[Film] La Légende du Grand Judo, de Akira Kurosawa (1943)


L’an 1883, à Tokyo. Les arts martiaux sont en train de se démocratiser, et ça ne plait pas à tout le monde. Ce qui était un art auparavant, est peut-être en train de devenir une voie. Les membres d’une école de Jiu-Jitsu souhaitent donner une leçon au Maître d’une nouvelle voie, appelée Judo. Le maître en question, Shogoro Yano, sortira indemne du guet-apens. Le calme et la détermination dont il fait preuve pour se défaire de toute la horde d’adversaires venue à sa rencontre impressionnera le jeune Sugata Sanshiro, qui souhaitera alors se mettre au service de ce nouveau Maître et commencer une formation à ses côtés.


Avis de Oli :
La Légende du Grand Judo est le premier film réalisé par Kurosawa Akira. Et il s’agit là, déjà, d’un coup de maître, malgré l’époque à laquelle il réalisa son film, malgré toutes ces petites difficultés qui sont venues se greffer au projet.

Kurosawa réalisa donc La Légende du Grand Judo à une époque de grande turbulence : le Japon qui a fait un mauvais choix dans la Guerre commence peut-être à le réaliser, mais il ne s’attend pas au pire qui va néanmoins arriver. La pellicule est donc réquisitionnée pour l’effort de guerre, les artistes et les réalisateurs en particulier sont observés et souvent contrôlés par la censure. Une censure qui tranchait dans le vif, les histoires d’amour étaient ainsi très critiquées et souvent coupées, et la défaite ne devait pas être envisagée à l’écran. Curieusement, Kurosawa se sortira sans trop de dommage de cette affaire-là, son film sera censuré, c’est un fait (des cartons résumant certaines séquences du film qui paraissent manquer à l’appel apparaissent à plusieurs reprises), mais le fait de placer historiquement son film dans l’ère Meiji (1868-1912) lui a permis de prendre quelques légèretés avec cette censure et de livrer un film très éloigné des préoccupations du pouvoir à ce moment donné. L’ère Meiji marque la fin du recours à la force par les particuliers (les samouraïs), la police assoit son autorité, les femmes s’émancipent enfin quelque peu, le Japon entre sans doute dans son ère moderne. Kurosawa parvient donc à se jouer plus ou moins de la censure, et arrive à parler d’amour, de non-violence (Sugata Sanshiro n’est jamais heureux lorsqu’il remporte un combat) et de la grandeur qui peut naître de certaines défaites.

Le film parlons-en, Kurosawa adapte un roman plutôt classique, mais de cette histoire de rivalité entre deux écoles, il va tirer un grand film. Une école de Jiu-Jitsu, conservatrice, sans doute nostalgique de l’époque précédente, voit d’un mauvais œil la démocratisation des arts martiaux. Cette école, cette voie qui se modernise est incarnée par le Judo. Le grand maître en la matière, Shogoro Yano, ouvre ses connaissances à tous, et ce côté populaire est renforcé par les kimonos des disciples de son école, parfois abîmés, qui craquera même lorsque Sugata Sanshiro se mettra à genoux avant un combat. Sugata Sanshiro rejoindra donc les rangs de Shogoro Yano, et le film retrace sa formation, sa découverte de la voie du Judo et également sa découverte de lui-même, sa naissance en tant qu’homme à part entière. Un film remarquable dans sa construction, qui parvient, malgré quelques chutes de rythme, à captiver l’attention du spectateur. Quelques scènes sont absolument sublimes, notamment ce duel final à flanc de montagne, les herbes hautes battues par le vent, lorsque les personnages cachés par l’ombre d’un immense nuage seront révélés par la disparition de la dite ombre. On imagine sans peine le temps que Kurosawa a dû prendre pour assister, en décors naturels, à ce phénomène fantastique et visuellement très impressionnant. Ce duel final, alternant plans larges et plans serrés sur les visages des protagonistes, qui s’étire parfois assez longtemps sans qu’aucun des personnages ne prononce une seule parole, a sans doute inspiré de nombreux cinéastes, et bien entendu le grand Sergio Leone.

LES PLUS LES MOINS
♥ Le personnage principal
♥ Très bien construit
♥ Des scènes sublimes
♥ Le duel final
⊗ Quelques chutes de rythme
Le sens du cadre de Kurosawa s’affirme, la mise en scène regorge de moments poétiques et d’une grande puissance émotionnelle. Avec La Légende du Grand Judo, le génie de Kurosawa est plus qu’annoncé : il est déjà présent.



Titre : La Légende du Grand Judo / Sugata Sanshiro / 姿三四郎
Année : 1943
Durée : 1h20
Origine : Japon
Genre : Judo / Récit initiatique
Réalisateur : Akira Kurosawa
Scénario : Akira Kurosawa

Acteurs : Denjirô Ôkôchi, Susumu Fujita, Yukiko Todoroki, Ryûnosuke Tsukigata, Takashi Shimura, Ranko Hanai, Sugisaku Aoyama, Ichirô Sugai, Yoshio Kosugi

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Auteur : Oli

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