Deux flics très différents vont enquêter sur un meurtre commis par un immigré chinois, bientôt aidé par un expert en explosif. Les deux policiers vont découvrir qu’ils projettent de dérober une importante somme d’argent dans un aéroport. Un jeu du chat et de la souris commence entre les deux camps…
Avis de Eric Draven :
Alors que, à l’heure où j’écris ces lignes, tout le monde parle du dernier film de Ronny Yu, Fearless, j’ai choisi, pour changer un peu et pour ne pas toujours discuter de la même chose, de me tourner vers sa première expérience cinématographique. « The Servant » est un film dont on a beaucoup entendu parler (même si peu de gens l’ont vu) car c’est non seulement le premier de Ronny Yu, mais c’est aussi celui qui a lancé la carrière d’un important représentant du polar hongkongais : Philip Chan. Ancien policier et véritable touche à tout, il aura écrit des scénarios réalistes et subtils tels que la série géniale des « Long Arm of the Law », réalisé quelques films très sympathiques comme « Carry on Yakuza », et interprété un nombre considérable de seconds rôles (dont le plus connu est évidemment celui du chef de la police dans « A Toute Epreuve » de John Woo).
L’histoire est simple : un immigré chinois (Michael Chan) arrive à Hong-Kong dans le but de faire un casse. Il sera aidé par un poseur de bombe redoutable (Melvin Wong). Deux policiers (Paul Chu et Philip Chan) aux comportements bien différents vont faire équipe pour essayer de le coincer. Mais un des deux va commencer à déraper dans l’illégalité… Avec un tel scénario, on n’est pas bien loin de celui de « Long Arm of the Law ». Le script est très basique il est vrai, mais le traitement l’est beaucoup moins, je vous rassure… Au départ du film, nous suivons Philip Chan et Paul Chu qui doivent faire face à des situations souvent dangereuses auxquelles sont souvent confrontés les flics à Hong-Kong. Il y a l’inévitable séquence d’entraînement des forces de police présentée comme une véritable guérilla, la prise d’otage d’une mère qui menace de se tuer elle et sa famille, les séances d’interrogatoire musclées ou même encore les planques. Tout est traité avec un réalisme stupéfiant. L’expérience de Philip Chan en tant qu’ancien policier a dû beaucoup aider au script et aux différentes situations, les issues de chacune étant pour le moins originales, simples mais efficaces. De plus, les personnages secondaires sont suffisamment développés pour être intéressants (à noter que Ronny Yu fait une apparition en médecin au début du film). C’est plutôt rare pour ce style de production…
Je trouve toujours intéressant de se repencher sur les premières œuvres de réalisateurs qui vont s’illustrer au fur et à mesure dans leur carrière. Ronny Yu, comme Johnnie To par exemple, a eu une reconnaissance assez tardive. En 1993, « The Bride with White Hair », chef d’œuvre du film de sabre rivalisant avec les meilleurs Tsui Hark, révèle un véritable auteur se découvrant virtuose : une mise en scène grandiose, des acteurs très bien exploités et une beauté plastique époustouflante pour les standards de l’époque. On peut retrouver ces trois caractéristiques dans « The Servant ». La mise en scène est très moderne, très inspirée par les modèles occidentaux : on est très loin du style hongkongais de la fin des années 70 qui consistait à faire des zoom arrière ou avant très rapide pour montrer l’action (très présent dans les Shaw Brothers par exemple). Ici, on est dans un style quasi documentaire avec une caméra fixe ou portée s’attardant uniquement sur le principal. C’est pareil pour les acteurs qui sont en général en roue libre dans ce genre de production. Dans « The Servant », ils sont très bien dirigés : Paul Chu et Philip Chan, dans les rôles principaux, sont très justes et arrivent très bien à faire ressentir aux spectateurs la psychologie et les sentiments de leurs personnages. Ils apparaissent de plus très humains car le réalisateur a eu la bonne idée de montrer leurs différents problèmes en dehors de leur boulot. On n’échappera malheureusement pas à quelques moments niais lors de scènes romantiques assez inutiles. Michael Chan apparaît lui aussi très crédible en tueur égorgeant ses victimes à l’aide d’un rasoir. Les fusillades sont très réalistes et violentes. Elles sont en général très courtes mais assez intenses, mis à part le final qui, lui, dure un bon quart d’heure. On est en tout cas loin du standard « A Better Tomorrow » (surenchère à tous les niveaux, lyrisme…) imposé par John Woo aux polars dans le milieu des années 80.
N’oublions pas le côté visuel du film, très travaillé : les décors sont très bien choisis, on est toujours dans ces ruelles sales de Hong-Kong, la photo très réaliste renforce cet aspect brut et choc, les prises de vues sont précises et adéquates. Pour un premier film, on ne peut que féliciter Ronny Yu qui s’en sort avec les honneurs (il faut dire qu’il était très bien entouré). Un regret néanmoins avec le look des personnages un peu rétro et daté aujourd’hui (coupes de cheveux et costumes surtout). Un petit mot sur la musique de Joseph Koo dont un des thèmes rappelle furieusement celui du « Syndicat du Crime ». J’ai également remarqué que le producteur du film n’est autre que William Ho, connu comme acteur pour ses débordements sadiques dans des catégories 3 cultes comme « Daughter of Darkness » ou « Escape from Brothel ». Il retrouvera Ronny Yu dix ans après avec « China White ».
Durant une interview dans HK magazine, Ronny Yu disait qu’il était arrivé dans le cinéma par hasard et qu’il n’y connaissait absolument rien lorsqu’il a tourné « The Servant ». Force est de constater que pour un premier film et quelqu’un qui n’y connaissait rien, il s’en sort admirablement bien. On serait plus proche, en qualité, de « Butterfly Murders » de Tsui Hark (sorti quasiment en même temps) que du très mauvais « Enigmatic Case », le premier film de Johnnie To. D’ailleurs, ce dernier saura par la suite trouver sa voie pour nous donner tous les chefs d’œuvre récents qu’on lui connaît. Il est intéressant de voir que, dès son premier film, Ronny Yu fait preuve de talent pour la mise en scène. Il renouvellera brillamment l’expérience un an après, avec l’excellent « The Saviour ». Sa carrière sera ensuite en dent de scie, alternant le très bon (« Legacy of Rage », « Bless this House »), et le moins bon (« The Occupant », « Postman Strike Back ») jusqu’aux superbes « Bride With White Hair » et « Phantom Lover ». Ce très beau parcours l’amènera à partir travailler pour Hollywood. Ronny Yu, même sans être l’un des plus doué, est un des réalisateurs de Hong-Kong que j’apprécie le plus.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Traité avec beaucoup de réalisme ♥ Des personnages intéressants ♥ La mise en scène ♥ L’action sèche et brutale |
⊗ Quelques moments niais ⊗ Look un peu vieillot aujourd’hui |
« The Servant » est un film culte de par son histoire et ce qu’il a amené. Il est aussi un excellent film que je recommande à tous les amateurs de films de Hong-Kong. Dans le style, il est très proche de « Jumping Ash » de Leung Po-Chi, pour ceux qui connaissent. Un polar à découvrir… |
Titre : The Servants / 牆內牆外
Année : 1979
Durée : 1h30
Origine : Hong Kong
Genre : Policier / Drame
Réalisateur : Ronny Yu, Phillip Chan
Scénario : Joyce Chan, Phillip Chan, William Ho, Ronny Yu
Acteurs : Paul Chu, Michael Chan, Terry Hu, Phillip Chan, Nick Lam, Melvin Wong, Cheung Mei-Lian, Chan Chik-Wai, Lee Yin-Ping, Johnny Koo, Yu Wing-Chuen