Une vieille salle de cinéma se meurt, quelque part, oubliée dans un sordide quartier de Taipei. Sous la pluie, abondante, des voix étouffées. Ce sont les quelques paroles que l’on entend, pour une nuit encore, d’un film de King Hu. Sous les néons, fatigués, des personnes semblent toujours travailler. Il s’agit de l’ouvreuse, du projectionniste parfois aussi. Curieusement aujourd’hui ils ne parviennent plus à se croiser. Quelques spectateurs errants, des regards perdus. Qui donc encore pour se tasser dans ce cinéma-là, sinon des ombres. Parfois tristes, parfois émues. Non tout le monde n’a pas oublié.
Avis de Oli :
Que faut-il penser de ce film de Tsai Ming-Liang ? Le détester, crier au génie ? Peut-être que ces deux réactions sont trop extrêmes, et qu’il conviendrait de trouver un plus juste milieu. Surtout que même aujourd’hui, j’aurais bien du mal à émettre un avis définitif et réellement objectif sur l’étrange travail du réalisateur taiwanais.
Etirant son film dans des langueurs interminables, le procédé n’est en rien effectué pour flirter avec le contemplatif. Les plans fixes, ici, sont plutôt censés exprimer le souvenir, la mélancolie. Tsai Ming-Liang nous parle ainsi, avec GOODBYE, DRAGON INN, de la fin d’un certain cinéma, et au travers de celui-ci de la fin d’une époque. Pour illustrer cela, Tsai Ming-Liang centre son intrigue dans une vieille salle obscure, un brin délabrée, qui vit sa dernière soirée. A l’affiche : DRAGON INN de King Hu. Dans les salles, quelques spectateurs qui errent comme des non-vivants, tandis que d’autres rasent les murs comme des ombres qui ne seraient plus habituées à la lumière. Le projectionniste parait absent, l’ouvreuse est fatiguée, seule, presque abandonnée. Enfin il y a malgré tout quelques passants intéressés, venus pour voir un film, accessoirement aussi pour se faire draguer.
Le message de Tsai Ming-Liang, malgré l’opacité dont faire preuve ici sa mise en scène, est clair comme de l’eau de roche : une époque est révolue, une page se tourne. Mais Tsai Ming-Liang ne veut pas oublier (comme l’illustre très bien le titre original du film : BU SAN). Alors non, avec GOODBYE, DRAGON INN Tsai Ming-Liang ne pleure pas le cinéma. Mais il regrette un cinéma. Plus naïf, moins dépendant des technocrates, il s’agit du cinéma de son enfance. Lorsque les spectateurs ne se goinfraient pas encore comme des porcs en regardant un film, quand ces mêmes imbéciles ne s’étendaient pas de tout leur long sur les sièges en étirant leurs pieds sur le fauteuil du voisin (scènes illustrées dans le film qui nous intéresse). Aller au cinéma voulait encore dire quelque chose, il y avait une certaine magie qui se dégageait de tout cela, les stars même dégageaient une aura qui avait rapport avec l’irrationnel, comme une idée de l’éternité. Alors qu’aujourd’hui les actrices et acteurs se dévoilent sans pudeur sur les pages des magazines et sur internet, les stars d’hier cultivaient un plus grand souci du secret, jouant de leur image d’icône inaccessible.
C’est donc à tout cet univers là que Tsai Ming-Liang semble vouloir rendre hommage dans GOODBYE, DRAGON INN. Il ne s’agit pas en effet, tout du moins à mes yeux, de la célébration du vieux cinéma qui aurait été en tous points supérieurs à ce qui se fait aujourd’hui (hier c’était mieux, maintenant c’est mauvais). Non, Tsai Ming-Liang me parait être un garçon suffisamment intelligent pour ne pas tomber sur cet écueil-là. GOODBYE, DRAGON INN se rapproche en effet plus de la déclaration d’amour à une époque révolue, à ces salles de cinéma brutes construites bien avant que les multiplexes n’aient seulement été imaginés. Des bâtiments avec une histoire, un passé, des couleurs mais aussi des ombres. Et des esprits qui paraissent encore aujourd’hui les hanter.
Lorsque l’on sait qu’en Asie, et en particulier à Taiwan patrie du réalisateur, l’américanisation du cinéma est une réalité, on comprend mieux le message que Tsai Ming-Liang souhaite ici faire passer : ne pas oublier ses racines, sa culture. Comme ce vieil homme (que vous reconnaîtrez peut-être) qui regrettera, esseulé dans la salle de cinéma, que le jeune public l’ait aujourd’hui oublié. Oui c’est aussi une réalité, à Taiwan la dernière génération de spectateurs est d’avantage tournée vers Hollywood et son pop-corn que vers King Hu et toutes les restaurations de la Shaw Brothers. Mais tout est une question d’âge, de cycle également. Vous pourriez donc considérer la vision de Tsai Ming-Liang un peu trop pessimiste. Ou alors simplement la prendre comme je l’ai comprise, c’est-à-dire en hommage amoureux et nostalgique au cinéma de l’enfance. Quoi qu’il en soit, et même si le film de Tsai Ming-Liang distille une ambiance unique et plutôt envoûtante, le traitement de l’ensemble est très étrange. Tournant littéralement le dos à toute idée de divertissement, le réalisateur nous livre avec GOODBYE, DRAGON INN une œuvre très difficile d’accès : pour preuve je m’y suis presque cassé les dents, ignorant encore aujourd’hui si j’ai véritablement aimé l’expérience proposée. Film lent, parfois presque arrêté (quelques plans fixes de plusieurs minutes quand même !),
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Le message du film ♥ Le regard nostalgique ♥ La mise en scène |
⊗ Parfois très lent ⊗ Difficile d’accès |
GOODBYE, DRAGON INN n’est pourtant pas un film que j’ai envie de détruire. Au contraire même, je dois bien avouer que sa nostalgie m’a presque gagné, et qu’à la fin moi aussi, je regrettais un peu mes vieux cinémas de quartier. Non, nous n’avons pas tous oublié. |
Titre : Goodbye, Dragon Inn / 不散
Année : 2003
Durée : 1h23
Origine : Taïwan
Genre : Nostalgie
Réalisateur : Tsai Ming-Liang
Scénario : Tsai Ming-Liang
Acteurs : Lee Kang-Sheng, Chen Shiang-Chyi, Mitamura Kiyonobu, Yang Kuei-Mei, Jerry Chan, Miao Tian, Shih Chun, Lee Yi-Cheng