[Interview] Sogo Ishii

Né à Fukuoka en 1958, Sogo Ishii (de son vrai nom Toshihiro Ishii) a grandi à Hakata, sur l’île de Kyushu et y a fréquenté les groupes punk-rock qui pullulaient dans la partie nord de l’île à cette époque. Il fonde sa société de production, Crazy Films, alors qu’il est encore étudiant et tourne en 1976 un court métrage expérimental de 15 minutes : Koko Dai Panikku, sur l’assassinat d’un professeur de lycée par un élève. Le sujet suscite l’intérêt de la célèbre firme Nikkatsu qui lui propose début 1978 d’en réaliser un remake avec l’aide de Yukihiro Sawada.
Cultivant l’agression visuelle et la marginalité underground, il devient une icône de la scène alternative. Son premier succès commercial au Japon est Crazy Thunder Road, un film de motards suffisamment efficace et plastiquement réussi pour que la Toei le fasse gonfler en 35mm et le distribue. Burst City et Crazy Family viennent confirmer son statut de réalisateur culte, mais aussi sa reconnaissance internationale. Il fonde à la même époque un quartet nommé Mach 1.67 et tourne régulièrement des documentaires sur des groupes musicaux industriels.
Soucieux de faire exploser les conventions narratives, il chercher à combiner verve expérimentale contestataire et vision opératique du cinéma. Gojoe, fruit de cette maturation, est un échec commercial sans appel. Sogo Ishii décide alors de revenir à ses premiers amours : le cinéma indépendant survolté et signe coup sur coup deux moyens métrages flamboyants (Electric Dragon 80,000 V et Dead End Run).
Son dernier film est une commande du festival de Cheonju en Corée du Sud et a été tourné en Haute Définition.


– J’aimerais que vous nous parliez un peu de votre premier court-métrage :  » Panic in High School  » qui a poussé la Nikkatsu à vous engager pour tourner le remake. L’histoire est la même que le long métrage mais avec une cavale écourtée ?

Le court-métrage dure 15 minutes. C’est l’histoire d’un jeune garçon qui tue son professeur et qui prend la fuite. Le reste du court métrage tourne donc autour de la bataille entre ce lycéen et les policiers. Dans la version de la Nikkatsu, il y a beaucoup d’autres personnages secondaires et également des flash-back pour montrer comment le personnage principal en est arrivé là, ce que je ne voulais pas faire. Dans le court métrage, le lycéen tue le professeur sans raison, je ne voulais pas donner d’explication mais la Nikkatsu m’a obligé à le faire pour la réalisation du long métrage. J’ai beaucoup souffert du manque de liberté sur le film, c’est pour cette raison que je me suis dit que je ne retravaillerais plus jamais avec un grand studio par la suite.


– D’ailleurs le nom du lycée dans le film est le nom de l’île où vous avez grandi, l’île de Kyushu.

Le tournage a eu lieu non pas à Kyushu mais à Tokyo, c’est pour cela que j’ai nommé le Lycée Kyushu pour me remémorer les souvenirs de ma jeunesse. D’ailleurs la langue qu’on entend dans le film est un dialecte de la ville de Kyushu.


– J’aurais aimé que vous nous éclairiez un peu sur  » Burst City  » parce que la version diffusé au festival n’est pas du tout la même que celle que j’ai eu l’occasion de voir sur Laser Disc qui dure plus de 2 heures.

(Rires) La version de deux heures que vous avez vue est un film inachevé. Comme la date de sortie du film avait été fixée à l’avance et que je n’étais pas dans les délais, j’ai été obligé de livrer un montage inachevé du film dont je ne suis pas satisfait. Aujourd’hui la Toei refuse de louer ou prêter des copies du film pour l’étranger, c’est pour cela qu’à chaque fois que nous projetons le film sous forme de performance, je remixe systématiquement le film et la bande son à chaque projection. Ainsi le montage n’est jamais le même et change selon mon humeur.


– Comment s’est passé le tournage, car il y a beaucoup de punks et de motards dans le film. Cela n’a pas du être facile à gérer ?

A vrai dire j’ai utilisé des vrais motards dans  » Crazy Thunder Road  » mais pas dans  » Burst City « . Dans  » Burst City « , ce sont des groupes de musiques et leurs fans qui ont joué dans le film.


– En ce qui concerne  » Shuffle « , comment s’est passé la rencontre avec Otomo après le tournage du film, n’a-t-il pas rechigné car vous aviez utilisé son manga pour le matériel original de votre film ?

Je ne connaissais absolument pas Otomo-San, je ne l’avais pas rencontré avant de tourner le film.  » Shuffle  » est une œuvre qu’il a dessinée au début de sa carrière quand il était très peu connu. A l’époque, moi aussi, j’étais jeune et comme je n’avais peur de rien j’ai tourné le film sans autorisation. Le titre original du manga était  » Run « . Pour diffuser le film j’ai été obligé d’aller lui demander l’autorisation et c’est là que je l’ai rencontré. Il a beaucoup aimé mon film et il a même été question par la suite qu’il écrive un scénario pour un de mes films mais ce projet ne s’est finalement jamais concrétisé.


– Au début du film, le héros se rase la tête en se préparant pour le meurtre du Yakusa qui exploite sa copine, c’est un geste que l’on peut associer à la culture Punk ou alors c’est tout simplement un hommage au personnage de Robert De Niro dans  » Taxi Driver  » ?

C’est tout simplement parce que c’était dans l’œuvre originale de Otomo-San donc c’est plutôt à lui qu’il faut poser la question (rire). Moi-même, j’aime beaucoup  » Taxi Driver  » donc peut être qu’Otomo-san a été influencé par le film pour cette cérémonie. Par contre toujours dans la même scène, le personnage s’enroule le ventre avec du tissu et met des magazines à l’intérieur, ça ce n’était pas dans le manga original, c’était mon idée car j’ai pensé que si ce personnage existait vraiment il utiliserait ce rituel pratiqué par les Yakuza, enfin les Yakuza de deuxième catégorie. C’est un rituel que pratique ce genre de Yakuza avant d’aller se battre.


– Quand on voit  » Angel Dust « , on a du mal à reconnaître le style si énergique de vos débuts, pourquoi ce changement radical, est-ce que votre pause cinématographie de 10 ans en est la cause ?

Mes premiers films font partie de ce que j’appelle ma période Punk et c’est à cause d’eux qu’aujourd’hui encore je suis considéré comme un  » réalisateur Punk « . Après  » Crazy Family « , la situation était difficile au Japon et bien que le film ait bien marché à l’étranger, il n’était pas très connu au Japon. Je travaillais déjà sur le scénario de  » Gojoe « , mais je n’ai pas trouvé de fonds pour le produire et les investisseurs n’avaient plus confiance en moi. Pendant ces 10 ans, j’avais vraiment envie de tourner un long métrage mais je n’ai pu faire que quatre court-métrages. C’est pour cette raison que quand j’ai enfin trouvé des investisseurs pour produire  » Angel Dust « , j’ai été obligé de faire quelques concessions avec l’intégration du personnage féminin et de l’histoire d’amour, ce que je n’aurais jamais fait quelques années auparavant.


– J’aimerais passer maintenant au  » Labyrinthe des rêves  » (Yume No Ginga), histoire tirée d’une nouvelle originale de Kyusaku Yumeno. Dans la nouvelle, l’héroïne Tomiko tombe enceinte de l’assassin et se suicide, alors que dans votre film vous avez décidé de vous arrêter avant, pourquoi ce choix ?

Ca vient sûrement de mes goûts personnels, c’est vrai que c’est différent de l’œuvre originale avec une fin où Tomiko ne se suicide pas. Je pense que cela vient de mon attitude envers le cinéma, j’essaie toujours de faire des films qui ouvrent la voie et laissent une ouverture plutôt que des films qui terminent quelque chose, qui sont une fin. Le thème principal du film, c’est la force de vie des femmes, c’est une interprétation différente de l’œuvre principale. Dans mon film, cette femme est poursuivie par l’assassin et finit par le tuer mais elle va survivre. C’est ma façon de montrer la force des femmes mais aussi peut être aussi ma peur envers les femmes. Si j’avais terminé le film par le suicide de Tomiko comme dans le livre, je n’aurais pas pu faire ressortir mon thème principal.


– « Gojoe » est un film qui semble vous tenir très à cœur, pouvez-vous nous parler un peu du tournage et de la manière dont vous avez imaginé les combats ?

On a tourné une grande partie du film dans une forêt du nord du Japon qui était magnifique même si la chaleur était difficilement supportable pour les acteurs avec leurs costumes. Pour les combats, en plus de Hirofumi Nakase qui est un des disciples de Mifune Toshiro, j’ai engagé un chorégraphe Chinois ce qui n’était pas courant dans le cinéma Japonais à l’époque, ainsi j’ai pu donner un style vraiment unique aux combats du film. De plus les acteurs avaient une certaine expérience du Chambara, Asano avait tourné dans  » Tabou  » d’Oshima-san et Daisuke Ryu lui avait joué dans plusieurs films de Kurosawa Akira. Cependant ils ont tout de même eu une grosse préparation plusieurs mois avant le tournage pour pouvoir réaliser mes exigences et celles des chorégraphes aux niveaux des combats.


– Dans  » Electric Dragon 80,000 V « , lors du combat final, on voit Tadanobu Asano effectuer des gestes similaires à ceux de Bruce Lee, est-ce un simple petit clin d’oeil au personnage du Dragon ou alors est-ce que vous avez une véritable admiration pour Bruce Lee ?

(Rires) Les deux, en fait Bruce Lee est un de mes acteurs préférés, s’il était encore vivant j’aurais aimé tourner avec lui (rires).


-. Quand j’ai vu  » Angel Dust  » et  » Electric Dragon « , je me suis demandé comment vous faisiez pour tourner dans une ville aussi peuplée que Tokyo sans être dérangé, je pense notamment aux scènes du métro ou à coté du Tokyo Dome dans Angel Dust, et la scène où Tadanobu Asano joue de la guitare dans la rue dans Electric Dragon.

A vrai dire, on a tourné ça à l’arraché. A Tokyo il est très difficile d’obtenir une autorisation alors on a tourné ça sans autorisation (rire). L’équipe déteste ce genre de tournage (rire).


– Vous avez l’air attaché à l’acteur Tadanobu Asano qui joue également dans votre groupe et qui est vraiment l’acteur en vogue au Japon aussi bien dans le cinéma indépendant que commercial, comment s’est passée votre première rencontre ?

J’ai rencontré Asano lors de l’audition du film  » August in the Water « . Je n’ai pas pu le prendre pour le rôle principal car il était déjà trop vieux, il n’était plus lycéen. Malgré tout, je l’ai trouvé absolument formidable en tant qu’acteur et c’est pour ça que j’ai tenu à travailler avec lui lors de mon film suivant :  » le labyrinthe des rêves « .


– Que pensez-vous aujourd’hui de la DV qui permet à de jeunes réalisateurs de pouvoir réaliser des films à moindre coût ? Si ça avait existé à l’époque, peut être que vous vous en seriez servi ?

Oui, bien sûr, si la DV avait existé à l’époque je l’aurais sans aucun doute utilisée. Mon dernier film a d’ailleurs été tourné en DV.


– Que pensez-vous des réalisateurs Japonais d’aujourd’hui ? Vous vous retrouvez plus dans un cinéma du style Takashi Miike, Kyoshi Kurosawa ou peut être un autre réalisateur ?

Je ne me retrouve pas particulièrement dans les films des autres réalisateurs, mais j’aime bien les films de Kurosawa (Kyoshi). En réalité je suis assez indifférent au travail des autres mais par contre je fais très attention à ce qui se passe dans le milieu des mangas.


– Et qu’aimez-vous comme style de manga, plutôt du Shônen comme on en trouve beaucoup aujourd’hui ou alors des séries un peu plus adulte ?

J’aime particulièrement un type de manga qui arrive à faire ce que le cinéma Japonais n’arrive pas à faire aujourd’hui, comme les oeuvres d’Urasawa Naoki ou Inoue Takehiko. Ce sont des auteurs avec beaucoup de talent.


– J’aimerais que vous nous parliez un peu de votre dernier film Kyoshin : Mirrored Mind.

C’est le film dont je vous ai parlé précédemment tourné en DV. Je me suis occupé moi-même de la production et du tournage du film. De la construction du projet jusqu’au final, on a tout fait à deux. L’équipe de tournage était très restreinte. Il y avait plus d’acteurs sur le plateau que de techniciens de l’équipe de réalisation. C’est un tout petit film, au contenu assez modeste et une ambiance très calme. Je me suis bien amusé en tournant ce film, j’étais très libre.


– Aujourd’hui, vous avez l’occasion de revoir beaucoup de vos films, quel regard portez-vous sur votre carrière passée ?

J’ai tout simplement honte (rires). C’est pour ça que je ne reste jamais dans la salle (rires).


– Quels sont vos prochains projets cinématographiques ?

J’ai quatre projets sur lesquels je travaille depuis  » GoJoe « . Il y a un film de Science Fiction, un thriller, un film d’action et un film sur la nature très particulier qui demande un tournage à l’étranger. Ce sont des films qui coûtent beaucoup plus cher que mes films précédents, c’est la raison pour laquelle leur concrétisation prend beaucoup de temps, je dois réunir des capitaux à l’étranger.


Nous Remercions Sogo Ishii pour son amabilité et sa disponibilité.

Propos recueillis par Tavantzis Nicolas (Ryô Saeba), Septembre 2004.

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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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