Une jeune femme s’éprend d’un homme marié. Leur passion va bientôt prendre des proportions insoupçonnées, et les consumer petit à petit, en les isolant du monde.
Avis de Oli :
« Il y avait quelque chose de troublant à vous donner le frisson que de voir un homme, ne disposant que du toucher, admirer la statue nue de la femme qu’il aime. Ses cinq doigts, menaçants comme les pattes d’une araignée, rampaient à la surface du marbre poli. L’homme s’attarda longtemps sur les lèvres semblables à des pétales de fleur. Puis les paumes caressèrent le reste du corps, la poitrine… le ventre… les cuisses… »
Ces quelques lignes sont tirées d’un roman. LA BETE AVEUGLE est en effet l’adaptation d’un livre éponyme de l’écrivain Edogawa Rampo. Une œuvre sortie en 1931 au Japon, mais qui n’a pas vieilli d’un iota. La plume est en effet moderne, et la trame de l’histoire est prenante de bout en bout. On ne navigue pas dans un univers à la Bret Easton Ellis, mais dans son genre Edogawa Rampo savait également choquer, et ses nouvelles rivalisaient régulièrement de violence et de perversités, de drames et d’horreurs. Mais tout cela était fait avec sensibilité et même humour, parfois. LA BETE AVEUGLE est ainsi le roman que je préfère dans la carrière littéraire de Edogawa Rampo.
La scène du livre que je cite un peu plus haut, où l’on aperçoit l’aveugle prosterné aux pieds de la statue d’Aki, est reprise à l’identique (ou presque) en ouverture du film de Masumura. Ce n’est, hélas, pas vraiment le cas du reste de l’histoire, puisque la trame dévie rapidement pour se concentrer uniquement sur les relations tendues, extrêmes et passionnelles, des deux protagonistes dans un schéma qui n’est pas sans rappeler l’histoire vraie d’Abe Sada. Aki et Michio vont ainsi explorer dans toutes leurs largeurs les mystères et délices de l’art du toucher, en repoussant d’avantage chaque jour et chaque nuit les limites de leurs désirs et de leurs fantasmes, épuisant une à une les ressources de leurs plaisirs.
L’intrigue est ainsi centrée essentiellement autour de cette relation mêlant habilement répulsion, attirance et dépendance. C’est quelque peu regrettable, le roman étant plus riche, ne se limitant pas à cet épisode, car construit à certains moments à la manière d’une intrigue policière glauque et décalée, l’aveugle couché sur papier portant ainsi tous les stigmates d’un effroyable tueur en série, cumulant les meurtres et les mises en scènes morbides. Un maniaque désespéré qui connaîtra néanmoins une évolution certaine au contact du corps de la douce Aki.
De son côté, le film brosse le portrait d’un aveugle certes déséquilibré mais qui n’a pas l’âme d’un meurtrier. Un être triste, et pathétique, écrasé par l’autorité d’une mère possessive, presque amoureuse, qui a entretenu la psychose de son fils pour l’empêcher de se fondre dans la société. Le film de Masumura reste malgré tout une œuvre très intéressante, originale, que l’on appréciera peut-être d’avantage si on ne connaît pas le livre. Car même si l’écrivain Edogawa Rampo a sans doute rarement été adapté avec autant de finesse et d’application, il faut bien reconnaître qu’un roman perd toujours quelque chose lorsqu’on lui fait abandonner son support papier.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Les personnages ♥ Visuellement intéressant ♥ Le très bon casting |
⊗ Pas toujours fidèle au livre |
Il apparaît néanmoins évident que Masumura Yasuzo était ici le cinéaste idéal pour rendre hommage à Rampo, tant les univers des deux hommes n’ont jamais parus si proches. |
Titre : La Bête Aveugle / Blind Beast / 盲獣
Année : 1969
Durée : 1h26
Origine : Japon
Genre : Drame
Réalisateur : Yasuzo Masumura
Scénario : Rampo Edogawa, Yoshio Shirasaka
Acteurs : Eiji Funakoshi, Mako Midori, Noriko Sengoku