Nawapol Thamrongrattanarit est un cinéaste d’avant garde thaïlandais, réalisateur, scénariste, producteur et critique. Admirateur de Jean-Luc Godard, il invente un cinéma expérimental à l’instar d’un Michel Gondry et à la manière de l’Oucipo. Son style documentaire laconique, où se ressent la prééminence de Wong Kar-wai, traduit le désarroi face au vide d’une jeunesse « 2.0 » sans rapport avec la société traditionnelle des adultes et le temps linéaire de celle-ci.
A l’occasion de la sortie sur Netflix de son dernier film Fast & Feel Love, il a eu la gentillesse de nous accorder une interview.
The interview is available in English below the French translation
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaitraient pas ?
NT : Bonjour, je m’appelle Nawapol. Cinéaste thaïlandais qui a réalisé huit longs métrages.
Le public français a pu vous découvrir grâce à l’arrivée sur Netflix France de votre dernier film, Fast & Feel Love, comment vous est venue l’idée de ce film et pourquoi avoir choisi le sport stacking ?
NT : Je voulais faire un film de super-héros car quand je regarde des films Marvel / DC, je me demande parfois s’ils sont nés pour se battre contre les méchants ou pour accomplir une mission périlleuse dans le multiverse. Ils ne font rien d’autres dans la vie ? Je suis curieux de savoir à quoi ils ressemblent pendant leur temps libre, s’ils font le ménage ou s’ils s’occupent des impôts chaque année. Quand ce super-héros a la trentaine, il doit avoir tout un tas de choses à faire dans la vie réelle plutôt que de se battre contre des méchants. C’est ce concept que j’ai voulu raconter en mode comédie.
C’est alors que le sport stacking m’est venu à l’exprit. Les sportifs qui font du stacking ont une capacité spéciale quand ils font du stacking à une vitesse incroyable. Ils doivent battre leur concurrent qu’ils considèrent comme le méchant. Ils ont l’impression d’être des super-héros dans la vraie vie. Je pense donc que c’est amusant de raconter l’histoire d’un stacker professionnel dans l’atmosphère d’un film de super-héros.
Bien que ce soit une comédie romantique avec pour toile de fond le difficile passage à l’âge adulte, Fast & Feel Love est souvent monté comme un film d’action, pourquoi avoir choisi ce procédé ?
NT : Parce quand vous êtes en train de faire ou de gagner quelque chose de façon très sérieuse, cela peut devenir aussi intense que Tom Cruise dans tous ces films. Quand vous êtes très pressé et que vous êtes dans un embouteillage un vendredi soir, ça pourrait être une grande scène dans Mission Impossible. Donc le style film d’action convient au montage du film.
Le jeu d’acteur de Nat Kitcharit et de Urassaya Sperbund semble très naturel, ils semblent également très complices, comment s’est passé le tournage du film avec eux ? Se connaissaient-ils avant ?
NT : Ils ne s’étaient jamais rencontrés. Mais nous avons beaucoup d’ateliers (qui sont surtout des ateliers en ligne via Zoom car la pré-production était assez compliquée en période de Covid) et étonnamment, quand le tournage a commencé, ils s’entendaient si bien que je me suis senti chanceux. Parce que dans les médias, les gens pensent que Nat est un homme sérieux et calme comme dans son film précédent et que Urassaya est une fille jolie et mignonne. Mais depuis que je les connais mieux personnellement, je vois que Nat est drôle et absurde comme Kao et Urassaya est sérieuse comme Jay (ndlr : Kao et Jay sont leurs personnages dans le film).
Les seconds rôles sont assez mémorables, à l’instar du personnage de Anusara Korsamphan. Etait-ce pour vous important de développer des personnages secondaires très travaillés afin de renforcer le récit ?
NT : Ce film parle du pouvoir des gens qui nous supportent et qui sont importants dans notre vie. Mes personnages secondaires sont donc comme mes personnages principaux. Je développe soigneusement ces personnages pour mettre en valeur le thème du film.
Au début du film, le temps d’une scène, une conseillère scolaire tente d’écraser les rêves des élèves qui se présentent à elle. Est-ce difficile en Thaïlande aujourd’hui pour un adolescent ou un jeune adulte de se projeter sur l’avenir ?
NT : C’est mieux mais pas suffisant. Ce type de professeur dans le film existe toujours dans la société thaïlandaise. Mais aujourd’hui, les jeunes ont trouvé leur propre voie grâce à Internet, aux médias, aux réseaux sociaux et autres. Ils sont plus confiants. Mais vous savez, ils sont toujours dans un environnement où il n’y a pas de soutien. Ils doivent y arriver par eux-mêmes. (Milli, le personnage de l’étudiant qui rêve de devenir rappeur de renommée mondiale, est en réalité un vrai rappeur. Peu de temps après la sortie du film, elle a été signée par le label 88Rising et a donné un grand concert à Coachella cette année.)
On dit que votre cinéma est influencé par des gens tels que Michel Gondry ou encore Wong Kar-Wai, pourriez-vous nous en dire plus sur votre cinéphilie ? Il parait d’ailleurs que vous êtes un admirateur de Jean-Luc Godard qui nous a quitté récemment, comment avez-vous accueilli cette triste nouvelle ?
NT : Pour moi, le cinéma est un outil, une machine, un jouet, une collection de scènes. J’ai grandi avec les films d’Apichatpong, le cinéma iranien (Abbas, Mohsen Makhmalbaf, Jafar Panahi), les films de Godard, Cours Lola Cours. Ces films jouent avec la structure du film, la fiction/non-fiction, l’aliénation du public, le cirque du son et de l’image. J’adore ça. / D’un autre côté, j’aime aussi les films narratifs. Je peux apprécier les films grand public. J’aime Spielberg et Mike Mills à la fois. Quand j’étais jeune, je regardais un large éventail de film, pour trouver ce qui me plaisait vraiment, puis pour mixer tout ça et le transformer en mon propre goût.
Pour Godard, c’est une nouvelle mais pas triste. Pour moi, Godard est au-delà du cinéaste. Il est une philosophie. Et la philosophie dure longtemps. Elle est sans âge.
Bien que vous ayez réalisé de nombreux courts métrages, le public vous a découvert avec votre premier film, 36, qui a été sacré au Festival de Busan, comment vit-on cette notoriété que peut apporter ce genre de prix ?
NT : 36 a illuminé mon année 2012. Mais c’est tout. Pour moi, gagner un prix ne fait que vous présenter au public. Le seul avantage est que lorsque vous avez un nouveau film, vous n’avez plus besoin de vous présenter. Vous avez déjà des amis. Ils sont prêts à regarder votre prochain film. Mais quand je commence un nouveau projet, tout est remis à zéro. Le succès du passé est resté en 2012. Un nouveau projet appelle de nouvelles idées. Le succès ne peut pas vous aider pour tout.
Oh, une autre bonne quand on gagne des prix, c’est que ça me conduit dans de nouveaux endroits et vers de nouvelles personnes. Une bonne occasion d’en apprendre sur la vie.
Quel(s) film(s) de votre filmographie pourriez-vous conseiller au public qui a apprécié Fast & Feel Love ?
NT : Peut-être Heart Attack (ndlr : sorti en 2015). Il est un peu du même style.
Pourriez-vous nous parler de vos futurs projets ?
NT : Probablement mettre un pied dans le petit monde des séries.
Je vous remercie sincèrement pour le temps que vous nous avez accordé. Je vous laisse le dernier mot.
NT : Non. (Il se met à parler en français) « Merci beaucoup. Je suis très heureux » (j’ai étudié le français pendant trois ans au lycée mais j’ai presque tout oublié. « Maintenant je ne peux pas parler français ! »)
Nawapol Thamrongrattanarit is a Thai avant-garde filmmaker, director, scriptwriter, producer and critic. An admirer of Jean-Luc Godard, he invents an experimental cinema like Michel Gondry and in the manner of Oucipo. His laconic documentary style, in which the preeminence of Wong Kar-wai is felt, translates the disarray in front of the emptiness of a youth « 2.0 » without relationship with the traditional society of adults and the linear time of this one.
On the occasion of the release on Netflix of his latest film Fast & Feel Love, he was kind enough to grant us an interview.
Could you introduce yourself for our readers who don’t know you ?
NT : Hi, I’m Nawapol. Thai Filmmaker with 8 feature films.
The French audience was able to discover you thanks to the arrival of your last movie on Netflix, Fast & Feel Love. How did the idea of the movie come to you and why choosing sport stacking?
NT : I wanna make a superhero film because when I watch these marvel/dc films , I sometimes wonder if they are born to fight with villains or complete the deathly multiverse mission ? They don’t have any other side of life? I’m curious how they look like in their free time, if they need to do housework or who does the tax paper for them every year. When that superhero is in his 30s, he must have more things to do in real life than fighting with villains. So this is the concept which I want tell it in comedy mode.
So that’s when sport stacking comes to my mind. Sport stackers kinda have a special ability when they stack with incredible speed. They have to beat their competitor as villain. So it feels like they are a superhero in real life. So I think it’s fun to tell about the sport stacker in the atmosphere of superhero movie.
Even if it’s a romantic comedy using the classic coming out of age idea, Fast & Feel Love is edited like an action flick. Why did you choose to do that?
NT : Because when you are super seriously doing or winning something , you could become intense as angry tom cruise in every of his film. When you are in badly hurry, your friday night traffic jam could be a big scene in mission impossible. So the action flick style fits this film editing.
Nat Kitcharit and Urassaya Sperbund seem both natural on screen, there seem to be a real chemistry between them. How was the shooting with them? Did they know each other before?
NT : They never meet each other. But we have a lot of workshop. (Which is mostly online workshop via Zoom because Covid situation is pretty bad during our pre-production period.) but surprisingly, when the shoot begins, they get along so well that I feel lucky. It seems like I chose the right cast. Because in media, people think Nat is serious and quiet man according to his previous film and Urassaya is pretty and cute girl. But when I know them personally more and more. Nat is funny and absurd as Kao and Urassaya is serious as Jay.
The other characters are quite memorable, like the character played by Anusara Korsamphan. Was it important for you to develop all those other characters to strengthen the story?
NT : This film is all about the power of supporters which is important to your life. So my supporting characters are like my main characters. I neatly develop these character to emphasize the theme.
Near the beginning of the film, for one scene, a school counsellor tries to crush the dream of the students in front of her. Is it hard nowadays for a teenager or a young adult in Thaïland to see themselves into the future?
NT : it’s better but not good enough. Those kind of teacher in the film still exist in Thai society. But nowadays, young people found their own way through internet , social media , global media and more. They are more confident. But you know, they are still in the environment where has no support. So they have to struggle by themselves. (Milli, the student character who has a dream to be a world renowned rapper, in real life is a real rapper. And shortly after the film release, she got signed with 88rising label and has a big show at Coachella this year)
People say your cinema is influenced by people like Michel Gondry or Wong Kar-Wai. Could you tell us more about your own taste in movies? I heard you were an admirer of Jean-Luc Godard who passed away recently, how did you react to this sad news?
NT : To me , cinema is a tool , a machine , a toy , a collection of scenes. I grew up with the film by apichatpong , Iranian cinema (Abbas , Mohsen Makhmalbaf , jafar panahi) , godard film , run lola run. These movies always play with film structure, fiction/non-fiction, alienating the audience , circus of sound and image. I love that. / in another way , I also love the narrative film. I can enjoy those mainstream movies. I love Spielberg and mike mills at once. When I was young. My film watching is quite broad, to find the specific taste I really love and to mix them and transforming into my own taste.
For Godard, it’s news but not sad. To me, Godard is beyond filmmaker. He’s a philosophy. And the philosophy last long. Ageless.
Even if you directed quite a few short films, the audience really discovered you with your first feature film, 36, at the Busan film festival, where it won several prizes. How did you live this notoriety and what did it bring to you?
NT : 36 gives me the brilliant year 2012. And that’s it. To me, Winning award just only introduce you to the audience. Its only advantage is when you have a new film, you don’t need to introduce yourself anymore. You got friends already. They are ready to watch your next film. But when I start a new project. It’s all reset. The success in the past is left in 2012. The new project calls for new ideas. The success can’t help you at all.
Oh another good thing about winning prizes is it leads me to many new places and new people. Good opportunity to learn life.
What other films of your own would you recommend to people who enjoyed Fast & Feel Love?
NT : Maybe Heart Attack . It shares the same style of my working.
Can you tell us about your future projects?
NT : Probably stepping into the limited series world.
Thank you so much for your time. Anything you would like to add?
NT : Nope. Merci beaucoup. Je suis très heureux (i ever studied french for three years in high school but now almost forgot all. Maintenant je ne peux pas parler français ! )