[Interview] Hong Sang-Soo

Hong Sang-soo est né le 25 octobre 1960 à Séoul. C’est aux Etats-Unis qu’il va faire ses premières armes, avant de véritablement commencer à travailler dans son pays, en Corée du Sud. Comme ses projets (visiblement pas assez commerciaux) ne trouvent pas preneur, il va travailler pour des Majors qui, paradoxalement, se trouvent à l’opposée de son idée du cinéma. Mais il faut bien vivre, et Hong Sang-soo fera donc ses premières gammes au sein d’un grand studio. Après avoir fait ses preuves, il parviendra enfin à imposer l’un de ses choix, et réalisera un film.

Un film qui changera tout, au titre pourtant peu évocateur : LE JOUR OU LE COCHON EST TOMBE DANS LE PUITS. Sous ce titre, se devine une histoire : un cochon tombe dans un puits, dans un village où il ne se passe jamais grand-chose. Les gens, en se penchant au dessus du puits, ne verront que l’eau, et dans l’eau, le reflet de leur visage morne. Tout est donc déjà là, ou presque : le cinéma comme un miroir de la réalité, et ce reflet que le spectateur interprètera ou pas comme l’image même de son identité. Electrochoc au sein du petit monde de la critique : ça y est, on le tient enfin, ce cinéma si à part.

Avec ses autres films, Hong Sang-soo n’aura de cesse de peindre et repeindre la réalité, dans des longs métrages à la réalisation d’une rare complexité. Aussi bien sur le fond, que sur la forme. Une filmographie déjà riche de cinq (grands) films, que vient donc compléter CONTE DE CINEMA, le dernier titre en date du réalisateur sud-coréen, qui sort sur nos écrans le 2 novembre 2005. Et encore un film qui change tout.


– Vos débuts ne sont pas très académiques. Il me semble en effet que vous êtes venu au cinéma après avoir été déçu par le théâtre. Et même dans les écoles de cinéma sud-coréennes, vous n’étiez pas très bien et vous avez préféré partir aux Etats-Unis… Etes-vous parti parce que vous ne vous sentiez pas à votre place au sein du cinéma coréen, ou bien plus généralement au sein de la société coréenne ?

Ce n’est pas que j’ai été déçu par le théâtre, mais avant même de connaître vraiment le théâtre, ce qui m’a gêné c’est qu’à l’époque il y avait une véritable vie collective dans ce département, les gens étaient toujours tous ensemble, et ça ne correspondait pas à mon état d’esprit à ce moment là. C’est pour ça que j’ai changé de matière et que je suis allé vers le cinéma.

Si je suis ensuite parti aux Etats-Unis, c’est parce qu’une certaine confusion s’était installée en moi depuis mon enfance. Je n’y trouvais aucune solution, j’ai donc saisi cette occasion de partir, en espérant qu’un nouvel environnement m’aiderait.


– A vos débuts, cette expérience américaine s’est-elle révélée plus enrichissante que votre expérience en Corée du Sud ?

Quand je suis parti aux Etats-Unis, j’étais bien, car c’était la première fois que j’étais dans un lieu où je ne connaissais personne. J’avais l’impression de vivre dans une nouvelle peau, je ne connaissais plus le stress. Du point de vue de ma carrière, c’est vrai que c’est à cette époque là que j’ai compris ce qu’était mon objectif en tant que cinéaste, et j’ai acquis beaucoup de repères qui m’ont aidé par la suite.


– J’ai l’impression que vous utilisez plusieurs degrés de lecture : vos films sont très immersifs, mais vous n’abandonnez pas le spectateur, celui-ci participe, réfléchit et chacun peut vivre le film différemment, suivant ses expériences personnelles. J’ai moi-même parfois eu mal en voyant l’un de vos films, parce que l’un des personnages me rappelait un choix que je n’avais jamais su faire. Vos longs métrages nous révèlent beaucoup de choses sur nous-mêmes. Est-ce le résultat que vous recherchez avant de réaliser un film ?

Je ne commence pas un film avec un message que je souhaiterais transmettre au spectateur, je n’ai pas d’objectif précis. Je pars d’une situation très ordinaire, et des petits détails viennent s’y coller par des chemins assez inexplicables. Ensuite il y a une forme qui englobe cela en un tout. Je mets aussi beaucoup de moi-même dans ce processus. L’objet final donne différentes émotions aux spectateurs. Quand ceux-ci me rapportent leurs sentiments après vu le film, le cycle se referme. Si quelqu’un fait un vrai film à message, la seule interrogation est de savoir, à la fin, si ce message a réussi à passer ou pas. Pour moi ce n’est pas ça : je crée un objet sur lequel chacun a son avis, c’est ce que j’aime faire. A la fin, chaque avis peut en valoir un autre, et m’intéresser.


– Je suppose que toutes vos scènes ont un sens, une finalité. Dans TURNING GATE par exemple, le personnage principal du film mâte une jolie fille dans un restaurant, jusqu’à ce que le petit ami de cette dernière s’en aperçoive et crée un scandale. Cette scène m’a considérablement gêné. J’avais l’impression que j’étais à la place du personnage principal, car comme tout le monde, j’ai déjà regardé des jolies filles discrètement. Dans cette scène de TURNING GATE, j’ai eu littéralement l’impression de me faire prendre la main dans le sac. Cette scène n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, mais ma réaction était-elle celle que vous escomptiez lorsque vous avez filmé ce passage ?

C’est une question de réalité. Certains trouvent la réalité ennuyeuse, ou dépourvue de sens. On peut penser que la réalité est un amas de fragments qui n’a pas de sens, on essaie alors de l’interpréter, de l’embellir. Pour moi ce n’est pas le cas : la réalité on ne la regarde pas assez. En un sens on a un peu cessé de la regarder et donc j’essaie de faire en sorte que les gens s’y attardent d’avantage.


– On dit souvent de vos films qu’ils sont pessimistes et tristes. Ce n’est pas exactement mon avis. A mes yeux ils traitent avant tout des problèmes de communication entre adultes d’aujourd’hui, entre les femmes et les hommes notamment. A l’image de cet homme marié, dans LE JOUR OU LE COCHON EST TOMBE DANS LE PUITS, qui ne parvient pas à dire à sa femme qu’il l’aime, mais qui parvient plus facilement à le dire à une prostituée.

Quand je pars d’une situation quotidienne que je saisis de façon assez intuitive, j’espère qu’elle va me permettre de revoir la réalité. Je pense qu’il y a certaines choses que l’on obtient par le biais de ce processus, par exemple on peut entrevoir une image de soi différente de celle que l’on avait avant. Parfois ce décalage crée un effet comique.


– Vos films ne sont pas tristes : c’est éventuellement le point de vue personnel du spectateur qui peut les rendre tristes. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?

J’ai dit tout à l’heure que le regard du spectateur achevait en quelque sorte mon processus. Je pense qu’il n’y a pas une bonne réaction, ça dépend des spectateurs, de leurs tempéraments, de ce qu’ils vivent en fait au moment où ils voient mon film. J’en ai vu qui riaient du début à la fin, d’autres qui avouaient avoir trouvé l’ensemble vraiment trop triste. Je pense que les deux interprétations sont possibles. Disons que je me mets à la place du spectateur, et que j’aimerais lui montrer une certaine compassion par rapport aux situations, parfois ternes, qu’il vit au quotidien : j’aimerais lui montrer un peu de gaîté, un peu de joie.


– Nous parlions de pessimisme, et l’un de vos films le plus optimiste est sans doute LA VIERGE MISE A NUE PAR SES PRETENDANTS. Le titre original est superbe, c’est un cri d’amour : Oh ! Soo-Jung ! Il illustre parfaitement le film. N’avez-vous pas été déçu que le titre original ne soit pas repris pour la distribution internationale ?

Non, je n’ai pas été déçu parce que le titre anglais vient de moi (rire). Même si j’aime bien aussi le titre coréen, c’est le titre anglais que j’ai eu le premier en tête.


Merci en tous les cas, j’ai beaucoup aimé vos appréciations, tous ces petits détails. Merci

Nous remercions vivement Hong Sang Soo et sa traductrice pour leur temps et leur amabilité, ainsi que l’équipe de Mk2 qui nous a permis de travailler dans les meilleures conditions, toujours dans la bonne humeur.

Propos recueillis par Oli et Tavantzis Nicolas (Ryô Saeba), 18 Octobre 2005 à Paris.

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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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