Mohan est un expatrié indien vivant aux Etats-Unis. Il occupe un poste à haute responsabilité à la NASA. Le jour de l’anniversaire de la mort de ses parents, il prend soudain conscience qu’il a laissé au pays la femme qui l’a élevé comme une mère. A un moment important dans sa carrière professionnelle, il prend le risque de partir précipitamment dans son pays d’origine pour retrouver la vieille femme…
Avis de Laurent :
En 2001, Lagaan marque une véritable révolution dans la longue quête de la popularisation du cinéma des studios de Bombay en dehors de ses frontières. Et ce, grâce à une alchimie savamment dosée entre exotisme, fresque historique, chorégraphies millimétrées et interprétation irréprochable. La suite, on la connaît : succès à la fois critique et dans les salles de cinéma bien au-delà des quelques curieux illuminés habituels. Il aura fallu patienter trois longues années pour retrouver Ashutosh Gowariker derrière la caméra, c’est dire que le réalisateur était attendu au tournant. Pour ce retour, il nous présente l’Inde comme rarement on l’avait vue à l’écran jusqu’à présent en mettant en valeur sa complexité, sa diversité et ses difficultés. Mohan Bhargay (Shahrukh Khan) interprète le rôle d’un N.R.I. (Non Returning Indian) qui a réussi aux États-unis en étant chef de projet à la NASA. Sa vie est partagée entre le luxe et le confort jusqu’au jour de l’anniversaire de la mort de ses parents. Il réalise alors qu’il a complètement oublié sa nourrice Kaveriamma (Kishori Balal) qui l’a élevé comme une mère et qui est restée seule au pays. C’est pourquoi, quelques semaines avant le lancement d’un nouveau satellite, il prend le risque de venir chercher la vieille femme en pleine Inde rurale pour l’emmener vivre avec lui dans son pays d’accueil. Le voilà enfin parti à la redécouverte de ses racines.
Ashutosh Gowariker prouve une fois de plus qu’il fait partie des très grands avec la mise en image de cette histoire simple, intelligente, touchante et ludique. Le réalisateur réussit à expliquer à ses spectateurs, sans ménagement mais avec beaucoup de tendresse, pourquoi un pays avec autant d’atouts continue à tourner en rond alors que le reste du monde se développe autour de lui. Pour que la démonstration puisse gagner en crédibilité et en neutralité, Ashutosh Gowariker prend du recul par l’intermédiaire de son personnage principal : l’expatrié interprété par Shahrukh Khan. Ce dernier découvre, petit à petit, quelles sont ses vraies valeurs. Son personnage décalé sera utilisé pour combattre le poids de la tradition qui gangrène le développement du pays. Ainsi il dénonce, sans aucune agressivité, les aberrations que peuvent être la division des castes, la condition de la femme, l’analphabétisation, les problèmes environnementaux et la fuite des cerveaux. Le tout en gardant la base d’un film populaire indien, c’est-à-dire sans négliger la romance, le drame, la chanson et la comédie nécessaires pour cartonner au box-office local. Cette réussite incontestable peut être résumée par une scène remarquable et pleine de symbolisme. Lors d’une séance de cinéma en plein air, un écran blanc divise deux classes de la population d’un village. D’un côté de l’écran se tiennent les gens aisés et instruits et de l’autre, en projection inversée, la classe la plus misérable et illettrée. Avec un Shahrukh Khan au milieu qui fait son show pour réconcilier le peuple indien et lui faire briser les barrières invisibles de la différence.
La redécouverte de l’Inde de Mohan sera enrichie par un extraordinaire passage typé road movie qui sera la base de son apprentissage. Il retrouvera les valeurs de son pays de naissance, qu’il a inconsciemment mises de côté, à travers un long et douloureux périple où il va partager un vieux bus, prendre le train, rouler sur des pistes poussiéreuses à trois sur une mototaxi et enfin naviguer sur une embarcation de fortune. On retrouve la transformation de son personnage à la fois dans son comportement et dans sa façon de se vêtir. Tout d’abord habillé à l’occidental il loge dans un imposant camping-car le faisant difficilement passer inaperçu dans son village d’accueil. Il adoptera ensuite le costume traditionnel, utilisera les transports locaux, redécouvrira la nourriture locale et tombera amoureux de Gita, une indienne émancipée, interprétée par la débutante Gayatri Joshi qui crève l’écran de par sa plastique irréprochable. Viennent s’ajouter à cela une longue liste de personnages secondaires colorés qui apportent une touche d’authenticité indispensable à la réussite de Swades.
Les passages musicaux n’ont rien de spectaculaires, Ashutosh Gowariker préférant privilégier des danses plutôt intimistes. Et pour ce faire, il reprend le duo gagnant de Lagaan, à savoir A. R. Rhaman pour la musique et Javed Akhtar pour les paroles, deux grands compositeurs responsables de la plupart des nombreux classiques actuels. On a même pu découvrir A. R. Rhaman dans Lord Of Wars (réalisé par Andrew Niccol) sur le thème « Bombay Song ». Les grands titres qui constituent la moelle épinière de Swades sont nombreux. « Yun Hi Chala Chal » est un duo entre Shahrukh Khan et un vagabond dans un camping-car assez savoureux ; surtout qu’il s’agit du premier contact de Mohan avec le monde rural. « Yeh Tara Woh Tara » est sûrement le passage le plus intéressant du film où Shahrukh Khan s’adresse seul à la population du village qui l’accueil pour réconcilier tous les villageois. C’est réellement le moment où il se fait adopté par ses hôtes. Très minimaliste au niveau de la chorégraphie, toute une figuration quasiment statique (seuls les enfants prennent part à la danse histoire de se démarquer de l’ancienne génération inhibée par l’enjeu de l’évolution de la tradition), l’essentiel se situe au niveau du jeu entre l’ombre et la lumière. « Saanwariya » est interprétée par Gayatri Joshi qui révèle les sentiments qu’elle éprouve à l’égard de Mohan. Cette chanson accompagne une bonne partie de la séquence road movie, c’est-à-dire toute la découverte de l’Inde insolite, sa richesse picturale, ses décors photogéniques inédits que l’on découvre en bus, en bateau ou à pied. Un moment d’une émotion intense qui marque forcément le voyageur qui a eu la chance de découvrir cette Inde rurale. La beauté du paysage est à la hauteur de la douceur de la chanson. « Pal Pal Hai Bhaari » est une scène de spectacle traditionnel prétexte à une débauche de couleurs, de lumières et de danses traditionnelles. Cela ressemble davantage à ce que nous a habitués Ashutosh Gowariker dans Lagaan au niveau visuel mais aussi au niveau de la composition musicale. Moins intimiste, mais plus travaillée avec une maîtrise de l’espace millimétrée et une figuration monumentale parfaitement calculée. « Yeh Jo Des Hai Tera » marque le retour de Mohan aux Etats-Unis avec une superposition d’images des plus beaux moments qu’il a vécus en Inde. Une musique envoûtante sur des images émouvantes marquera définitivement la mémoire du spectateur qui aimerait choisir à la place de Mohan pour lui éviter une hésitation aux conséquences dramatiques.
La présence de Shahrukh Khan est étonnante dans Swades, surtout lorsque l’on voit le genre de productions formatées et inintéressantes dans lesquelles il s’enferme depuis quelques années (Paheli et Kaal pour ne citer que les plus récentes). Acteur de plus en plus caricatural, qui décroche de plus en plus difficilement de ses trois expressions favorites (Shahrukh Khan qui rit, Shahrukh Khan qui pleure et Shahrukh Khan embarrassé), il retrouve ici une simplicité et une naïveté, tout à son honneur, que l’on croyait définitivement perdues depuis les merveilleux Kuch Kuch Hota Hai, Dil Se ou autre Dilwale Dulhania Le Jayenge. Une vraie bouffée d’oxygène dans sa filmographie récente qui prouve qu’il peut être très bon lorsqu’il y a une bonne direction d’acteurs derrière lui … et c’est là que l’on voit l’importance d’un réalisateur respecté comme Ashutosh Gowariker qui ne se fait pas prendre au piège par la personnalité encombrante de Shahrukh Khan.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Shahrukh Khan ♥ L’émotion que procure le film ♥ La mise en scène impeccable ♥ Le message du film |
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Véritable bijou basé sur de l’émotion pure et facile, Swades ne peut laisser indifférent de par sa sincérité et son message tout en finesse sans le patriotisme gonflant des productions actuelles. Aucune surenchère, aucune débauche de richesse et de vulgarité. Juste une réflexion sur la vie et la mise en avant des avantages apportés par la diversité culturelle. Swades est un chef d’œuvre d’une force ravageuse, un film intelligent qui remplit aussi son cahier des charges d’œuvre commerciale. |
Titre : Swades : Nous le Peuple / Swades / स्वदेस
Année : 2004
Durée : 3h30
Origine : Inde
Genre : Drame / Romance / Road Movie
Réalisateur : Ashutosh Gowariker
Scénario : Ashutosh Gowariker
Acteurs : Shahrukh Khan, Gayatri Joshi, Raja Awasthi, Vishwa S. Badola, Kishori Balal, Rajesh Balwani, Makrand Deshpande, Vishnudatt Gaur, Farrukh Jaffar