[Film] Profile, de Timour Bekmambetov (2018)

Une journaliste freelance crée un profil Facebook pour enquêter sur les méthodes de recrutement de l’État Islamique. Construit uniquement avec les écrans d’ordinateurs et téléphones portables des protagonistes, et inspiré d’une histoire vraie.


Avis de John Roch :
Dans la peau d’une djihadiste : Enquête au cœur des filières de recrutement de l’État islamique est un livre paru en 2015 dans lequel une femme, sous le pseudonyme de Anna Erelle, racontait comment elle avait réussi à entrer en contact avec des recruteurs djihadistes sur les réseaux sociaux afin de comprendre leurs méthodes pour embrigader de jeunes Européens. Un livre, traduit en une dizaine de langues qui aura valu à la journaliste une fatwa, qui sera adapté en 2018 sous la forme d’un long métrage réalisé par Timour Bekmambetov, le metteur en scène du diptyque Nightwatch/Daywatch et de Wanted : Choisis ton Destin (et un autre film). Pour ceux qui ont encore un traumatisme causé par le style de mise en scène de cinéaste aux milles idées à la minute, dont 997 foireuses, qu’ils se rassurent : Profile est un film qui à l’instar de Searching – Portée Disparue et Unfriended et sa suite (produits par Timour Bekmambetov justement) se déroule intégralement sur le bureau d’un PC. Profile est un Screen Reality, genre inventé par le réalisateur lui-même. Il n’y a donc pas de mise en scène à proprement parler. Regarder Profile, c’est regarder des fenêtres qui s’ouvrent, qui se ferment, des conversations audio et vidéo et des fichier MP4 qui se lancent. Il faut adhérer au concept certes, mais force est de constater que c’est la meilleure manière de raconter cette histoire de journaliste qui se crée un faux profile facebook pour entrer en contact avec un djihadiste, et encore mieux : ça fonctionne.

Amy, pigiste sur la paille, trouve un sujet en or pour une enquête qui pourrait la propulser journaliste : Les Européennes converties à l’Islam parties rejoindre les Djihadistes en Syrie. Pour ce faire elle crée un faux profil Facebook et se fait contacter par Bilel, un recruteur qui lui promet monts et merveilles. Si au début Amy, sous le nom de Melody, infiltre avec succès le réseau de recrutement djihadiste, elle va rapidement découvrir que Bilal est très fort dans son domaine et que le moindre faux pas pourrait lui couter la vie. Il est légitime d’avoir une appréhension face à Profile et son concept de screen reality, car regarder un écran d’ordinateur pendant 1h45, ce n’est a priori pas ce qui peut il y avoir de plus passionnant à voir au cinéma. Pourtant, Timour Bekmambetov réussi à clouer au siège le spectateur de la première à la dernière minute, à rendre la sonnerie de Skype flippante, et signe un final carrément terrifiant. Profile est un film haletant de bout en bout, les conversations entre Amy et Bilal sont constamment sous tension dans le sens ou n’importe quelle clique, n’importe quelle application ou fenêtre ouverte, ou une intrusion extérieure à la conversation peuvent griller la couverture de la journaliste. Et avec trois, parfois quatre intervenants en même temps, les pinceaux peuvent très vite se mélanger.

Le développement des personnages est également un point fort du métrage. Timour Bekmambetov n’en fait jamais de trop, pas plus dans la représentation des djihadistes que dans le discours des dangers d’internet et des réseaux sociaux, et peut compter sur son duo d’acteurs pour rendre Profile encore plus immersif qu’il ne l’est déjà avec un sens du détail à l’écran et une cohérence sans failles. Du bureau représenté à l’écran, aux conversations qui buguent par manque de réseau, tout à été conçu de sorte à ce que le réalisme soit de mise, avec succès. Mais revenons à ce duo qui fait des merveilles: Valene Kane est impeccable en journaliste qui se laisse peu à peu prendre au piège jusqu’à mélanger ses deux identités, jusqu’à ce que celle créée de toute pièce ne prenne le dessus ce qui ne sera pas sans dommages sur son entourage et sa personnalité. Quant à Shazad Latif, il excelle dans son rôle de manipulateur dont le charme opère non seulement sur sa proie, mais aussi quelque part chez le spectateur qui l’espace d’un instant peut s’attacher au djihadiste tout autant que l’héroïne. Traitant d’un sujet grave sans pour autant verser dans la surenchère, Profile est une réussite qui n’a que pour défaut la langue dans laquelle il a été tourné. En effet il est nécessaire d’avoir ne serait-ce que des notions d’Anglais pour rentrer complètement dans le métrage, car en plus des dialogues qui peuvent être sous titrés, c’est une tonne d’informations textuelles qui défilent à l’écran, ce qui peut expliquer que le film soit encore toujours inédit dans nos contrés (il a d’ailleurs été présenté en festival sans sous-titres). Un point légèrement fâcheux indépendant de la qualité du métrage, qui peux cependant s’avérer préjudiciable à sa découverte. Et ça, ce serait très dommage.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un film prenant du début à la fin
♥ Un métrage immersif, au sens du détail qui force le respect
♥ Une tension qui ne redescend jamais jusqu’à un final terrifiant
♥ Un concept parfaitement exploité
♥ Un sujet grave correctement traité sans verser dans la surenchère
♥ Un duo d’acteur impeccable
⊗ Il faut adhérer au concept
⊗ Pour les non anglophones, ça risque d’être un peu compliqué.

Avec Profile, Timour Bekmambetov aborde le terrorisme sous un angle intéressant avec succès. Tendu, haletant et parfois terrifiant, ce métrage toujours inédit en France traite d’un sujet sérieux sans jamais verser dans la surenchère en plus de parfaitement exploiter un concept a priori casse gueule. A découvrir, si toutefois vous n’êtes pas allergique à l’Anglais.


Titre : Profile
Année : 2018
Durée : 1h45
Origine : Angleterre
Genre : Campagne de recrutement
Réalisateur : Timour Bekmambetov
Scénario : Timour Bekmambetov, Olga Kharina et Britt Poulton

Acteurs : Valene Kane, Shazad Latif, Christine Adams, Morgan Watkins, Amir Rahimzadeh, Emma Cater, Marie Hamilton

 Profile (2018) on IMDb


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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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