[Film] Zatoichi in Desperation, de Shintaro Katsu (1972)


Ichi rencontre une vieille femme sur un pont menaçant à tout moment de s’écrouler. Alors qu’ils discutent, un accident se produit et la femme fait une chute mortelle. Se sentant responsable, Ichi décide de se rendre à sa place dans la ville où habite sa fille pour se racheter auprès d’elle. Il découvre bientôt que la jeune femme est une prostituée et se met en tête de lui rendre sa liberté. Le masseur va alors déclencher des évènements dont personne, y compris lui, ne sortira indemne…


Avis de Kwaidan :
ZATOICHI IN DESPERATION… rarement un film n’aura aussi bien porté son titre. Plus dépressif que les épisodes 11 et 23 réunis au point d’atteindre le morbide, d’une violence physique et morale à la limite du soutenable, ce 24ème ZATOICHI se pose définitivement comme un épisode à part qui ne doit pas tomber entre toutes les mains.

La série nous avait habitué à un subtil mélange d’action, de tendresse et d’humour. Pour sa première réalisation, Shintaro Katsu va prendre un malin plaisir à briser cette recette, voire même à pervertir les codes de la saga pour asséner au spectateur une claque magistrale. A part un ou deux bons mots, le rire n’est ici pas vraiment de mise et c’est plutôt le malaise qui s’instaure au cours de séquences particulièrement extrêmes. Un handicapé mental est violé et passé à tabac par des yakuzas sadiques, une scène montre un gamin jeter courageusement des pierres au chef de la bande : dans les autres films, cela aurait certainement donné une séquence amusante, sauf que là le petit est battu à mort et laissé à l’agonie sur une plage. Difficile de retenir ses larmes dans le plan où il appelle sa sœur dans un dernier souffle. Le film plonge en pleine poésie macabre lorsque ce même gamin propose à sa sœur de fuir dans l’océan afin qu’elle échappe à son destin de prostituée et qu’ils puissent enfin être ensemble. La jeune fille lui rappelle alors qu’ils se noieraient avant de réaliser que le gamin en est parfaitement conscient et tout simplement en train de lui proposer un suicide collectif. Ce qui semblait être un petit moment d’innocence salvateur nous renvoie dans des abîmes de noirceur. Le sexe tient également une place essentielle dans ce récit et est beaucoup plus explicite qu’à l’accoutumé. Le sexe comme pulsion animale, sans amour. Ichi est même littéralement violé par la fille qu’il tente de sauver de la prostitution. Dans ZATOICHI IN DESPERATION, l’innocence, l’espoir et l’amour n’ont plus leur place : seul la violence et le désespoir restent. Bienvenue en enfer…

Ce qui marquera le plus est bien sûr ce moment tant redouté où Ichi se sacrifie pour la jeune femme et se retrouve avec les paumes percées par des harpons. Dans le genre, je n’ai rien vu de plus dur depuis ce fameux épisode d’X-MEN où Wolverine perdait son adamantium. Désormais incapable de masser ou de se servir de son sabre, Ichi devient la risée des yakuzas et est considéré comme un moins que rien. Ces derniers s’amusent même à lui rendre son arme tant il devient inoffensif à leurs yeux. Cette scène est d’autant plus insupportable que ce sacrifice, le plus extrême de la carrière du masseur, apparaît comme totalement vain tant la jeune fille, loin des victimes des autres épisodes, ne semble pas particulièrement désireuse de sortir de sa condition. Elle reproche même à Ichi d’agir pour apaiser sa propre conscience et non pour elle ou en mémoire de sa mère et n’hésitera pas à lui tendre une embuscade. Privé de l’usage de ses mains, le masseur est-il mort ? Pas vraiment. Dans un final d’une rare puissance, il attache solidement son épée à son avant-bras et affronte ses bourreaux. L’héroïsme de cette séquence est à son paroxysme : même largement diminué, Ichi se battra jusqu’à son dernier souffle et, quitte à tomber, mourra avec honneur, les armes à la main. Les yakuzas qui pensaient s’amuser avec le masseur se retrouvent alors devant le plus impitoyable des adversaires. La réalisation de Katsu Shin est plutôt surprenante, parfois à la limite de l’expérimentale, et contribue à déstabiliser encore plus le spectateur. Pour ce qui est de l’ambiance, c’est une réussite totale. Musique étrange, vols de corbeaux, scènes à la limite de l’onirisme, prédominance de tons rouges : le petit village où se situe l’action prend des allures d’enfer sur terre. Même en étant un habitué des aventures d’Ichi, on ne peut s’empêcher d’être surpris par cette univers oppressant et décadent, devant ce jusqu’au boutisme que la série n’avait encore jamais connu.

LES PLUS LES MOINS
♥ Brise les codes de la saga
♥ Très noir
♥ Le traitement du personnage de Ichi
♥ Un final très puissant
♥ La réalisation presque expérimentale
⊗ …

ZATOICHI IN DESPERATION est peut-être bien le chambara le plus extrême jamais réalisé. Ultra violent, bouleversant, il aurait pu marquer la fin de la saga sur une note particulièrement pessimiste. Un vingt-cinquième épisode verra pourtant (…et heureusement) le jour malgré le piteux état dans lequel Ichi termine l’aventure. Katsu reviendra ensuite à la réalisation avec le fabuleux ZATOICHI 89 pour achever la saga sur un film moins extrême que ce 24ème volet en n’oubliant pas d’apporter de l’humour et de la tendresse. Déconseillé aux âmes sensibles, ZATOICHI 24 est un très bon film qui montre combien, malgré sa longévité, la saga du masseur aveugle parvient encore à surprendre les fans les plus endurcis.



Titre : Zatoichi in Desperation / Zatoichi 24 / 新座頭市物語・折れた杖
Année : 1972
Durée : 1h32
Origine : Japon
Genre : Chanbara
Réalisateur : Shintaro Katsu
Scénario : Minoru Inuzuka

Acteurs : Shintarō Katsu, Kiwako Taichi, Katsuo Nakamura, Asao Koike, Kyoko Yoshizawa, Yasuhiro Koume, Joji Takagi, Masumi Harukawa, Naoe Fushimi, Yoshihiko Aoyama

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Auteur : Kwaidan

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