Signe vit dans l’ombre de son petit ami Thomas, à qui tout réussit. En manque d’attention, elle décide de faire croire à son entourage qu’elle est atteinte d’une maladie rare. Mais le mensonge fonctionne un peu trop bien, et elle est vite prise à son propre piège.
Avis de Cherycok :
Autant j’aime bien regarder des films que je qualifierais de « confortables », dans lesquels on se sent comme au coin du feu avec des chaussons douillets, autant j’aime bien les films grinçants, qui mettent mal à l’aise soit visuellement, soit par leur propos. Alors forcément, après visionnage de la bande annonce, Sick of Myself, le 2ème film du norvégien Kristoffer Borgli après Drib en 2017 et tout un tas de courts métrages, a titillé ma curiosité. Présenté pour la première fois en 2022 à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, mais auréolé depuis de 7 récompenses et 9 nominations dans divers festivals, Sick of Myself est un film souvent malaisant, qui ne caresse jamais dans le sens du poil. Un film politiquement incorrect qui va gratter là où ça fait mal, qui va prendre le narcissisme présent en chacun d’entre nous et qui va l’exacerber. Oui, Sick of Myself est une satire de notre société qui malgré un ton très léger dans sa forme ne l’est pas du tout dans son fond. Un film qui va sonder l’obscurité qu’il y a au fond de l’humanité, en s’attardant sur les névroses de son héroïne « malade d’elle-même ».
Signe, c’est une jeune fille, serveuse, jalouse de ne jamais être le centre d’attraction, dans sa vie en général mais aussi et surtout pour son petit ami. Elle va commencer à faire en sorte que les gens la regardent, la mettent sur un piédestal. D’abord avec des mensonges, comme s’inventer des allergies lors d’un diner mondain, ou une déformation de la vérité lorsqu’elle aide une personne blessée. Puis lorsque les mensonges ne suffisent plus, ça va aller loin, plus loin, trop loin, jusqu’à l’automutilation et bien pire que ça. Si ça impacte le regard des autres, c’est bien pour elle. Elle va prendre des médicaments controversés dont l’effet secondaire est de provoquer de très graves problèmes de peau. Elle se dit que si les gens se mettent à la plaindre, c’est qu’ils s’intéressent à elle. Qu’on inspire de l’empathie ou du dégoût, on devient dans les deux cas le centre d’attention. En plus de son apparence physique qui petit à petit va changer, tout cela va lui revenir dans la gueule comme un boomerang. Le problème de Signe nous est présenté très rapidement, par des regards plein de jalousie, par une tête blasée de telle ou telle situation, et on imagine que cela fait déjà quelques temps que ça la ronge. Très rapidement, suite à l’abus des médicaments, son esprit malade va en quelques sortes se matérialiser sur son corps et Signe devient petit à petit une femme littéralement bouffée par son égocentrisme. Oui, Sick of Myself parle d’égocentrisme, mais aussi de jalousie, d’excès, d’engrenage, d’extrême folie. L’histoire d’une jeune fille qui a juste envie qu’on la regarde mais qui va s’y prendre de la pire des façons, s’enfonçant toujours plus profond. Jusqu’où est-on prêt à aller pour que les gens s’intéressent à nous ? C’est la question que pose Sick of Myself, un film dérangeant, parfois assez perturbant, qui risque d’en remuer certains car à aucun moment il ne cherche à mettre à l’aise le spectateur.
Le casting est absolument génial, en particulier Kristine Kujath Thorp (Ninjababy, The North Sea) qui porte tout le film sur ses frêles épaules. Tête à claques du début à la fin, tout comme Eirik Saether (Munch) qui incarne son petit ami, on n’a d’autre choix que d’avoir de l’empathie pour eux, ou de la pitié, qu’importe à vrai dire, mais une attention quelle qu’elle soit. On les plaint et c’est ce que veut le personnage principal. Ces personnages pathétiques sont drôles malgré eux et certaines scènes font preuve d’un humour extrêmement noir. La transformation du personnage de Signe est proche du bodyhorror. Les maquillages de la dégradation de son corps au fur et à mesure que le film avance sont sincèrement réussis et mettent eux aussi mal à l’aise au point qu’il est parfois difficile de ne serait-ce que regarder le personnage. On peut sans problème faire le parallèle entre Sick of Myself et la société d’aujourd’hui, une société malade où tout passe par la notoriété, où les gens sont capables de tout pour avoir leur petit moment de gloire, souvent à cause des réseaux sociaux. Une société narcissique de A à Z où les gens ont ce besoin absurde d’être au centre de l’attention, d’exister aux yeux des autres. Bien entendu, nous sommes ici dans une satire qui grossit volontairement les choses, une satire qui tire à boulets rouges sur notre société, mais qui n’est parfois pas si éloignée que ça de la réalité tant on peut lire ci et là des choses improbables sur ce que sont capables de faire les gens qui ont envie d’exister aux yeux de tous. On regrettera seulement que le scénario de Sick of Myself soit un peu trop balisé. Le film va là où il doit aller et là où on pense qu’il va aller sans jamais au final nous surprendre quelque peu. Mais qu’importe, il marque les esprits et le pari est réussi.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Un excellent casting ♥ L’humour très noir ♥ La satire réussie ♥ Mise en scène sobre mais efficace ♥ Le contraste forme / fond |
⊗ Scénario balisé ⊗ Risque d’en rebuter certains |
Sick of Myself est un film caustique, grinçant, au ton corrosif, qui appuie là où ça fait mal. Malgré son ton léger apparent, la satire fait froid dans le dos et, bien qu’il soit un peu trop balisé, le film est une réussite et Kristoffer Borgli un réalisateur à suivre. |
LE SAVIEZ VOUS ?
• Kristine Kujath Thorp a remporté le prix de la Meilleure Actrice pour ce film au Dublin International Film Festival.
• Le réalisateur à propos du film : « L’histoire est née d’une série d’observations, un tas de détails, autant culturels que personnels. Une tendance éphémère venait d’émerger : une sorte de romantisation permanente de la souffrance qui s’est immiscée dans les relations sociales jusqu’au sein des entreprises. J’ai trouvé que c’était un sujet intéressant à creuser pour raconter une histoire. »
Titre : Sick of Myself / Syk Pike
Année : 2022
Durée : 1h37
Origine : Norvège
Genre : Regardez-moi !
Réalisateur : Kristoffer Borgli
Scénario : Kristoffer Borgli
Acteurs : Kristine Kujath Thorp, Eirik Saether, Fanny Vaager, Sarah Francesca Braenne, Fredrik Stenberg Ditlev-Simonsen, Steinar Klouman Hallert, Ingrid Vollan