen et ou encore américain. Mais les fantômes aux longs cheveux noirs dans le cinéma japonais sont bien plus anciens et trouvent leurs origines dans un mix entre traditions culturelles, récits folkloriques et esthétique inspirée du théâtre classique. Souvent appelés Yūrei, ces fantômes s’inspirent directement des croyances et des pratiques du Japon d’antan. Ils sont des esprits errants qui, contrairement à leur penchant occidental, ne hantent pas dans l’unique but de terroriser ou de tuer, ils représentent également des troubles émotionnels et spirituels ancrés dans des croyances culturelles spécifiques.

Dans le bouddhisme, les Yūrei ne trouvent la paix que si elles ne sont pas consumées par des émotions négatives telles que le regret, la jalousie ou la colère. Dans le Shintoïsme, ce sont des esprits vengeurs appelés onryō et ils reviennent s’ils ne sont pas vénérés à travers des rituels. Les onryō sont une variante, voire un sous-type des Yūrei, souvent des femmes qui sont injustement mortes ou trahies et qui reviennent tourmenter les vivants. Les Yūrei sont souvent représentés en kimono blanc, symbole de rites funéraires japonais, avec des cheveux noirs longs et défaits car, dans le Japon ancien, quand une femme mourrait, ses cheveux étaient laissés détachés pour ces rites funéraires, une image symbolisant l’abandon ou la libération d’émotions brutes. Leur absence de pieds est également un signe distinctif, les Yūrei flottent, soulignant leur nature éthérée

Les Yūrei sont apparus dès le 14ème siècle dans les arts classiques japonais, à commencer par le théâtre Nô, représentés dans des pièces comme des âmes en quête de résolution, avec l’utilisation de masques très pâles et de lents mouvement stylisés pour représenter le rythme et l’esthétique des apparitions fantomatiques. Au 17ème siècle, le Théâtre Kabuki met lui aussi en scène des histoires de fantômes vengeurs dans des récits appelés kaidan, signifiant « histoires de fantômes » en japonais. C’est à partir de cette époque que les récits de fantômes commencent à devenir très populaires, à travers des récits oraux, des estampes ou des textes écrits, mettant souvent en scène des femmes injustement tuées qui reviennent sous forme d’esprits pour hanter leurs bourreaux. Au 19ème siècle, l’écrivain occidental Lafcadio Hearn collecte et traduit des histoires de fantômes japonais, notamment dans son recueil Kwaidan, permettant à ces mythes de s’inviter petit à petit en occident.

Bien que les amateurs aient plus souvent tendance à citer des films tels que ceux de la saga des Ring, et sa célèbre Sadako aux cheveux longs couvrant son visage, ou des Ju-On, avec son Kayako désarticulé au râle sinistre, les récits classiques de fantômes japonais ont été très tôt adaptés au cinéma. Certains amateurs connaissent sans doute Jigoku (1960) de Nobuo Nakagawa ou encore Kwaidan (1965) de Masaki Kobayashi, mais il y en a bien d’autres qui ont marqués les esprits.

Avec leur coffret DAIEI KAIDAN, l’éditeur français ROTOBO FILMS veut rendre hommage à ces films de fantômes japonais de l’époque classique et nous propose un superbe coffret de trois films, tout récemment restaurés en 4K, dont certains présentés pour la première fois en France. Nous allons ci-dessous vous présenter ledit coffret, mais aussi parler des trois films qui le composent.


Titre : Snow Woman / The Snow Woman / Ghost Story of the Snow Witch / 怪談雪女郎
Année : 1968
Durée : 1h19
Origine : Japon
Genre : Elle a le regard qui tue
Réalisateur : Tokuzō Tanaka
Scénario : Fuji Yahiro

Acteurs : Shiho Fujimura, Machiko Hasegawa, Akira Ishihama, Taketoshi Naitō, Yoshiro Kitahara, Sachiko Murase, Suga Fujio, Mizuho Suzuki, Masao Shimizu, Shinya Saitō

Synopsis : Alors qu’ils font étape durant une tempête de neige, un jeune sculpteur et son maître rencontrent la femme des neiges. L’esprit épargnera le jeune apprenti, à condition qu’il n’évoque à quiconque leur rencontre.

Avis de Cherycok :
Snow Woman s’inspire de la légende de la Femme des Neiges (Yuki-Onna), figure emblématique du folklore japonais dont il s’agit d’une adaptation élargie de la nouvelle Yuki-onna telle qu’elle est apparue dans le recueil Kwaidan : Stories and Studies of Strange Things de Lafcadio Hearn, publié en 1904. Il est mis en scène par le reconnu Tokuzō Tanaka, ancien assistant réalisateur d’Akira Kurosawa sur Rashomon (1950), à la barre de plusieurs opus de la saga Zatoichi tels que The New Tale of Zatoichi (1963) ou Zatoichi The Fugitive (1964). On sent ici un réalisateur expérimenté, qui filme ses paysages enneigés avec une attention toute particulière, des paysages enneigés qui sont quelque part le reflet de la beauté glaciale de la Yuki-Onna. On sent que Tokuzō Tanaka cherche à créer une ambiance onirique, avec ces contrastes forts entre la noirceur de la nuit et la blancheur de la neige, arrivant à rendre certains plans réellement inquiétants, accentuant la puissance des apparitions fantomatiques.

L’esthétique est réellement soignée et le traitement du mythe fidèle, même si au final, Snow Woman est plus une histoire d’amour mélancolique qu’un réel film horrifique avec un fantôme, avec cet amour voué à l’échec entre un humain et un fantôme. L’horreur est malgré tout bien présente, avec parfois même un côté gothique, et tout le travail autour du fantôme, aussi bien son maquillage que son design général, avec son regard terrifiant, que les effets de disparitions sont assez exceptionnels, surtout pour l’époque. Mais il se dégage du film une réelle douceur, même dans les touches de surnaturel. Malgré sa relative lenteur, Tokuzō Tanaka apportant une touche contemplative à l’ensemble, on se laisse bercer par cette mélancolie qui se dégage du film, avec une bande son minimaliste pour laisser de la place au bruit du vent glacial venant accentuer l’atmosphère très particulière de l’ensemble, presque aussi éthérée que le fantôme. L’interprétation du casting est des plus subtiles, en particulier  Shiho Fujimura dans le rôle du Yuki-Onna, à la fois terrifiante, sympathique et romantique, arrivant presque à devenir le personnage le plus humain du film.

Magnifiquement filmé, comportant bon nombre de plans assez mémorables, Snow Woman est un conte de fées horrifique certes prévisible mais vraiment captivant et émouvant, avec un plan final simplement bouleversant.

 

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Titre : Botan Doro / The Bride From Hades / La Lanterne Pivoine / The Peony Lantern / 牡丹燈籠
Année : 1968
Durée : 1h28
Origine : Japon
Genre : Aime moi pour toujours
Réalisateur : Satsuo Yamamoto
Scénario : Satsuo Yamamoto

Acteurs : Miyoko Akaza, Kōjirō Hongō, Hajime Koshikawa, Kō Nishimura, Mayumi Ogawa, Takashi Shimura, Atsumi Uda, Michiko Ōtsuka, Gen Kimura, Shinobu Araki, Shōzō Nanbu, Saburo Date

Synopsis : Durant le festival Obon, fête en l’honneur des ancêtres, le jeune Hagiwara s’éprend de la fille d’un samouraï déchu. Mais la jeune femme cache un destin tragique.

Avis de Cherycok :
Botan Dōrō entre dans la culture japonais au 17ème siècle et est adapté d’une légende chinoise de l’écrivain chinois du 14ème siècle, Qu You. C’est l’une des plus célèbres histoires de fantômes japonais, une histoire à la fois terrible et romantique qui raconte les conséquences qu’entraîne le fait d’aimer un fantôme. Il établit le thème de la rencontre sexuelle entre un vivant et le fantôme d’une femme, cachant sa nature spectrale jusqu’à la révélation finale de l’histoire et désirant simplement un compagnon dans l’au-delà. C’est l’une des premières histoires de fantômes japonais adaptées au cinéma et ce dès 1910 dans une version muette, mais aussi des dizaines d’autres dans les décennies qui ont suivies. Roboto Films nous présente ici la version de 1968 réalisée par le vétéran Satsuo Yamamoto pour les studios Daiei. Le résultat, bien que parfois un peu longuet, est assez saisissant.

A l’instar de Snow Woman, nous sommes plus ici dans une histoire d’amour qu’un vrai film horrifique. Les deux fantômes ne sont pas très effrayants, et bien que le réalisateur les fasse apparaitre à des moments inattendus pour essayer de surprendre le spectateur, ils ne sont pas réellement agressifs. Les subterfuges utilisés pour les rendre éthérés sont visuellement très réussis et les voir flotter dans l’air, sans qu’on voit leur jambes / pieds a quelque chose de très onirique. Il se dégage une réelle puissance émotionnelle lorsqu’elles s’adressent à Shinzaburô et le réalisateur arrive à très bien retranscrire la situation d’urgence dans laquelle elles se trouvent avec la fin du Festival qui approche, ce qui leur fera faire face à une éternité de solitude. L’intrigue de la recherche désespérée de l’amour par ce fantôme est réellement intéressante et clairement ce qui fait la force de Botan Dōrō. L’expérience est également ici très sensorielle, avec sa mise en scène fourmillant de détails et surtout des effets sonores enchanteurs, très travaillés, parfois discret (le bruit de goutte) mais toujours au service de l’image, au service de l’histoire, au service des personnages. Ces personnages sont très travaillés, et il est facile de s’imaginer le passé monstrueux d’Otsuyu, ses souffrances derrière son joli visage plein d’espoir.

Botan Dōrō est un bien beau film seulement entachée par une intrigue secondaire dispensable mais qui n’enlève rien à la puissance émotionnelle de son histoire centrale.

 

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Titre : The Ghost of Yotsuya / Le Fantôme de Yotsuya / Yotsuya Ghost Story / Yotsuya Kaidan / 四谷怪談
Année : 1959
Durée : 1h24
Origine : Japon
Genre : Chanbara horrifique
Réalisateur : Kenji Misumi
Scénario : Fuji Yahiro

Acteurs : Kazuo Hasegawa, Yasuko Nakata, Yōko Uraji, Mieko Kondō, Jōji Tsurumi, Naritoshi Hayashi, Hideo Takamatsu, Chieko Murata, Kōichi Aihara, Shinobu Araki, San’emon Arashi

Synopsis : Samouraï sans maître, Iemon vit avec sa femme dans la pauvreté. Alors qu’un seigneur lui propose de divorcer pour le marier à sa fille, une machination diabolique se met en place.

Avis de Cherycok :
The Ghost of Yotsuya, à ne pas confondre avec le film du même nom, sorti la même année, mais mis en scène par Nobuo Nakagawa, est réalisé par Kenji Misumi, célèbre pour sa saga des Baby Cart et pour avoir mis en images quelques-uns des meilleurs opus de la saga Zatoichi. Le film se base sur la célèbre pièce de théâtre kabuki écrite en 1825 par Nanboku Tsuruya IV, Tōkaidō Yotsuya Kaidan, qui nous conte un récit profondément ancré dans la culture japonaise, une des histoires de fantômes les plus célèbres au Japon au point qu’elle a été adaptée plus de 30 fois au cinéma. The Ghost of Yotsuya suit le destin tragique de Iemon Tamiya, et surtout de sa femme Oiwa qui va subir des tortures physiques et psychologiques avant de trouver la mort et de revenir , en proie au désir de vengeance, hanter ses bourreaux mais aussi son mari avide de pouvoir et d’opportunités. Un film dont le rythme et la construction pourront dérouter mais qui pourtant est une excellente réussite.

Bien qu’il s’agisse d’un de ses premiers films, Kenji Misumi fait déjà ici preuve d’énormément d’audace dans sa mise en scène. Déjà, visuellement, The Ghost of Yotsuya est un pur régal pour les yeux, des décors studios usant de matte painting aux costumes réellement sublimes, dans des cadrages millimétrés où le sens du détail prend toute son importance. Le style visuel de Misumi est très maitrisé, il joue avec les éclairages pour intensifier le surnaturel, ses cadrages se montrent parfois très oppressants, et dès que le fantôme fait son apparition, la palette de couleurs change, se fait plus sombre, avec des ombres qui prennent bien plus d’importance. Le surnaturel n’arrive que dans les 20 dernières minutes, Misumi préférant se concentrer sur le drame historique mâtiné de chanbara qui composent la première heure du film, ce qui lui permet, à travers ses personnages et le patriarcat omniprésent, de faire une critique de la société féodale japonaise de l’époque où les individus se marchaient les uns sur les autres dans une lutte de pouvoir incessante où l’ambition personnelle était omniprésente. Lorsque la tragédie finit par arriver, c’est le karma qui prend le relais et qui va se manifester par le surnaturel, par l’arrivée de ce fantôme vengeur, qui montrera que des actions immorales, des actes cruels et/ou de trahison, mènent forcément à des conséquences tragiques. Bien qu’aujourd’hui, les scènes horrifiques ne suscitent plus réellement la peur tant les fantômes ont été vus et revus au cinéma, elles restent néanmoins inquiétantes et très réussies, comme lorsque cette main sort de ce seau d’eau ou que le visage déformé et abimé de Oiwa fait son apparition dans la pénombre. The Ghost of Yotsuya a beau avoir 65 ans, son final reste toujours aussi oppressant.

Bien qu’il semble un peu déformer le matériau d’origine pour en faire quelque chose de peut-être plus contemporain, Kenji Misumi signe avec The Ghost of Yotsuya un film plus axé sur l’exploration d’un mariage qui commence à s’effondrer sur fond de drame historique que sur le surnaturel pur et dur. Le résultat est très élégant, assez marquant, en particulier dans sa dernière demi-heure.

 

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Ce coffret DAIEI KAIDAN de ROBOTO FILMS est, à l’instar de celui sur Gamera, un indispensable pour qui aime le genre ou a envie de le découvrir. Les trois films qui y sont présentés ont tous été magnifiquement restaurés et, malgré leur âge, ils ne semblent pas avoir pris une ride. Une fois de plus, c’est un sans faute en termes d’édition. Les trois films sont à l’intérieur d’un fourreau en carton rigide de très bonne qualité, chacun a droit à son propre digipack, et l’ensemble est accompagné d’un petit livret de 50 pages richement illustré nous en apprenant un peu plus sur les trois films, mais également sur les fantômes japonais de manière générale.

Niveau bonus, c’est également de bien belles choses qui nous attendent. Outre les bandes annonces originales et celles de Roboto Films, on retrouve des entretiens avec Kiyoshi Kurosawa (Cure, Kairo), Masayuki Ochiai (Spirits, Parasite Eve), ainsi qu’avec Hirochi Takahashi, mangaka auteur de Crows et Burst. Mary Picone, maitresse de conférences à l’EHESS, nous parle également de chacun des trois films, mais aussi des légendes qu’il y a derrière.

Si l’envie de découvrir trois très bons films de fantômes japonais de l’époque classique, vous pouvez acheter le coffret pour 60€ directement sur le site de l’éditeur : Roboto-Films.fr

Je vous laisse avec quelques images du coffret :

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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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