[Interview] Jude Poyer

Jude Poyer a débuté sa carrière d’acteur et cascadeur à Hong Kong en 1996. Fan de cinéma et en particulier de film d’action, il a pris des cours de comédie et d’arts martiaux depuis de longues années avant de quitter Londres, sa ville natale, afin de s’installer à Hong Kong. Depuis, il a travaillé avec des nom connus de l’industrie cinématographique hongkongaise qu’il admirait quelques années auparavant. Vous avez pu le voir entre autre affronter Chiu Man Cheunk dans Fist Power ou encore Yuen Biao dans A Man Called Hero. Jude est aussi membre de la Hong Kong Stuntmen’s Association, chose assez rare pour un étranger.


– Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’industrie du film de Hong Kong ?

J’ai toujours été un amateur de films. Même quand j’étais très jeune. J’ai regardé énormément de vidéos. Vers l’âge de huit ans, j’ai découvert les arts martiaux et le métier d’acteur, deux grandes passions. Au fur et à mesure que je grandissais, j’ai regardé de plus en plus de films d’action et de films hongkongais, et j’ai développé un réel amour pour eux. Je m’entraînais aux arts martiaux et prenais également des cours d’interprétation. En tant qu’adolescent, je savais que je voulais faire carrière dans le cinéma. J’aurais pu choisir d’aller dans une école d’art dramatique ou une école de cinéma, mais finalement j’ai pensé qu’aller à Hong-Kong et essayer de trouver un boulot et un apprentissage sur les tournages (être payé et gagner de l’expérience en même temps), était la meilleure voie pour moi.


– Pouvez vous nous relater votre parcours martial et les styles que vous avez appris ?

J’ai fait un peu de judo, puis je suis passé au karaté shotokan, le style où j’ai appris toutes mes bases. Les années passant, j’ai été formé ou parfois juste touché au wu shu, taekwondo, à la boxe et d’autres styles… Je me suis entraîné et j’ai enseigné avec des adeptes du kempo et des pratiquants du Cheung Kune. J’ai donc été exposé à pas mal de styles. Je devrais ajouter, cependant, que pour moi, l’intérêt a toujours été plus pour l' »art » que pour le côté martial. J’aime les performances et la beauté des mouvements. Apprendre à me défendre ou à blesser les autres n’ont jamais été des priorités pour moi.


– Avez-vous souffert de discrimination de la part des habitants locaux à cause de vos origines étrangères ?

La discrimination existe dans le monde entier. Avec le temps, les gens travaillant dans le monde du cinéma à Hong-Kong ont appris à me connaître, à savoir ce que je suis vraiment en tant que personne, ce que je peux et ne peux pas faire au niveau des performances, et ont regardé au-delà de la couleur de ma peau et de mes yeux ronds. Si les gens avaient été vraiment racistes, je ne pense pas que j’aurais vécu et travaillé à Hong-Kong pendant huit ans, fait autant de films, et ne me serais probablement pas marié avec une chinoise de Hong-Kong !


– Que pensez-vous des opportunités de travail pour un étranger dans le cinéma HK ? Est-ce que votre connaissance du cantonais vous a aidé à élargir vos choix de travail ?

Actuellement, les choses ne se passent pas très bien pour la plupart des acteurs à Hong-Kong. Le nombre de films se réduit, et le nombre de jours de tournage n’est pas énorme non plus. Les rôles pour les Occidentaux sont d’habitude plus nombreux dans les films d’action, et peu d’entre eux sont encore faits à Hong-Kong. C’est triste. J’ai eu pas mal de chance de pouvoir travailler à la télévision et dans des publicités, pas seulement pour de l’action, mais également pour « jouer ».
Bien sûr, la palette des rôles, offerts aux « gweilos » à Hong-Kong, est limitée. Je suis assez chanceux dans le sens que j’ai eu plus à faire que le « méchant blanc » typique à certaines occasions, mais un acteur sérieux pourrait vite se lasser des rôles proposés.


– Vous avez réussi à être admis dans la « Hong Kong Stuntman Association » (association pour les cascadeurs à Hong Kong), un fait assez rare pour les étrangers. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

En fait, être membre m’a aidé parfois lorsque les chorégraphes ne me connaissaient peut-être pas. N’importe qui peut dire, je suis un cascadeur, mais vu que j’étais un membre, les coordinateurs savaient au moins que je n’étais (probablement) pas complètement inutile ! Je me rappelle sur le tournage du film « Le Médaillon », Jackie Chan était un peu inquiet du fait que j’étais assis hors caméra alors qu’ils faisaient une explosion mineure. Son chorégraphe Nicky Li lui a dit : « Grand frère, ne t’inquiète pas, je le connais. Il fait partie de l’association ».
Pour en revenir à votre question sur la discrimination, faire parti de l’association m’a aidé à me sentir accepté dans le monde des cascadeurs à Hong-Kong. Je suppose que certaines personnes ont été moins sur leurs gardes à mon égard grâce à cela. Cela fait aussi du bien d’appartenir à un groupe où on trouve parmi les membres, Tony Leung Siu-hung, Yeun Bing, Ridley Tsui et Stephen Tung, des gens que j’ai admiré pendant des années.


– Vous avez déjà combattu avec de grands artistes martiaux comme Chiu Man Cheuk ou Yuen Biao. Pouvez-vous nous raconter cette expérience ?

Chiu Man Cheuk est un acteur incroyable – un artiste martial doué dans tous les styles. « Fist Power » était un film avec un budget extrêmement faible, tourné en 13 jours. J’ai travaillé pendant seulement deux jours et demi. Je me rappelle avoir été très heureux d’obtenir ce boulot, car j’ai beaucoup d’estime pour Chiu, et pour être honnête, il était une des seules « stars » des arts martiaux à être encore à Hong Kong. Donnie Yen faisait encore des films, mais Jackie et Jet étaient partis en Occident, et Fan Siu-wong faisait de la télévision en Chine – tous les autres à Hong-Kong n’étaient pas vraiment des spécialistes de l’action.

Je me souviens qu’ils ont commencé le tournage de « Fist Power » très peu de temps après « Body Weapon », même star, même réalisateur et à peu près la même équipe. Après avoir tourné mon combat dans le parc avec Chiu, j’ai vu « Body Weapon » au cinéma, et je me suis rendu compte que « Fist Power » aussi, était juste un film de série B vite fait, et ne deviendrait jamais un classique. Quand j’ai finalement vu le film, j’étais déçu du montage, qui n’a pas montré la plupart des techniques que nous avons utilisées sur le tournage. Je pense que le film a été monté dans l’urgence également. J’aurais aimé combattre Chiu dans un film de plus grande échelle comme « Blacksheep Affair ».

Pour en revenir au tournage, j’ai malgré tout passé du bon temps à travailler sur ce film. C’était physiquement éprouvant, mais j’admirais la vitesse de réflexion de Ma Yuk-seng à propos des chorégraphies, le calme et les manières posées du réalisateur Aman Cheung, et l’habilité du cameraman Choi Sung-fai à faire beaucoup avec peu de moyens.
Chiu et moi ne pouvions vraiment bien communiquer, puisque le cantonais était pour nous deux une langue secondaire. Mais nous nous sommes bien entendus et nous pouvions communiquer grâce à l’action.

Au sujet de Yuen Biao, j’ai tellement d’admiration pour cet homme. C’est un grand acteur, une personne humble et c’était un honneur pour moi de le combattre à l’écran.


– Pour parler un petit plus de Yuen Biao, ce n’est pas un secret que Biao a beaucoup fait de doublures pour les cascades au début de sa carrière, et a doublé des gens comme Sammo Hung, Lam Ching Ying et même Jackie Chan. Il existe des rumeurs sur internet qui disent que Yuen Biao a parfois doublé Jackie Chan sur « Drunken Master ». Que pensez-vous de cette théorie?

Je ne sais rien à ce sujet. Je pense que c’est improbable car en 1978 il travaillait pas mal pour Sammo. Mais ce n’est pas impossible. Vous pouvez le voir doubler Jackie Chan dans « My Lucky stars » et « Heart of Dragon ».


– On ne vous voit que dans peu de scènes dans le film Star Runner. Avez-vous tourné plus que ce que nous pouvons voir dans le film ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le tournage ?

A la base, j’ai reçu un appel pour ce film à peu près un an avant le tournage. On m’a dit que Chin Kar-lok m’avait recommandé pour un futur film – une préquelle de « A Fighter’s Blue » avec Edison Chen. Et bien, le projet s’est transformé en « Star Runner » avec Vanness Wu du célèbre groupe taïwanais F4. Le tournage s’est effectué au même endroit où j’avais déjà travaillé sur cinq ou six films, et on m’a dit que je jouais le rôle d’un kickboxer australien. Oui certaines parties ont été coupées, mais au fond c’est parce que presque tout ce que j’ai fait a été utilisé dans le montage avec tous les combattants et les combats du début. Donc j’ai fait quelques prises supplémentaires de moi en train de frapper les pads (Ricardo Mahmood jouait le rôle de mon entraîneur), sur le ring, et quelques techniques supplémentaires quand je combats un cascadeur. Mon combat avec Vaness était aussi un peu plus long. Après qu’il m’ait fait tomber sur le sol du ring, j’ai craché mon protège-dents et fait l’abasourdi… Ca ne me surprend pas que cela ait été coupé… ces « petits bouts » sont souvent coupés pour alléger un film.

Chin Kar-lok est un homme très sociable, terre-à-terre. Il m’a aussi aidé à être sur le film américain « Ultraviolet ». Daniel Lee, le réalisateur, était très poli lui aussi. Il est arrivé, m’a serré la main et m’a remercié après que nous ayons tourné mon petit combat avec Vaness. Je faisais juste mon boulot ! C’est incroyable comme tout le monde sur le plateau était poli. Vaness, qui est une grande star de la musique en Asie, était très poli également, et m’a même dit à la fin, « Désolé de t’avoir réellement frappé. Ils m’ont dit de le faire ! »


– Dans le documentaire « Red Trousers », on peut voir que Ridley Tsui est très dur et strict avec ses cascadeurs. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa façon de travailler ?

Et bien, tout d’abord, avant d’aller plus loin, laissez moi vous dire qu’en dehors du plateau, Ridley est une personne très différente. Il a été très généreux avec moi et m’a beaucoup encouragé, particulièrement quand je suis arrivé pour la première fois à Hong-Kong, et il m’a beaucoup appris. Il peut être dur sur le plateau, mais parfois je pense que c’est comme un encouragement, pour que l’on fasse le mieux possible. Certaines personnes réagissent bien à cela, et pensent qu’il y a moins à craindre des cascades que du patron. D’autres trouvent qu’une approche plus douce les rend plus à l’aise et détendus. Je vois en Ridley le dernier survivant de la « vieille garde » des réalisateurs de films d’action. Oui, il est jeune, mais il est aussi passé par l’entraînement de l’Opéra, et travaillé sous l’ordre de personnes strictes comme Sammo. Etre dur, c’est ce qu’il connaît. Ridley a lui-même réalisé des cascades parmi les plus impressionnantes que j’ai jamais vu, donc je suppose qu’il pense qu’une approche dure amène souvent des bons résultats.

Je me suis retrouvé sur des tournages où des chorégraphes se sont énervés contre moi pour obtenir ce qu’ils voulaient. Je garde la tête froide et ne me laisse pas atteindre par cela. Je préfère quand les gens sont gentils avec moi, mais qui ne préfère pas ça ?


– Vous avez été dirigé par de nombreux chorégraphes renommés. Pouvez-vous nous dire s’il existe des différences majeures dans leurs façons de travailler ?

Tout le monde a son propre style, comme vous pouvez probablement le remarquer en regardant un film. En terme de chorégraphie, je suis presque certain que si j’allumais la télévision et voyais une scène d’action d’un film ou d’une série de Hong-Kong, je serais capable de deviner le nom du chorégraphe dans 85% des cas. Certains ont des techniques qu’ils aiment utiliser, par exemple Ma Yuk-seng aime les frappes de l’arête de la main, alors que d’autres ont une façon particulière de bouger la caméra lorsqu’ils filment. J’ai trouvé que le style (des films récents) de Ma me convenait, car il est assez rudimentaire, mais avec quelques coups de pieds ajoutés, ce qui va totalement ave ma formation de karateka.

Je ne peux pas aller vraiment plus loin, car c’est un sujet trop vaste. Voilà une des différences possibles à trouver : certains chorégraphes apprécient votre apport d’acteur, par exemple ‘je frappe mieux avec cette jambe » ou « pourquoi je n’enchaînerais pas avec cette technique ? ». D’autres veulent juste que vous fassiez ce qu’on vous a dit de faire (le mieux possible).


– J’ai vu que vous aviez travaillé pour HK Legends, comme par exemple sur le documentaire « Ballistic Kiss » du DVD de « Full Contact », ou pour certains commentaires audio et interviews. Est-ce que vous aimez partager votre connaissance du cinéma de Hong-Kong avec les fans?

J’apprécie beaucoup de travailler pour HK Legends. J’essaye de penser comme un fan « qu’est-ce que j’aimerais voir ? » et ensuite je mets ce que je sais utiliser. Ce documentaire sur le DVD de « Full Contact » a été monté en très peu de temps, et je pense qu’il est pas mal étant donné que nous n’avons même pas été sur le tournage. J’étais un peu énervé à propos du montage de l’action. Je leur avais fait voir un montage, dans un style très Hong-Kong. Je n’avais pas plus d’influence sur le montage, et le résultat final est plus en accord avec le style de la télévision britannique. J’ai eu plus de temps pour préparer le documentaire sur l’utilisation des câbles sur le DVD de « Duel to the Death », et j’espère que les gens le trouveront meilleur.


– Que pensez-vous de la situation actuelle du cinéma de Hong-Kong, et pensez-vous que l’on assistera à une renaissance des films d’action de Hong-Kong dans le futur ?

Il existera toujours une forme d’industrie du film à Hong-Kong, mais je ne vois pas un retour aux années glorieuses. Au moins, d’autres excitantes industries du film apparaissent en Asie, comme en Corée ou en Thaïlande. Peut-être qu’avec le temps, la Chine ouvrira vraiment ses portes à l’industrie du film de Hong-Kong. Ce n’est pas encore arrivé. Les films hongkongais réalisés pour la Chine sont bien trop doux et n’ont pas cette dangereuse qualité qui ont donné par le passé leur tranchant aux films de Hong-Kong.

Comme l’industrie du film à Hong-Kong est dans un tel déclin, je me concentre plus sur l’Occident. Ces temps-ci je suis occupé à améliorer mes capacités pour devenir un cascadeur meilleur et plus élégant. Je fais beaucoup de plongée, de cheval, etc…


– Merci d’avoir pris le temps de répondre à cette interview

C’était un plaisir. Merci pour votre temps.


Nous Remercions Jude Poyer pour son amabilité et sa disponibilité.

Propos recueillis Tavantzis Nicolas (Ryô Saeba) et traduits par Sevin Michel (Nightwish06), Juin 2005.

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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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