[Film] Une Femme Indonésienne, de Kamila Andini (2022)


Quinze ans après avoir été séparée de son mari, Nana a refait sa vie auprès d’un homme riche qui la gâte autant qu’il la trompe. C’est pourtant sa rivale qui deviendra pour Nana l’alliée à laquelle elle confie ses secrets, passés et présents, au point d‘envisager un nouvel avenir…


Avis de Cherycok :
Après avoir sorti The Seen and Unseen, Spectrum Films continue d’explorer la filmographie de la réalisatrice indonésienne Kamila Andini avec le très beau film Une Femme Indonésienne, vendu en coffret avec The Golden Cane Warrior, réalisé par son mari Ifa Isfansyah. Présenté en première mondiale au 72ème Festival International du Film de Berlin en 2022, remportant l’Ours d’Argent du meilleur second rôle, tout comme de nombreux autres prix au Jakarta Film Week, au Asian Pacific Screen Awards, ou encore au Indonesian Film Festival, Une Femme Indonésienne est adapté du premier chapitre du roman Jais Darga Namaku (littéralement « Mon nom est Jais Darga ») de Ahda Imran qui raconte l’histoire vraie de Raden Nana Sunani, une femme qui a vécu dans les années 60 à Java Ouest. Sur la page Wikipedia française du film, on peut lire que le film est l’histoire de femmes luttant dans l’ère de la politique, de la guerre et de la rébellion dans la culture patriarcale indonésienne. Le fait qu’il soit réalisé par une femme donne encore plus de force à ce propos. On y voit clairement un hommage à ces femmes des années 60 et la force qu’elles avaient pour arriver à s’épanouir dans ce milieu masculin qui ne leur laissait que peu de place.

Comme son titre anglais le souligne, à savoir « Before, Now & Then » (Avant, Maintenant et Ensuite), Une Femme Indonésienne va explorer le passé, le présent, et l’avenir de son personnage central, Nana. Le passé, c’est le fait de ne pas savoir si son mari parti à la guerre 15 ans plus tôt reviendra un jour, ignorant si ce dernier est mort ou non. Le présent, c’est ce mariage et cette vie de famille avec l’homme le plus riche du village, Raden Icang, un mari aimant, qui lui offre sans cesse des cadeaux, qui s’occupe des enfants, mais pour lequel elle n’a pas tout à fait le même genre de sentiments. L’avenir, c’est cette rencontre avec Ino, la bouchère du village, avec qui elle développe une relation particulière. Une Femme Indonésienne finira en laissant des questions en suspens, comme pour nous dire que c’est à chacun d’entre nous de décider du futur de cette femme, en fonction de la façon dont nous aurons perçu son histoire. Le scénario explore la condition des femmes dans l’Indonésie des années 60, une époque où le simple fait d’exposer sa longue chevelure en public était problématique, au point que les femmes portaient toutes le chignon. Ce chignon a d’ailleurs une place importante dans l’histoire, d’une petite légende pour les enfants partagée par une maman aimante à sa fille en début de film, lui expliquant que c’était là où on mettait les secrets, à une signification bien plus importante au fur et à mesure que le film avance tant Nana cache des choses à beaucoup de monde. Une femme indonésienne explore la liberté des femmes, leur liberté politique, mais également leur liberté face aux hommes dans une société indonésienne patriarcale. Cette liberté, elles vont essayer de l’explorer du mieux qu’elles le peuvent avec les moyens qu’elles ont. « Elles » car bien que Nana soit le personnage principal, le film ne s’attarde pas que sur elle et d’autres personnages féminins importants feront partie du décor. L’aspect politique, bien qu’il soit présent, est plus discret. On va le retrouver via quelques indices visuels, ou au détour de petits dialogues. On le devine plus qu’on ne le voit, et cela qu’on connaisse la culture indonésienne ou pas. Malgré tout, Kamila Andini a l’intelligence de ne pas généraliser. Par exemple, Icang, à qui Nana est mariée, est un personnage positif, à l’inverse de certaines femmes un peu trop traditionalistes, qui en deviennent pire que les hommes dans leurs propos.

On se demande néanmoins si la place des femmes a finalement beaucoup évolué en Indonésie puisqu’un film tel que celui-ci, parlant des femmes, réalisé par une femme, n’a pas eu droit à une sortie cinéma, se contentant d’être diffusé sur Amazon Prime dans son propre pays là où il a par exemple eu droit aux salles obscures dans certains pays voisins comme la Corée du Sud. Et c’est dommage car Une Femme Indonésienne est visuellement à tomber. La composition des plans est juste superbe, avec régulièrement un jeu sur la symétrie (les plans avec des miroirs) et on a souvent l’impression d’être devant des tableaux de maître. En plus du scénario en lui-même, la narration est également ici très visuelle, de par la composition des plans donc, mais également le choix des couleurs, tantôt jaunâtres et ternes, tantôt plus colorées, comme pour rendre certaines scènes plus intrigantes. Le découpage et le montage sont dans cette même lignée, très travaillés, afin que la continuité dans ce que le film veut faire passer comme messages soit totale. Par sa musique quasi omniprésente, qui occupe clairement une place très importante, sa photographie proche de la perfection qui sait aussi bien mettre en valeur les décors que les personnages qui œuvrent à l’intérieur d’eux, Une Femme Indonésienne devient rapidement enivrant et onirique malgré la lenteur de l’ensemble, une lenteur voulue jusque dans le déplacement ou la façon de s’exprimer des acteurs, comme pour figer le propos à la fois sur la pellicule et dans l’esprit des spectateurs. Le film nous rappelle parfois le travail du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul au début des années 2000, avec des films comme Tropical Malady ou Blissfully Yours, mais également celui de Wong Kar-Wai avec par exemple une scène renvoyant clairement à In The Mood for Love, que ce soit au niveau des couleurs, de la musique, de l’éclairage ou de l’ambiance. Ajoutez à tout cela un casting qui fait un sans-faute, avec des acteurs vraiment impliqués et une Happy Salma qui porte le film sur ses frêles épaules avec son interprétation réellement sincère, et vous obtenez un très beau film.

LES PLUS LES MOINS
♥ Visuellement sublime
♥ Une ambiance envoutante
♥ Une Happy Salma parfaite
♥ La mise en scène inspirée
⊗ Une lenteur qui peut décourager
Avec son rythme envoutant, lancinant, onirique, Une Femme Indonésienne dresse un puissant portrait de femmes dans une Indonésie des années 60 aux mains du patriarcat. Un film extrêmement élégant aux images assez saisissantes.


UNE FEMME INDONESIENNE est sorti chez Spectrum Films en Blu-ray en bundle avec THE GOLDEN CANE WARRIOR, au prix de 30€. Il est disponible à l’achat ici : Spectrumfilms.fr

En plus des films, on y trouve : Présentation du film par Maxime Bauer, Interview de la réalisatrice Kamila Andini, Making of, Bande annonce.



Titre : Une Femme Indonésienne / Before, Now & Then / Nana
Année : 2022
Durée : 1h43
Origine : Indonésie
Genre : Portait de femmes
Réalisateur : Kamila Andini
Scénario : Kamila Andini

Acteurs : Happy Salma, Laura Basuki, Arswendy Beningswara, Ibnu Jamil, Rieke Diah Pitaloka, Chempa Puteri, Arawinda Kirana

Before, Now & Then (2022) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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