Après avoir fait des études de cinéma à l’université de Tokyo, Nakata Hideo devient assistant réalisateur à la Nikkatsu connu pour ses nombreux pinku. Le réalisateur apprend beaucoup au côté de réalisateurs comme Konuma Masamura un des maîtres du genre. Il passe ensuite à la réalisation avec Ghost Actress et se fait remarquer par des producteurs qui lui donnent alors l’opportunité de tourner Ring qui se sera le déclencheur d’une nouvelle vague de film d’horreur. Il continue sur sa lancée et réalise des films comme Chaos, Sleeping Bride ou encore Ring 2 mais ne connaît pas le même succès qu’avec Ring. Ce n’est qu’en 2002 qu’il réalise Dark Water qui connaîtra lui aussi un fort succès au Japon mais également dans le monde. Depuis, Nakata est allé au Etats-Unis pour réaliser le remake de son propre film : Ring 2, et devrait prochainement attaquer le remake du film The Eye des frères Pang qui surfait lui-même sur cette nouvelle vague de film d’horreur lancée par Ring.
– Pouvez-vous nous dire d’où vient votre passion pour le cinéma ?
Mes premiers contacts avec le cinéma ont commencé quand j’étais encore enfant par le biais de la télévision. J’ai vu pas mal de films européens et j’aimais beaucoup le travail des réalisateurs comme François Truffaut et David Lean. Ce n’est qu’adolescent que j’ai appris à vraiment apprécier le cinéma Américain. Mais je peux dire que je n’ai découvert le cinéma que lorsque je suis allé à l’Université à Tokyo, dans la classe de Shigeriko Asumi. Grâce à lui, j’ai pu découvrir de nombreux classiques. À cette époque, je regardais jusqu’à 300 films par an.
– Vous avez débuté en tant qu’assistant réalisateur sur les Pinku de Konoma Masaru. Quel impact cela a-t-il eu sur la suite de votre carrière et quelles relations entreteniez-vous avec Konuma ?
Il y avait plusieurs réalisateurs de Pinku à la Nikkatsu à l’époque et Konuma était l’un d’entre eux. J’ai travaillé pendant 7 ans comme assistant réalisateur à la Nikkatsu. Konuma a eu une grande influence sur ma carrière car vous savez finalement, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la peur et l’excitation sexuelle sont assez proches l’une de l’autre et je pense que c’est de là que vient ma capacité à capturer ce sentiment de peur pour effrayer les spectateurs.
– C’est vous qui donniez les instructions aux acteurs et actrices sur les positions à adopter ?
Pour ce que nous appelons les scènes « d’amour » ou les scènes de « lit », où les acteurs font l’amour, enfin ils ne le font pas vraiment. On peut dire que ça ressemble à une scène d’action. Ce n’est pas du combat, mais comme vous pouvez l’imaginer dans une scène d’amour il ne faut pas que ça soit trop réaliste parce que sinon ce n’est plus cinématographique. Il y a des positions de caméra particulières et vous savez même si le travail de Konuma est artistique, ces films sont fait pour des hommes seuls (rire), donc nous devions divertir ces hommes célibataires, ce qui veut dire que les acteurs deviennent des » performeurs « , leurs mouvements doivent paraître érotiques mais ils ne doivent pas le faire comme il le font dans la vie de tous les jours. Les caméramans ou le réalisateur nous indiquaient quelles étaient les positions les plus adaptées pour les acteurs pour que le rendu soit plus esthétique. C’est exactement comme chorégraphier un combat dans un film d’action, nous dirigions donc les acteurs dans » l’action » étant donné qu’ils n’avaient en général aucune expérience dans ce genre de film. Nous étions en quelque sorte le lien entre le réalisateur et les acteurs inexpérimentés.
– Vous semblez avoir une relation très forte avec le scénariste Hiroshi Takahashi…
(Nakata me coupe) : plus maintenant, (rire) j’avais une bonne relation … (rire).
– Pourquoi dites-vous » plus maintenant » ?
Nous ne travaillons plus ensemble désormais. Il a écrit » Ghost Actress « , mon premier film, il a également écrit ma série TV, Ring et Ring 2. Il a donc écrit trois de mes films, spécialement à mes débuts, mais maintenant, je crois que nous avons pris des chemins différents. Surtout avec The Ring Two (2005) qu’il n’a pas du tout aimé. On ne s’est pas vraiment disputé mais il a vraiment détesté le film. Et naturellement il est difficile de continuer de travailler ensemble lorsque l’on ne partage plus les mêmes points de vue.
– Pour rester sur Hiroshi Takahashi, c’était le camarade de chambre de Kurosawa Kyoshi à l’université de Rikkyo.
Takahashi et moi n’étions pas dans la même université, mais je sais que Kurosawa et Takahashi étaient très proches depuis le collège.
– Et j’ai entendu dire que Kurosawa Kyoshi a failli réaliser Ring bien avant que le projet de Ring ne se concrétise.
Non je ne crois pas. Si on parle de Ring, il y avait déjà une série TV et comme c’était une nouvelle très populaire, d’autres réalisateurs ont été approchés pour réaliser le film mais ça ne s’est pas fait. Je ne pense pas qu’il y est eu Kurosawa (Kyoshi) dans les réalisateurs approchés.
– J’ai lu que vous lui aviez demandé des conseils suite à la vision du film Cure pour réaliser la fameuse vidéo maudite de Ring ?
Non, cette information est fausse, où avez-vous lu ça ?
– Dans une interview de Kurosawa Kyoshi sur Internet.
Non c’est complètement faux ; mais peu importe, Takahashi et moi étions allés voir la projection test de Cure avant sa sortie. Nous l’avons beaucoup aimé mais vous savez c’est un film d’un genre différent de Ring, c’est un thriller psychologique alors que Ring est un film d’horreur malgré tout en ce qui concerne les émotions, c’est-à-dire faire ressentir de la peur au public, nous recherchions à atteindre le même but. C’est pour cela qu’en sortant de la projection Takashi et moi nous sommes promis : » ok, il faut battre Cure ! « . Mais Cure n’est pas devenu très populaire auprès du public Japonais et n’a pas été un franc succès en salle. Pour en revenir à votre question, Kyoshi Kurosawa et moi nous nous connaissons mais nous ne sommes pas très proche, pas au point d’aller lui demander une consultation sur ce genre de chose. Si vraiment je lui avais demandé, je lui aurais au moins donné ce crédit.
– Vous ne vous attendiez pas à un tel succès en réalisant Ring, combien de temps a pris le tournage et quel fut le budget du film ?
A vrai dire, à sa sortie, j’étais plutôt inquiet, j’espérais seulement que le film marche assez pour couvrir les frais de production, on peut dire que le film a dépassé toutes mes espérances. Pour le budget nous avions 1.5 millions de dollars, ce qui était le standard à l’époque de la réalisation du film. Nous avons tourné l’intégralité du film en un peu plus de 5 semaines mais en tout le » projet ring » a pratiquement duré un an car Takahashi et moi avons mis presque 4 mois à écrire le script et régler les détails de pré production et il y a eu également un gros travail de post production pendant 4 mois également.
– Et donc puisque vous n’avez pas demandé à Kurosawa son aide, comment avez-vous réalisé la vidéo maudite de Ring ?
(Rire) Au départ vu que la séquence allait être diffusée dans une télévision on ne savait pas si nous devions tourner cette séquence en 35 mm ou en 8 mm. Finalement, nous avons opté pour la première option et nous avons donné le résultat au technicien qui a rajouté le grain qu’on peut voir à l’image.
– Je suppose que dans un film comme Ring le son est très important. Vous n’avez d’ailleurs pas choisi n’importe qui puisqu’il me semble que c’est Kawai Kenji qui s’est occupé de la bande son ?
Effectivement, c’est Kawai Kenji qui s’est occupé de la bande son de Ring et Ring 2, mais également de celle de Chaos. J’avais beaucoup apprécié son travail sur Ghost in the Shell, la bande son est vraiment formidable et le producteur me la fortement recommandé. Avant Ring, il n’avait travaillé que sur des films ou séries d’animation, c’était donc son premier véritable film.
– Il me semble qu’il a pourtant composé la bande son des films live de Oshii Mamoru comme Talking Head ou Red Spectable.
Oui c’est exact, il a effectivement travaillé beaucoup avec Oshii Mamoru que j’ai tendance à associer au monde de l’animation bien que son film » Avalon » soit formidable. Pour en revenir à la bande son, Kawai Kenji a vraiment fait un énorme travail tout comme l’ingénieur du son de l’équipe. La tâche n’était pas facile car il fallait coordonner les mélodies de téléphone, les bruitages et la musique pour qu’ils ne forment qu’un et à ce titre toute l’équipe a vraiment fait un travail magnifique mais ça n’a pas été sans mal il a parfois fallu que je me dispute avec eux car j’étais vraiment très exigeant en ce qui concerne le son.
– En 2000, vous avez réalisé Sleeping Bride (Garasu no nou) une adaptation d’un manga de Tezuka Osamou, j’ai entendu dire que vous n’aviez pas été satisfait du budget qui vous a été alloué ?
Effectivement le budget n’était pas à la hauteur mais je n’ai pas demandé plus parce que je connaissais la réalité du marché.
– Pour en revenir un peu au Pinku, est-ce que les façons de travailler, les durées, les budgets ou encore les censures sont différentes d’un film classique ?
Au Japon, le comité de censure en ce qui concerne les descriptions des scènes sexuelles sont très strictes et si jamais il y a trop de scènes de ce genre le film est interdit au moins de 18 ans, ou 21 ans je ne sais plus. En ce qui concerne le budget, le temps des pinku, » roman porno » de la Nikkatsu est terminé depuis longtemps, aujourd’hui le marché n’est plus le même le genre de public qui regarde ces films n’est pas prêt à aller au cinéma pour le voir sur grand écran, il préfère le louer ou l’acheter en DVD. Le budget s’en ressent forcément, je n’ai jamais fait de film à très bas budget mais beaucoup de films érotiques aujourd’hui se tournent en seulement 4 jours du fait des restrictions. Mais je pense tout de même qu’il faut que des gens continue à faire ce genre de cinéma, il y a de très bons réalisateurs qui ont commencé comme ça mais malheureusement les conditions de tournages et le budget deviennent de pire en pire car les gens aujourd’hui préfère regarder ça en DVD, ils peuvent ainsi le regarder tout seul.
– Regrettez-vous l’époque où ce genre de film passait au cinéma et n’était pas réduit au circuit vidéo ?
Oui, dans un certain sens, mais aujourd’hui ce n’est plus possible. Cela reflète les attentes du public, aujourd’hui un jeune réalisateur ne peut pas dépenser autant d’argent qu’à l’époque de la Nikkatsu pour réaliser un film érotique. Je parle de faire un bon film érotique avec du mélodrame à l’intérieur et une histoire qui tient la route. Maintenant dans ces choses en DVD, tout n’est que sexe. Malheureusement si c’est ce que le public veut, le genre de film tel qu’on le faisait à l’époque à la Nikkatsu est condamné à disparaître.
– On a beaucoup parlé du remake américain de Ring mais on connaît beaucoup moins le remake Coréen, Ring Virus réalisé en 1999, avez-vous eu l’occasion de le voir ? Et qu’en pensez-vous ?
Effectivement je l’ai vu, mais peut être que je ne devrais pas trop en parler (rire). On m’avait dit que le film n’était pas un remake mais un film basé sur la même histoire, un mélange de Ring et Spiral Rasen. La première fois que j’ai vu le film, j’ai été choqué. Beaucoup de plans étaient presque identiques à ceux de mon film. Pour la version Américaine, je savais dès le début que c’était un remake, il y avait beaucoup de scènes similaires mais je n’ai pas été surpris alors que pour Ring Virus j’attendais un film différent aussi j’ai été choqué.
– Quel regard portez-vous sur la production japonaise actuelle ?
Malheureusement, depuis presque deux ans, j’ai passé la majorité de mon temps à Hollywood et je n’ai pas eu l’occasion de voir beaucoup de films japonais récents. Il m’est donc difficile d’émettre une opinion sur la production du cinéma japonais actuel, ce ne serait que pure spéculation.
– Et pour finir quels sont vos projets pour l’avenir ?
Je pense que je vais réaliser un film à Hollywood qui sera probablement » The Eye « , le remake du film des frère Pang pour lequel nous n’avons pas encore trouvé l’acteur pour le rôle principal et ensuite je retournerai définitivement au Japon où j’ai l’intention de réaliser un Jidai-geki (film de Samouraï traditionnel) mais avec des fantômes. L’actrice qui devrait jouer le premier rôle est la fille d’une grande actrice de ce genre de films des années 60.
Nous remercions Hideo Nakata pour son amabilité et sa disponibilité, ainsi que toute l’équipe de l’Etrange Festival pour avoir rendu cet entretien possible.
Propos recueillis et traduits par Tavantzis Nicolas (Ryô Saeba), 12 Septembre 2005 à Paris.