[Film] Tetris, de Jon S. Baird (2023)


L’incroyable histoire du plus populaire des jeux vidéo et comment il a rencontré la ferveur des joueurs du monde entier. Henk Rogers découvre Tetris en 1988 et risque le tout pour le tout lorsqu’il se rend en URSS, où il s’allie à Alexey Pajitnov, pour faire connaître le jeu au monde entier.


Avis de Cherycok :
Les adaptations de jeux vidéo en film, voilà un sujet qui a maintes fois été traité. Tout le monde ne finit pas d’accord sur la liste de films qui seraient de bonnes adaptations, mais le constat est le même : peu d’adaptations valent au final le détour. Développant parfois leur propre scénario en adaptant un univers vidéoludique, ou transposant d’autres fois le scénario du jeu tel quel, il est vrai qu’il est parfois difficile de trouver ne serait-ce qu’une qualité à ces tentatives d’adapter quelque chose dans lequel on est actif (manette ou clavier/souris en main) à quelque chose où on est passif (assis sur un siège de cinéma ou son canapé à simplement regarder). Alors lorsqu’il y a quelques mois, l’annonce d’un film basé sur le jeu Tetris a fait son apparition, cela a laissé beaucoup de monde assez perplexe. Comment adapter un jeu dont le principe est simplement de faire des lignes avec des formes venant du haut de l’écran et descendant petit à petit vers le bas ? Comment adapter un jeu qui n’a aucun scénario et dont tout est basé sur le gameplay ? Et pourtant, ils l’ont fait. Ils l’ont même sacrément bien fait et l’idée de partir sur toute l’histoire qui se cache derrière le jeu vidéo Tetris, un des jeux vidéo les plus populaires de tous les temps, plutôt que sur le jeu lui-même était clairement la meilleure solution.

L’histoire qui se cache derrière le jeu vidéo Tetris était déjà connue de certains. Des sites avaient déjà parlé du sujet, tout comme certains Youtubeurs qui s’étaient penchés sur la chose. Et c’est une histoire des plus complexes ! Il va être ici question de droits, divisés entre le marché PC, Arcade, Consoles, Consoles portables, de concurrence à une époque où le jeu vidéo relevait la tête après le crash du géant Atari de 1983, de la difficulté de traiter à l’époque avec l’URSS communiste où une majorité des biens intellectuels appartenaient à l’État, d’arnaques, de mensonges, d’entourloupes et autres personnes qui risquaient leur vie. Cette adaptation de Tetris va être structurée comme un thriller en pleine Guerre Froide, comme un film d’espionnage dans les années 80 où passer des accords avec l’URSS même pour un simple jeu vidéo ne vous garantit pas de sortir en un seul morceau des négociations. La vision du réalisateur Jon S. Baird et du scénariste Noah Pink va bien entendu tordre un peu la réalité sur certains points, exagérant certains traits pour plus de sensationnalisme, mais aussi pour apporter une vision amusante et palpitante à cette histoire. Il va surtout nous exposer la quantité d’obstacles qui vont se dresser sur le chemin du personnage principal, parfois simplement pour passer un coup de fil à l’international depuis Moscou, d’autres fois pour éviter d’être arrêté par le KGB. Les clichés sur l’URSS, bien qu’ils ne sortent pas de nulle part, sont ici tous exposés, parfois tournés en dérision, mais toujours dans l’optique de ne pas proposer un biopic froid comme cela est souvent le cas. Car oui, derrière son statut d’adaptation d’un jeu vidéo sous forme de thriller d’espionnage se cache un biopic, celui de Henk Rogers, qui s’est battu corps et âme pour avoir les droits d’exploitation du jeu vidéo Tetris et qui, des années plus tard, en collaboration avec Alexey Pajitnov, le programmeur originel de Tetris, créera la Tetris Company qui existe encore de nos jours. Ce biopic est divisé en quatre chapitres, baptisés Level pour mieux coller à l’esprit du jeu vidéo et à chaque fois que le personnage de Henk Rogers se rapproche un peu plus de l’acquisition des droits malgré les embuches, nous comprenons qu’il monte un niveau.

La mise en scène de Jon S. Baird est des plus sympathiques. Même si on n’évite pas le gros cliché de la photographie plus fade, plus terne, dès que l’action se passe en URSS, et que certaines scènes soient un peu plan-plan avec un aspect un peu trop téléfilm, on est dans quelque chose de plutôt efficace. Le réalisateur va tout mettre en œuvre pour rendre les scènes les plus statiques (par exemple lors des négociations de droits) les plus dynamiques possibles. Il va également ajouter un aspect rétro à son film avec par exemple des transitions entre les scènes façon pixel art superposés aux plans d’ensemble en prise de vue réelle, procédé qu’on retrouvera lors de la course poursuite finale pour un rendu des plus agréables pour qui a grandi dans les années 80/90. Il va jouer avec ce procédé comme s’il voulait donner l’impression au spectateur d’être au cœur d’un jeu vidéo de cette époque. Même procédé au niveau de la musique composée quasi exclusivement avec le célèbre thème de Tetris qui va être détourné à toutes les sauces en fonction de ce qui se passe à l’écran. Si tout se tient et propose même un très bon spectacle à mi-chemin entre le biopic, la comédie et le film d’espionnage, c’est aussi grâce aux personnages charismatiques et au talent des acteurs qui les interprètent. Taron Egerton (Kingsman, Rocketman) est tout bonnement excellent en homme à l’esprit vif qui arrive à se sortir de toutes les situations. On sent qu’Egerton s’amuse et, en tant qu’amateur de jeu vidéo, il doit probablement ressentir un plaisir incommensurable à jouer dans cette adaptation d’un jeu culte qui a encore aujourd’hui un impact dans le domaine vidéoludique. Mais de manière générale, c’est tout le casting qui arrive à rendre les personnages crédibles, tout comme le fait que chacun va parler dans sa langue d’origine, quitte à ajouter des personnages de traducteurs dans les scènes pour encore plus de réalisme. Lorsqu’on se renseigne sur la véritable histoire de Tetris, on se rend compte que, effectivement, certaines choses sont romancées ou pas tout à fait exactes. Mais de manière générale, les personnages sont assez proches, aussi bien physiquement que dans leur façon d’être, et le côté abracadabrantesque des péripéties du film, bien qu’exagéré afin de donner au film des allures de film d’espionnage, était bel et bien là. Oui, l’histoire de Tetris méritait clairement un film, et celui de Jon S. Baird s’en sort avec les honneurs.

LES PLUS LES MOINS
♥ Le casting
♥ La structure du scénario
♥ La montée en tension
♥ Les effets pixel art
♥ L’humour
⊗ Une mise en scène parfois plan-plan
⊗ Des clichés qui persistent

Alors qu’il semblait impossible d’adapter Tetris au cinéma, le résultat est pourtant bel et bien là : Tetris le film est sans doute une des meilleures adaptations de jeu vidéo en film. Il y a des défauts, certes, mais le résultat est hautement divertissant.

LE SAVIEZ VOUS ?
• Les vrais Henk Rogers et Alexey Pazhitnov ont relu le scénario, et Rogers a déclaré qu’une grande partie était embellie : « C’est un scénario hollywoodien, c’est un film. Il ne s’agit pas d’histoire, donc beaucoup de choses [dans le film] ne se sont jamais produites. Mais les réalisateurs nous ont posé un tas de questions sur ce qui s’est réellement passé… Ils ont fait de leur mieux pour accepter nos changements lorsqu’ils avaient trait à l’authenticité. Mais lorsqu’ils ont commencé à s’intéresser à [des éléments créatifs comme] la poursuite en voiture et tout le reste, ils se sont dit : « OK, maintenant, c’est eux tout seuls. Nous ne pouvions plus rien changer. »

• Au début du film, Henk raconte que lorsqu’il dort, il peut encore voir les pièces de Tetris dans ses rêves. Il s’agit en fait d’un phénomène réel appelé « effet Tetris ». Ce terme a été inventé par le journaliste Jeffrey Goldsmith en 1994 pour décrire le fait qu’une chose sur laquelle une personne se concentre pendant de longues périodes commence à apparaître dans ses pensées, ses perceptions et ses rêves.

• Tetris (1984) a été le jeu vidéo le plus vendu de tous les temps de 1993 à 2020, date à laquelle il a été dépassé par Minecraft (2009). Il convient toutefois de noter que ce chiffre inclut tous les portages du jeu, qui varient techniquement d’une version à l’autre. La défunte version mobile développée par EA s’est vendue à elle seule à plus de 100 millions d’exemplaires, ce qui en fait le troisième jeu le plus vendu après Minecraft et Grand Theft Auto V (2013). La franchise Tetris dans son ensemble s’est vendue à près de 500 millions d’exemplaires, ce qui en fait la deuxième franchise de jeux la plus vendue après Mario.

• Pour éviter que le projet ne soit considéré comme un film pour enfants, en étant classé U pour « aucun matériel susceptible d’offenser ou de blesser » (l’équivalent britannique de la classification « G »), Noah Pink a intentionnellement ajouté des blasphèmes au scénario.



Titre : Tetris
Année : 2023
Durée : 1h58
Origine : U.S.A / Angleterre
Genre : Adaptation pas comme les autres
Réalisateur : Jon S. Baird
Scénario : Noah Pink

Acteurs : Taron Egerton, Mara Huf, Miles Barrow, Rick Yune, Nikita Efremov, Toby Jones, Natalia Gonchar, Oleg Stefan, Roger Allam, Anthony Boyle, Ayano Yamamoto

Tetris (2023) on IMDb


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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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