
Le DTV chinois pour les plateformes de SVOD, c’est une vraie jungle, avec plusieurs dizaines de films qui sortent tous les mois, des tonnes d’acteurs, parfois d’anciens du cinéma de Hong Kong qui viennent retrouver une seconde jeunesse, et tout un tas de nouveaux réalisateurs plus ou moins talentueux. Difficile de s’y retrouver et surtout difficile de s’y lancer pour le novice tant l’abondance de films peut faire peur. Alors sur DarkSideReviews, on essaie de vous aiguiller sur ce qu’on a vu nous, avec nos chroniques de films qu’on réunit dans un tableau, histoire de faire un premier tri, mais également en rassemblant les courts avis de Michel Cocteau qui avale du DTV chinois.
Mais il y a des réalisateurs avec qui on est sûr à presque tous les coups de tomber sur de bons films, ou du moins de bons divertissements. Je vous présentais il y a quelques mois Chris Huo, que certains considèrent comme le Michael Bay du DTV chinois. Aujourd’hui, je vais vous faire un portrait d’une autre valeur sûre, le bien nommé Qin Peng-Feng qui signe presque un sans-faute dans en l’espace de 10 films s’étalant entre 2019 et 2024 (à l’heure où ces lignes sont écrites).
Qin Peng-Fei sur un tournage
Qin Peng-Fei est un réalisateur et chorégraphe chinois né le 8 octobre 1985 à Shijiazhuang, dans la province du Hebei. Dès son plus jeune âge, biberonné au cinéma de Hong Kong, il développe une passion pour les arts martiaux et, en 1994, il intègre l’école Yanzhao Wushu dans le district de Wuji pour y perfectionner ses compétences. Très doué, il remporte rapidement le championnat de Wushu du Hebei deux années consécutives et est reconnu pour être un des meilleurs athlètes de la province. En 2000, il rejoint l’équipe de Wushu du Hebei pour devenir professionnel, ce qui va l’amener à représenter la Chine lors de visites amicales à l’étranger.
Mais Qin Peng-Fei a envie de plus, il a envie de rentrer dans l’industrie du cinéma. En 2005, il amorce cette transition et rentre dans l’industrie du cinéma et de la télévision, débutant en tant que cascadeur et coordinateur des cascades. Il a notamment contribué à des films tels que Red Cliff (2008) de John Woo, Out of Inferno (2013) des frères Oxide et Danny Pang, ou God of War (2017) de Gordon Chan pour le cinéma, ainsi qu’à des séries TV telles que Who Sleeps My Bro (2016). Il passe à la réalisation en 2019 et, à partir de là, il sortira des films chaque année, essentiellement des bobines d’action.
Qin Peng-Fei et Sammo Hung sur le tournage de God of War
Le style Qin Peng-Fei est assez reconnaissable. Clairement influencé par Jackie Chan pour l’utilisation de l’environnement dans les scènes d’action, par Donnie Yen et/ou Sammo Hung pour le sérieux martial et l’intensité des combats, mais aussi par le cinéma de Gareth Evans (The Raid 1 et 2) pour la violence sèche et l’énergie que ça dégage, ses chorégraphies se distinguent par une grande fluidité. Qin Peng-Fei privilégie les plans longs afin d’éviter un montage trop cut afin de mettre en valeur les performances physiques et martiales de ses acteurs, avec une caméra très mobile afin d’immerger le spectateur au milieu de l’action. Il insister sur le poids des coups afin que l’ensemble est une grande vraisemblance physique. Son passif de champion de wushu se ressent également puisqu’il intègre parfois des mouvements ou des postures de cet art martial, en mêlant tradition et modernité comme pour rendre hommage à ce cinéma martial de Hong Kong qu’il aime en le remettant au goût du jour.
Venant de la région industrielle du Hebei, Qin Peng-Fei utilise souvent des décors industriels ou urbains (entrepôts, hangars, ruelles, usines, …), du moins dans ses films contemporains, avec souvent des couleurs froides ou désaturées, pour faire ressortir l’énergie brute des affrontements et le sérieux de ses films. Il ne s’attarde que rarement sur les dialogues ou les intrigues complexes, même si ses héros ont souvent un passé lourd avec une quête de rédemption ou de vengeance à la clé, il prône la simplicité et l’action fait souvent partie intégrante de ses histoires.
Qin Peng-Fei et Yasuaki Kurata sur le tournage de God of War
En 2019 donc arrive sur premier film, intitulé Run Amuck, une comédie d’action qu’il coréalise avec Liu Xiao (Raging Flower 2) dont c’est également le premier long métrage. Le film, tourné en même temps que Fat Buddies (2018) avec qui il partage une partie du casting, passe un peu inaperçu malgré des qualités indéniables comme un humour qui fonctionne et des scènes d’action solides. Il amène suffisamment de dimension à ses personnages pour qu’il y ait un minimum de tension. Le film lui permet malgré tout d’avoir un pied à l’étrier et à partir de là, il va enchainer.
Poster promotionnel de Run Amuck
En 2020 sort As God, un film qui pourrait être considéré comme le brouillon du style Qin Peng-Fei. Il s’entoure de deux artistes martiaux, dont Tse Miu qui deviendra un de ses acteurs fétiches par la suite. Bien qu’il soit imparfait, As God inaugure déjà du bon pour la suite de sa carrière, mettant déjà en place son style d’action à mi-chemin entre Hong Kong, la Corée du Sud et l’Indonésie. Bien mis en scène, avec des scènes d’action intenses qui n’oublient pas l’histoire (qui reprend certains éléments de Il Était Une Fois En Chine 2) en chemin, As God est un Sympathique divertissement.
Wang Wen-Jie en mauvaise posture face à Tse Miu dans As God
L’année suivante, il réalisé Fight Against Evil (également appelé North East Police Story), et c’est à partir de là que les amateurs d’action commencent à le considérer comme un réalisateur clairement à suivre. Le classicisme du scénario est ici compensé par un rythme ne fléchissant jamais et une réelle efficacité dans les scènes d’action. Le film permet également à Tse Miu de s’affirmer et de ses faire remarquer des amateurs de tatanes made in Hong Kong tant Qin Peng-Fei lui donne d’excellents combats. Le résultat est hautement divertissant, assez violent et brutal, avec un réalisateur qui semble aimer mettre en scène des bastons dans des espaces exigus, un gimmick qu’on retrouvera dans plusieurs de ses futures réalisations.
Dans Fight Against Evil, la loi, c’est Tse Miu !
En 2022, il se lance dans le film en costumes avec Tears of the Shark : Kunlun Tribulation, basé sur une ancienne légende chinoise. Malgré des chorégraphies de combats sympathiques et des effets spéciaux honnêtes compte tenu du faible budget, le film a beaucoup trop de longueur malgré ses maigres 1h24, l’aspect dramatique étant trop poussé, déséquilibrant complètement ce wu xia pian. Il s’en dégage un certain charme, mais le surjeu du casting vient désacraliser de nombreuses scènes versant trop dans le mélo. Le film ne fonctionne pas sur les plateformes de SVOD chinoises, mais cela ne décourage pas Qin Pei-Feng qui prépare déjà son prochain film.
Image promotionnelle de la jolie Anna Yao dans Tears of the Shark : Kunlun Tribulation
A l’année 2023, Qin Peng-Fei franchit un cap en termes de qualité avec son Fight Against Evil 2, coréalisé avec Yang Bing-Jia (Eye for an Eye 1 et 2), non pas suite mais préquelle de Fight Against Evil, qui va s’avérer assez marquant. L’intrigue est à nouveau classique, mais elle est rondement menée avec un réalisateur qui prend le temps de développer aussi bien son histoire que ses personnages. Les scènes d’action sont très impressionnantes, très inspirées du cinéma du duo Donnie Yen / Wilson Yip période S.P.L, avec des combats plein de fougue et d’énergie créative. Fight Against Evil 2 fait un carton plein, affole les compteurs des plateformes de SVOD chinoises et devient un des films les plus regardées en ligne en 2023 alors qu’il est sorti à la mi-année passée. Même le monde du cinéma a vanté ses louanges avec des acteurs tels que Wu Jing, Donnie Yen, Max Zhang ou encore Wang Baoqiang qui se sont tous exprimés en faveur du film et de son interprète principal Tse Miu. Qin Peng-Fei s’est fait un vrai nom et les projets font affluer comme jamais pour lui.
Tse Miu fait de nouveau parler ses poings dans Fight Against Evil 2
En 2024, tout s’accélère et ce sont pas moins de 5 films qu’il réalise et qui vont agrémenter les plateformes de SVOD toute l’année. Passons rapidement sur Treasure Hunting, sympathique mais oubliable divertissement sur des pilleurs de tombes, thème récurrent dans la SVOD chinoise, pour s’attarder sur The Bodyguard, mélange entre le girls with guns et le kung fu pian féminin. L’histoire est comme souvent simple, mais les scènes d’action de haut niveau. Certes, le film s’essouffle sur ses 20 dernières minutes, le point culminant en termes d’action ayant été attend un peu trop tôt (la baston dans la voiture en train de rouler), mais il n’en demeure pas moins un très bon film d’action dans le haut du panier de ce qui est trouvable sur la plateforme iQiyi. C’est d’autant plus impressionnant que l’actrice principale du film qui tabasse tout le monde, Qu Jing-Jing (The Wandering Earth) n’est pas du tout une artiste martiale.
La belle Qu Jing-Jing en femme d’action dans The Bodyguard
Le diptyque Curbing Violence / Black Storm, deux films qui n’ont rien à voir mais qui ont certaines thématiques, une construction et des acteurs en commun, est de haute volée, deux polars urbains qui, en termes de scènes d’action, mettent à l’amende la quasi-totalité du cinéma d’action mondial actuel. Les bastons sont excellentes, Ashton Chen, dans Black Storm, et Jiang Lu-Xia, dans Curbing Violence, peuvent exprimer tous leurs talents martiaux devant une caméra qui fera tout pour les mettre en valeur. Deux polars d’excellente facture, très violents, très bien mis en scène, qui sont immédiatement rentrés dans le Top 10 des films en ligne les plus lucratifs de 2024, et un Qin Peng-Fei qui affirme son style très reconnaissable et devient clairement un des rois du DTV chinois.
Un trajet mouvementé en ascenseur dans Black storm
Mais le plus gros morceau, c’est sans doute son film de sabre Blade of Fury, spin off de la saga Eye for an Eye de Yang Bing-Jia, dont il a chorégraphié le 2ème film, chorégraphié par Yang Bing-Jia (comme ça la boucle est bouclée), qui a fait l’effet d’une bonne grosse claque dans la gueule chez bon nombre d’amateurs de films d’arts martiaux. Blade of Fury est un wu xia pian dans ce que cela peut avoir de plus pulp, ici aux fortes inspirations mangas. Personnages hauts en couleurs, inventivité de tous les instants, on ressent l’envie de Qin Peng-Fei de proposer un spectacle hautement jouissif pour qui aime le cinéma martial et même le cinéma d’action de manière générale. Les scènes d’action sont folles, jouissives, superbement chorégraphiés, ultra punchy, constamment lisibles, en proposent des mouvements parfois jamais vus avec des combattants souvent très près du sol, effectuant toutes sortes de glissades visuellement hallucinantes comme s’ils flottaient horizontalement au niveau du sol. En termes d’action pure, on est dans ce qui s’est fait de mieux en 2024 non seulement dans le DTV chinois, mais également dans le reste du monde. Une belle petite claque !
Un des nombreux combats complètement fous de Blade of Fury
A l’heure où ces lignes sont écrites, Qin Peng-Fei vient de finir de tourner Wings of Dread, avec Ashton Chen (Blade of Fury, Black Storm) et Iko Uwais (The Raid 1 et 2), un projet qui permettrait à son réalisateur d’étendre l’influence du cinéma d’action chinois sur la scène internationale. En tout cas, il nous tarde de voir ça !
Sa filmographie en tant que réalisateur :
- Tang Dynasty Tour – 2016 (Série)
- Run Amuck – 2019
- As God – 2020
- Fight Against Evil – 2021
- Tears of the Shark : Kunlun Tribulation – 2022
- Fight Against Evil 2 – 2023
- Curbing Violence – 2024
- Black Storm – 2024
- Treasure Hunting – 2024
- Blade of Fury – 2024
- The Bodyguard – 2024
- Wings of Dread – 2025
Vous pouvez également retrouver ci-dessous le podcast que les copains du Raging Fire Club ont consacré au réalisateur Qin Peng-Fei.