[Film] Flying Dagger, de Chu Yen-Ping (1993)


Les deux frères Hon, Chung et Lam, chasseurs de primes connus sous le nom de « Poignards Volants », sont engagés par le seigneur Lei afin de capturer le « Renard à neuf queues », bandit de grand chemin accusé de vol et de meurtre, mais aussi d’avoir violé et kidnappé la fille de ce dernier. Concurrencés et suivis de près par les deux sœurs Fung, Ling et Lam, les deux aventuriers devront affronter bien des ennemis avant de comprendre qu’ils ne sont eux, le Renard et les deux sœurs Lung, que les jouets d’une machination politique. Ils devront inévitablement tous rivaliser de combativité et d’adresse pour parvenir à déjouer ce plan machiavélique.


Avis de Paul Gaussem :
Entre le rugueux The Flying Dagger (Chang Cheh, 1969) et l’esthétisant Le Secret des Poignards Volants (Zhang Yimou, 2004), il y eu aussi le dément Flying Dagger de Chu Yen-ping -ou Kevin Chu… ou Lawrence Full pour les intimes- sorti en 1993. Si ce n’est leur titre, les trois films n’ont que très peu de choses en commun (seulement quelques poignards volants ici et là), à part celui d’être des œuvres très représentatives du cinéma d’arts martiaux de leur époque. La version du prolifique réalisateur taïwanais Chu Yen-Ping, dont la longue carrière, encore en cours et très inégale – et peu parvenue jusqu’en Europe – a fait de lui l’un des spécialistes de la comédie bien loufoque (Les Sept Magnifiques, Shaolin Basket, The Treasure Hunter…), a l’indéniable avantage de réunir une équipe de choc, aussi bien devant que derrière la caméra. Aidé par Wong Jin (Royal Tramp, Evil Cult, Les Griffes d’Acier…) au scénario et Ching Siu-Tung (Duel to The Death, Swordsman 2…) à la chorégraphie, le film affiche un casting de rêve réunissant le gratin des stars hongkongaises de l’époque : Tony Leung Ka-Fai (Prison on Fire, Le Syndicat du Crime 3, Bodyguards & Assassins…), Maggie Cheung (Police Story 2, L’Auberge du Dragon, In the Mood for Love…), Jackie Cheung (Histoire de Fantômes Chinois 2, Une Balle dans la Tête, Les Cendres du Temps…), Lo Lieh (La Main de Fer, Les Exécuteurs de Shaolin…). Tout ceci a forcément de quoi allécher tout amateur de productions HK des années 90. Et l’amateur ne sera pas déçu !

Spectateurs friands de wu xia pian réalistes, violents, profonds et tourmentés, passez votre chemin. Car Flying Dagger va vous infliger exactement le contraire ! Nous sommes ici en présence d’une comédie burlesque complètement déjantée, à l’humour paillard et très souvent en dessous de la ceinture dans laquelle les acteurs rivalisent dans le surjeu vaudevillesque. En gros, tous les ingrédients appréciés par les amateurs de pellicules déviantes dans le cinéma de Hong Kong sont ici convoqués. Chu Yen-Ping, qui a prouvé, avec A Home Too Far (1991) et End of the Road (1993), qu’il pouvait aussi réaliser des drames bien ficelés, laisse ici libre cours à toute la démesure et la folie dont il est capable et nous offre un spectacle hystérique et survitaminé, dans lequel une idée génialement ravagée en chasse une autre : des palanquins volants, des combats à coups de troncs d’arbre, une main coupée ambulante (et parfois plus que baladeuse), un décapité qui remet sa tête à la bonne place, un antidote anti-aphrodisiaque à base d’urine de puceau (oui oui !), des pets employés comme arcane ultime pour terrasser l’adversaire … Les gardiens du bon goût et de la finesse n’ont qu’à bien se tenir. Quant aux autres, qui se délectent à la vue d’un vieux maître de kung fu arborant un slip et un soutien-gorge a pics, il y a tout à penser qu’ils passeront un formidable moment devant ce chef d’œuvre de « whatzefuckisme ».

Coté scénario, Wong Jin fait ce qu’il sait faire de mieux : une intrigue alambiquée et souvent laborieuse, des personnages archétypaux peu aboutis, des blagues « pipi-caca » et une profusion de protagonistes abandonnés aussi vite qu’ils sont apparus… mais qu’importe ! L’objectif du métrage n’est visiblement pas d’entraîner le public dans une œuvre sur le sens de la vie mais de concevoir une trame liant entre elles des scènes d’action inventives et de très haute tenue. Et c’est ici que la maîtrise de Chin Siu-Tung en la matière déploie toute sa magnificence. Tout au long du film, composé pour les trois quarts par des séquences de combat, on reconnaît la patte du chorégraphe qui, finalement, aurait bien mérité d’être crédité en tant que coréalisateur tant le film est un condensé de son art. Dès la première scène et ce, quelques secondes seulement après qu’elle ait débuté, les corps, les épées, les palanquins et même les vêtements volent et virevoltent dans tous les sens ; nous amenant quelques minutes après à une autre séquence au sein de laquelle les morts reprennent vie et pulvérisent des arbres entiers… et cela ne s’arrête, pour ainsi dire, jamais jusqu’à la fin. Plus que jamais, les combats sont aériens et spectaculaires, les corps tournoient dans l’air, sautent de toit en toit, courent en lévitation sur les herbes hautes (voire carrément sur rien du tout). Les combats, proposant une idée à la seconde, sont sublimés par le découpage nerveux et volontairement désordonné propre au style de Chin Siu-Tung. Incrustant ci et là le cadrage d’un pied ou d’un objet afin de fluidifier et spatialiser le mouvement, enchaînant les plans pour mieux donner de l’envergure et de la clarté aux déplacements surhumains de ses protagonistes, le chorégraphe est en pleine forme et le spectacle est on ne peut plus maîtrisé. Au niveau de l’action, qui en est le principal but, on peut dire que Flying Dagger est une réussite.

Quant à la réalisation à proprement parler, elle est somme toute assez classique, dans la veine de ce que Hong Kong pouvait proposer à l’époque. On y retrouve avec plaisir les villes et forêts embrumées dans une nuit bleutée propres aux production de l’époque (Histoire de Fantômes Chinois, Evil Cult, Vampire’s Hunter). Les SFX, produits d’un véritable bricolage artisanal typique de la période lui aussi, sont souvent peu convaincants (mention spéciale, cependant, à la main ambulante de « Jamais-ne-meurt », très inspirée d’Evil Dead 2 ou de La Famille Addams) mais n’entachent en rien la satisfaction éprouvée à les découvrir au sein de cette comédie qui se veut tout sauf réaliste et qui ne se prend pas un instant au sérieux. Les décors et les costumes sont particulièrement soignés et enrichissent le visionnage du film, déjà visuellement très riche. Seule ombre au tableau, les diverses copies du film sont souvent mauvaises et difficiles à se procurer, reproduites à partir d’une pellicule très « graineuse » et souvent endommagée. La bande sonore, elle aussi, a subi les affres d’une mauvaise conservation et la très mauvaise balance entre la musique et les voix (ce qui est hélas loin d’être rare dans les productions chinoises) ainsi l’altération sonore de certains passages, peuvent parfois altérer le plaisir du visionnage. Il est clair que le spectateur peu rompu aux tropes du cinéma hongkongais en matière d’humour, d’acting et de chorégraphies martiales sera certainement décontenancé par Flying Dagger, qui n’est sans doute pas la meilleure porte d’entrée dans ce type de cinéma. Néanmoins, une fois les codes compris et l’habitude prise, il ne pourra que se rendre compte de la qualité et de l’inventivité de ce joyeux foutoir.

LES PLUS LES MOINS
♥ Des chorégraphies complètement folles et originales
♥ Un rythme plus que soutenu
♥ Un humour borderline et assumé
⊗ Une intrigue inutilement complexifiée
⊗ Des personnages parfois trop caricaturaux
⊗ Un score assez ringard, même pour l’époque
Flying Dagger est le genre de film que l’on se prend à revisionner plusieurs fois tant le nombre d’idées et d’innovations présentées est impressionnant. Pure réussite en matière d’action et de chorégraphie, le film saura séduire ceux que l’humour peu subtil et les intrigues simplettes ne rebutent pas.

LE SAVIEZ VOUS ?
• La même année sortait un film similaire, avec également des combats fous (chorégraphiés par Sammo Hung), un casting énorme et un humour complètement débile. Ce film, c’est Eagle Shooting Heroes, de Jeff Lau, avec Leslie Cheung, Tony Leung Ka-Fai, Tony Leung Chiu-Wai, Jackye Cheung, Brigitte Lin, Joey Wong, Maggie Cheung, Carina Lau, Veronica Yip ou encore Kenny Bee.



Titre : Flying Dagger / 神經刀與飛天貓
Année : 1993
Durée : 1h25
Origine : Hong Kong
Genre : Wu Xia Pian / Comédie
Réalisateur : Chu Yen-Ping
Scénario : Wong Jing

Acteurs : Tony Leung Ka-Fai, Jimmy Lin, Jacky Cheung, Maggie Cheung, Sharla Cheung Man, Gloria Yip, Ng Man-Tat, Chen Hung-Lieh, Kingdom Yuen, Lo Lieh

 Flying Dagger (1993) on IMDb


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Auteur : Paul Gaussem

Si vous connaissez un film dans lequel un cow-boy solitaire et un barbare sanguinaire chassent des mutants venus d'ailleurs à l'aide de mecha sur les hauteurs du mont Wu Tang, faîtes moi signe ! Perdu dans un Milius en compagnie de Tsui Carpenter et Steven Otomo, je ne cherche plus à retrouver mon chemin.
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