Luc et Chris, son ami anglais, montent dans un taxi pour rentrer chez eux après une soirée parisienne bien arrosée. Arrivés à destination, ils s’enfuient sans payer la course. Ils sont tombés sur le mauvais chauffeur… Le taxi va se mettre en chasse toute la nuit. Mais, est-ce vraiment l’argent qu’il veut ?
Avis de Cherycok :
On sait depuis un certain temps déjà que le cinéma de genre n’a que peu de place dans l’industrie cinématographique française. Les producteurs sont frileux dès qu’il s’agit de projets qui sortent des sentiers battus et sont la cause principale de ce genre de punchline qu’on entend un peu partout : « Le cinéma français, c’est de la merde ». Non ! C’est faux ! « Le cinéma français grand public c’est de la merde », là je suis déjà nettement plus d’accord. Et à côté de ça, des réalisateurs, souvent très talentueux par ailleurs, luttent afin de récolter le budget pour concrétiser leurs projets bien plus intéressants, souvent en vain. Il ne faut pas se plaindre après si, par exemple, nos réalisateurs de films d’action se barrent aux États-Unis. Je ne dis pas par là qu’une série B française d’action venant d’un petit réalisateur sera forcément réussie, mais cet « autre » cinéma mérite qu’on s’y intéresse, surtout lorsqu’on voit le parcours du combattant de certains pour réussir à proposer autre chose qu’une énième comédie franchouillarde ou qu’un mélo larmoyant. Alors oui, parlons de Night Fare (2015) de Julien Seri.
Julien Seri, c’est qui ? Réalisateur issu de la team Besson, qu’il a dû quitter suite à quelques désaccords avec ce dernier sur le tournage des Yamakazi, à la filmographie pas des plus prestigieuses (Les fils du Vent, berk, Scorpion, bof), il a également œuvré dans pas mal de courts métrages. Grosse expérience dans la publicité puisqu’on lui doit pas moins de 400 spots dont par exemple celle du jeu « Zelda » avec Robin Williams. Mais Julien Seri, c’est surtout un amoureux du cinéma de genre qui a dû lutter contre vents et marées afin de donner vie à Night Fare (2015) après 6 projets qui manquent de voir le jour et qui lui font presque arrêter le cinéma. Soutenu par des gens tels que Matthieu Kassovitz ou Jan Kounen, il investit son propre argent ainsi que celui de quelques collaborateurs afin de permettre le début du tournage de Night Fare, essentiellement de nuit, à Paris, un tournage court puisque qu’il aura duré à peine trois semaines, écriture du scénario incluse. Afin de peaufiner le tout, un appel aux dons est lancé via la plateforme de financement participatif Ulule, ce qui lui permet de récolter en quelques jours la rondelette somme de 50000€ et de tourner certaines scènes de cascades qui n’étaient initialement pas prévues. Film pour le coup 100% indépendant, étudié pour le marché mondial puisque l’acteur principal, Jonathan Howard (Thor : Le Monde des Ténèbres), est anglais et causera dans la langue de Shakespeare du début à la fin, il bénéficiera chez nous d’une distribution chaotique et des plus confidentielles. Prévu initialement pour la fin de l’année 2015, il sera repoussé de deux mois afin de ne pas concorder avec la sortie du raz de marée Star WarsEpisode VII, et n’aura droit donc début janvier 2016 qu’à une diffusion dans un nombre réduit de salles, à peine 30 copies. Autant dire que niveau couverture médiatique, on a connu mieux. Mais qu’importe, le projet était emballé, distribué, et malgré des imperfections et des inspirations parfois un peu trop flagrantes de films tels que Duel, Collateral, Un Justicier dans la Ville et Drive, le résultat mérite qu’on s’y intéresse.
Après un début un peu longuet, pas toujours bien interprété et disons le… chiant, le film se fait rapidement plus intéressant, plus intense, plus pesant, plus haletant, plus anxiogène, lorsque s’installe un véritable jeu du chat et de la souris entre un chauffeur de taxi et deux clients qui n’ont pas payé leur course. Le scénario monte petit à petit en puissance et on sent rapidement qu’il ne s’agit pas juste d’une course poursuite et que quelque chose se cache derrière. L’ambiance flirte avec le fantastique sans jamais tomber dedans, avec ce chauffeur de taxi mutique semblant invincible, indestructible, génialement interprété par l’ancien champion de MMA Jess Liaudin qui a décidé de se reconvertir dans le cinéma, véritable (anti)héros du film tant certains des autres personnages principaux vont s’avérer détestables avec leur passé des plus douteux.
La mise en scène est le gros point fort du film. Très propre, avec de magnifiques plans aériens, des cadres soignés, une photographie nocturne de toute beauté et du plan séquence jamais prétentieux (la baston à mains nues dans la forêt par exemple), la forme est clairement maitrisée. Si ce n’est un Paris un peu trop désert pour être réaliste, le mini budget ne se ressent à aucun moment à l’écran. Les scènes d’action, bien que rares, sont efficaces, intenses, avec parfois de gros excès de violence très graphique virant joyeusement dans le gore (on pense à Kill Bill). L’ensemble est accompagné par une excellente OST lorgnant du côté de Kavinsky (accentuant le rapprochement avec le Drive de Refn) mais également de celui de John Carpenter.
Mais il y a un « Mais ». Il y en a plusieurs même. Le scénario comporte d’énormes ficelles. Comment, dans un Paris gigantesque, notre chauffeur de taxi retrouve absolument toujours ses deux proies ? On a l’impression qu’il connait à l’avance leurs déplacements. Et puis pourquoi on nous ressort le fameux flashback qui vient nous donner des pièces du puzzle dont on n’avait pas forcément besoin. Ce genre de film n’est-il pas plus percutant lorsque justement le mystère plane sur les motivations du chasseur et le passé des proies ? Et puis par-dessus tout, pourquoi ce gros revirement de situation pour le final ? Amené par une séquence animée qui pourra directement en faire décrocher certains, on est d’un seul coup déstabilisé, voire déconcerté par cette fin tirée par les cheveux. Elle n’est pas mauvaise, là n’est pas la question, mais on a l’impression que cette fin aurait pu être le sujet d’un film à part entière. Mais là, collée au reste du métrage, elle donne une sensation très étrange, comme si d’un coup on n’était plus dans le même film, en abandonnant au passage une partie des personnages qui nous ont été présentés depuis plus d’une heure…
LES PLUS | LES MOINS |
♥ La mise en scène ♥ L’OST ♥ Les scènes d’action |
⊗ Le jeu des acteurs ⊗ Le final |
Bien qu’imparfait sur bien des points, Night Fare est une série B des plus sympathiques, efficace, haletante, sincère, transpirant l’amour de son réalisateur pour le cinéma de genre. |
Titre : Night Fare
Année : 2015
Durée : 1h21
Origine : France
Genre : Vous ne prendrez plus jamais un taxi
Réalisateur : Julien Seri
Scénario : Cyril Ferment, Pascal Sid, Julien Seri
Acteurs : Jonathan Howard, Jonathan Demurger, Fanny Valette, Jess Liaudin, Edouard Montoute, Zakariya Gouram, Marinelly Vaslon, Jean-François Lenogue