Déterminé à trouver un moyen de rejoindre l’Autriche où l’attend une audition, Karim, pianiste syrien réputé, prend son mal en patience, coincé au pays par une guerre qui n’en finit pas. Ses rêves se brisent quand son précieux instrument, saisi par les soldats de l’État islamique, est détruit.
Avis de John Roch :
C’est en 2014 que Jimmy Keyrouz, étudiant en cinéma à l’université de Colombia d’origine libanaise, apprend à la télévision que l’état islamique, alors en plein expansion en Moyen Orient, interdit la musique dans les territoires sous son contrôle. Keyrouz entend également l’histoire d’un Syrien qui bravait cette interdiction en jouant du piano pour redonner l’espoir à une population en proie à la peur et à la guerre. Il s’empare du sujet et en fait le thème de son film de thèse : Nocturne In Black. Ce court métrage de 20 minutes, dans lequel un musicien part à la recherche de pièces pour réparer son piano détruit par des terroristes, est un succès et rafle des prix partout où il est présenté dont l’Oscar et le BAFTA du meilleur film étudiant. Un sujet fort, la lutte contre l’obscurantisme, que le cinéaste garde pour son premier long : Le Dernier Piano, tourné dans des conditions particulières. Coproduction Américano-Libanaise, Jimmy Keyrouz dispose d’un budget de 2 millions de Dollars. Confortable pour une production Libanaise, mais peu pour une production Américaine, ce qui est problématique pour la reconstitution d’une Syrie dévastée par les bombardements. Le réalisateur part donc filmer son film au Liban, ou quelques bâtiments portant les stigmates des guerres menées dans le pays subsistent, l’essentiel du métrage y sera tourné mais cela est toujours insuffisant. Keyrouz prend alors le risque de partir en Irak, dans la ville de Mossoul reprise à l’état islamique deux ans avant le début du tournage, non pas sans difficultés (pricipalement une histoire d’assurance). Mais ça ne s’arrête pas là, l’équipe de tournage revient d’Irak alors que le peuple Libanais est dans les rues pour réclamer la chute du régime politique au pouvoir, ce qui interrompra le tournage. Enfin la post production est perturbée par le covid, le film est donc finalisé en plein confinement à distance, notamment la musique que signe Gabriel Yared (oscarisé pour le Le Patient Anglais et césarisé pour L’Amant) en dirigeant son orchestre de Londres en visio depuis Paris. A l’arrivée, Jimmy Keyrouz signe un film qui n’est pas parfait, mais qui s’impose comme un coup d’essai et devient un réalisateur à suivre. .
Le Dernier Piano n’est pas à proprement parlé d’une histoire vraie, il s’agit plutôt d’une accumulation de faits réels dont se sert Jimmy Keyrouz pour développer son scénario, et c’est là le plus grand défaut du métrage. Non pas que cette histoire de pianiste qui à sa manière participe à la rébellion d’un peuple sous l’oppression de l’état islamique en jouant de la musique soit ratée, c’est même tout le contraire, mais ce qui gravite autour donne l’impression de regarder un point de vue extérieur au conflit qui se contente de compiler ce qu’il a vu aux informations plutôt qu’à une véritable recherche sur ce que le peuple Syrien vivait au quotidien, ce qui donne un côté un peu trop académique à l’ensemble. On se retrouve ainsi avec des scènes au final dispensable, que ce soit cette sous-intrigue avec une combattante Kurde dispensable, ou cet homosexuel jeté d’un toit, Le Dernier Piano fait bien trop écho à ce qui a fait l’actualité pour convaincre complètement, parfois au détriment de certaines idées sous exploitées (Ziad l’enfant débrouillard et son ami enrôlés par l’état islamique, du moins en apparence). Cependant, Le Dernier Piano fait preuve de qualités qui font basculer le métrage du bon côté de la balance, à commencer par son personnage principal : Karim. Campé par un impeccable Tarek Yaacoub qui devrait faire carrière (ceci dit, le reste du casting n’est pas en reste), qui reprend son rôle interprété dans Nocturne In Black, le personnage est intéressant dans le sens où il est représenté comme une personne qui ne veut pas prendre part dans un conflit ou il a pourtant sans le savoir sa part d’importance, dont le but est de quitter le pays pour rejoindre un conservatoire en Autriche.
Il s’agit ici d’une véritable quête initiatique, la destruction de son piano le menant vers une sorte d’aventure (la découverte de son but est filmée comme si un aventurier découvrait le Saint Graal) dont la finalité va le mener à combattre pour sa liberté au lieux de l’acheter, mais dans un univers totalement réaliste, renforcé par l’authenticité des décors malheureusement naturels. La mise en scène ensuite, car Jimmy Keyrouz est un cinéaste qui en a clairement dans le ventre. Que ce soit des plans contemplatifs, des plans séquences, des scènes filmées caméra à l’épaule jamais bordélique, Keyrouz montre qu’il est un réalisateur de talent, d’autant plus que techniquement le film est solide que ce soit la photographie superbe ou les SFX qui gonflent l’environnement, invisible à l’œil nu. Cette mise en scène apporte grandement au métrage, Jimmy Keyrouz s’en servant comme outil pour raconter son histoire, du plan séquence qui ouvre le film, qui montre Karim jouer du piano sous les tirs extérieurs, en passant par des plans de Mossoul qui ne peuvent être que terrifiant, au final puissant car hautement symbolique dans sa thématique originel, la lutte contre l’obscurantisme. A ce titre le plan final est parfait et conclu l’histoire d’une manière plus que satisfaisante. Non Le Dernier Piano n’est pas parfait, mais il révèle un nouveau talent qui choisit un thème puissant, car au final que ferions-nous sans la musique, voire la culture en général pour pouvoir nous évader en temps de guerre ? Comment ne pourrions-nous pas répondre à la violence par la violence sans plus aucune dite culture? Jimmy Keyrouz pose les bonnes questions, non pas sans défauts, et signe ici un coup d’essai, reste à signer un coup de maitre.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ La mise en scène ♥ Techniquement c’est solide ♥ Le casting impliqué ♥ Les décors naturels qui pour le coup font froid dans le dos ♥ Le final puissant ♥ La musique |
⊗ Des moments dispensables ⊗ Dans le fond, trop académique pour totalement convaincre |
Le Dernier Piano n’est pas parfait. Parfois dispensable dans son scénario, parfois trop académique, le métrage révèle néanmoins intéressant de par ses thématiques et révèle un cinéaste qui en a dans le ventre. Jimmy Keyrouz signe ici un coup d’essai, on attend le coup de maitre.. |
LE DERNIER PIANO est disponible en DVD chez Blaq Out. En plus du film en VOSTFR, on y retrouve une interview de Jimmy Keyrouz, et une interview croisée de Jimmy Keyrouz et Gabriel Yared |
Titre : Le dernier piano / Broken keys
Année : 2021
Durée : 1h50
Origine : Liban
Genre : La culture est importante, et ça c’est beau!
Réalisateur : Jimmy Keyrouz
Scénario : Jimmy Keyrouz, Ellie Foumbi et Moe Lattouf
Acteurs : Tarek yaacoub, Rola Beksmati, Mounir Maasri, Ibrahim El Kurdi, julian Farhat, Sara Abi Kanaan, Badih Bou Chackra, Gabriel Yammine, Hassan Mrad, Adel Karam