Les corps d’un homme et d’une femme sont retrouvés pendus dans une forêt. La police suspecte rapidement des attardés mentaux de la région. Une amie de la famille décide de mener sa propre enquête et découvre bientôt l’horreur…
Avis de Eric Draven :
« The Secret » est une date importante dans l’histoire du polar de Hong-Kong. Tourné en 1979, il est le premier film d’Ann Hui. Mais il est aussi un des premiers films de la nouvelle vague hongkongaise, menée entre autre par Tsui Hark (qui tourna son premier film la même année), Yim Ho (qui avait déjà tourné « The Extra » l’année d’avant), Patrick Tam et tous les autres. A partir de là, un grand virage est amorcé. Ces jeunes réalisateurs (issus de la télévision pour la plupart) vont transformer les codes déjà établis : ils n’hésitent pas à mélanger les genres (« The Secret » est un mélange de polar et de surnaturel, « Butterfly Murder » de fantastique, de wu xia pian et même d’enquête policière à la Hitchcock), les films sont plongés dans un univers glauque, deviennent politiques et abordent de front l’angoisse de la rétrocession de 1997. De plus, l’influence du cinéma étranger se fait ressentir dans la plupart de leurs œuvres (notamment chez Kirk Wong). La révolution était en marche et « The Secret » en fut son premier représentant.
L’histoire du film a été inspirée d’une véritable histoire criminelle qui a eu lieu dans les années 70. Suite au meurtre d’un couple de jeunes gens pendus dans une forêt, Lin Ming (Sylvia Chang), une infirmière connaissant la famille des victimes, décide de mener sa propre enquête. Son investigation va l’amener sur une piste terrifiante, dépassant de loin le simple homicide… La première impression laissée par le film nous amène à croire que Ann Hui, pour son premier film, maîtrise totalement son sujet et sa mise en scène. Son expérience pour la télévision, notamment la série (très noire) ICAC en 1977, l’a sûrement beaucoup aidée sur ce projet. Les nombreux flash-back ne nous perdent quasiment jamais (à part peut-être au début) et aident à entretenir un suspense efficace. Cela confère au film une construction par ailleurs très étonnante et peut dérouter quelques fois le spectateur. Les personnages, eux aussi très nombreux, sont parfaitement définis et exploités. Le scénariste du film n’est autre que Joyce Chan, à qui l’on doit notamment la magnifique adaptation cinéma de « Christ of Nanjing ». A noter qu’il a participé à de nombreux scénarios pour des réalisateurs de la nouvelle vague (« Nomad », « Spooky Bunch »…).
Le casting est excellent, très bien adapté aux personnages. Beaucoup d’acteurs connus apparaissent dans le film. Alex Man hérite de son premier rôle au cinéma. Même si son personnage n’apparaît pas beaucoup à l’écran, il a néanmoins un des rôles clés. Norman Tsui interprète un attardé mental et s’en sort plutôt bien car le rôle n’était pas évident. Dans les seconds couteaux, nous pouvons voir George Lam (qui retrouvera Ann Hui trois ans plus tard pour « Boat People »), Kenneth Tsang dans le rôle d’un policier ou encore le réalisateur David Lam (« Women Prison » ou « Asian Connection » par exemple). Sylvia Chan hérite du rôle principal. Bien que je ne sois pas un grand fan de la dame, il faut avouer qu’elle est tout simplement magnifique et rend son personnage attachant, fragile et humain.
Le mélange d’influence orientale et occidentale se fait sentir durant toute la durée du film. Ann Hui a étudié le cinéma à l’étranger, sa mise en scène est moderne, très complexe au premier abord. Le film doit beaucoup aux films européens et américains dans la manière de filmer, réaliste (quasi-documentaire on pourrait dire), et de conduire le récit (codes narratifs tous empruntés au cinéma occidental). On peut aussi remarquer l’utilisation d’une musique de Delerue pour souligner une scène clé. A cela s’ajoute toutes les croyances chinoises sur les esprits ou le surnaturel. La réalisatrice nous fait rentrer dans un monde impressionnant, où se côtoient fantômes du passé, superstitions, rituels chinois ancestraux et références à des symboles de morts, de malédictions (voir le superbe générique dans lequel deux poupées de jeunes mariés sont brûlées lors d’une messe rituelle), ou sur la renaissance. Sur ce dernier point, l’éprouvant final du film ne laisse planer aucun doute quant à l’intention de Ann Hui à propos de son film (mort – renaissance). La superbe photographie renforce ce côté très noir propre au film. En cassant le moule du polar établi par la production locale, Ann Hui signe un film fort, prenant et dérangeant. Elle dépeint un univers noir et désespéré, trouvant une continuité dans son film suivant « Story of Woo Viet ». Elle enfoncera complètement le clou dans son chef d’œuvre ultime « Boat People ». On peut souligner que cette noirceur et ce pessimisme se retrouvent dans quasiment toutes les premières œuvres des réalisateurs de la nouvelle vague: « L’Enfer des Armes » pour Tsui Hark, « Nomad » pour Patrick Tam ou encore « Long Arm of the Law » pour Johnny Mak.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Le début de la nouvelle vague ♥ Très bon casting ♥ L’univers noir et désespéré ♥ Mise en scène moderne pour l’époque |
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Note : | |
The Secret est un film immanquable, pour ses qualités cinématographiques, mais aussi pour la place qu’il tient dans l’histoire du cinéma de Hong Kong. |
Titre : The Secret
Année : 1979
Durée : 1h30
Origine : Hong Kong
Genre : Policier Paranormal
Réalisateur : Ann Hui
Scénario : Joyce Chan
Acteurs : Sylvia Chang, Angie Chiu, Norman Tsui, Lai Cheuk-Cheuk, Lee Sye-Sook, Alex Man, Lo Kwok-Hung, Kenneth Tsang, George Lam, Ng Tung, Lai Siu-Fong