Un homme est abandonné par son amie qui lui laisse la charge d’un enfant prématuré, fruit de leur union. Il s’enfonce dans un univers fantasmatique pour fuir cette cruelle réalité.
Avis de Rick :
In heaven, everything is fine ! Les années 70 auront vu un nombre incalculable de grands metteurs en scène commencer leur carrière. John Carpenter, David Cronenberg, et bien entendu, David Lynch. Mais là où Carpenter en sortant de son école aura un film en boite (Dark Star) et enchaînera ensuite plutôt rapidement sur Assaut, David Lynch lui aura commencé son Eraserhead en 1971, avant de l’achever cinq années plus tard, en 1976. Quand aux droits du film, il les aura vendu après s’être installé avec sa femme à Los Angeles, lors d’une pause repas alors qu’il s’occupait de peindre des maisons. Une production bien longue, entre une grande difficulté pour trouver des financements du à un scénario qui ne faisait que 22 pages, puis au décès (de cause naturelle) du premier directeur de la photographie, qui fut changé en cours de route. Le tournage s’étira tellement que durant une année entière, David Lynch emménagea dans… la chambre de son personnage principal. Eraserhead, à sa sortie fut très rapidement remarqué, passant durant plusieurs années en séance de minuit dans divers cinéma, et comptant dans sa base de fans quelques personnalités comme John Waters ou Stanley Kubrick, qui d’ailleurs projetteras le film à son équipe pour les mettre dans l’ambiance avant de tourner The Shining. Il faut dire qu’avec ce premier film, David Lynch frappe déjà très fort, en livrant un cauchemar éveillé qui n’est comparable à aucun autre film. Tourné dans un noir et blanc hyper contrasté et en 1.85, Eraserhead est un cauchemar pas forcément bien accessible aux premiers abords (voir aux seconds aussi), un film qui se fiche quelque peu des conventions de l’époque en terme de narration ou de manière de filmer, et qui fait ce qu’il a à faire.
Eraserhead, c’est un cauchemar donc, souvent abstrait, et qui n’est pas forcément fait pour mettre à l’aise. Le travail sur la photographie ultra contrastée et sur l’ambiance sonore, industrielle et constante, mettent directement dans le bain. Eraserhead est un voyage dans le mental d’un homme (Jack Nance, qui réapparaîtra dans chaque film de Lynch dans des petits rôles, jusqu’à Lost Highway en 1997) qui a de grosses craintes face à ce qui lui arrive. Eraserhead parle de l’engagement, et surtout, de la naissance d’un enfant. Le fait que Lynch venait d’être père au début de la production expliquerait bien des choses, l’artiste propulsant ses propres peurs sur l’écran. Extrêmement influencé durant l’écriture par La Métamorphoses de Kafka (ça s’en ressent) puis durant le tournage par pas mal de sons qu’il aura lui-même enregistré avec Alan Splet, Lynch nous balance dans son cauchemar éveillé, dans le quotidien de son personnage tourmenté, effrayé par la sexualité, par la parentalité, et sombrant dans la folie, alors qu’il se retrouve seul à devoir s’occuper de son bébé difforme, et qu’il imagine une femme étrange qui chante dans… son radiateur. Dis comme ça, aucun doute, nous sommes bien chez Lynch, et dés son premier métrage, le réalisateur nous présente son univers hors norme, et met en place des éléments qui seront des clés de son cinéma. L’usage du son qui devient aussi important que l’image dans ce qu’il raconte et surtout dans le malaise provoqué, le sol du hall de chez Henry qui est le même que celui des années plus tard de la Red Room dans Twin Peaks, une lenteur hypnotique, et surtout, des lumières qui parfois, s’éteignent et s’allument sans raison. Un Lynch donc libre de créer et de laisser libre cours à son imagination, et beaucoup plus proche de ce qu’il fera passé Twin Peaks que de ses métrages des années 80, comme Elephant Man, Dune et Blue Velvet.
Eraserhead est une œuvre unique, que l’on ai aimé ou non, compris ou non, Eraserhead marquera le spectateur de son empreinte unique et va continuer de fasciner, d’interroger ou de dégouter aussi parfois. Dès son ouverture étrange et fascinante, dés la première apparition de Jack Nance et sa coupe de cheveux improbable, Eraserhead marque les esprits, et le spectateur non avertis ira de surprises en surprises. De ce repas de famille hyper étrange et malsain jusqu’à l’apparition de ce nouveau né difforme et incroyablement bien fait (et dont on ne saura jamais comment il a été fait), Eraserhead surprends, fascine, ne met certainement pas à l’aise, et ses images marquent le spectateur, à l’image de cette chanteuse venant hanter les rêves d’Henry. Le tout avançant jusqu’à un final totalement hypnotique, barré, hallucinatoire aussi. Mais surtout, troublant, autant par la signification (possible) des images que par leur contenu. Clairement, Eraserhead est une proposition de cinéma radicale, qui n’est clairement pas pour tout le monde, mais qui pourra pourtant parler à pas mal de monde pour ses différents thèmes abordés, en particulier le rapport avec la naissance. Car sous son côté étrange, ses images surréalistes, Eraserhead ne serait pas tout simplement un drame d’une banalité affligeante ? Celle d’un homme forcé d’épouser la jeune femme qui l’avait pourtant laissé, puisque celle-ci a mit au monde un bébé prématuré qui serait lui. Lynch parvient dans un sens à mettre en image son film le plus étrange et le plus théâtral, mais également son film le plus encré dans un quotidien totalement banal (un peu par la suite à l’image de Blue Velvet et Twin Peaks). Et c’est sans doute ce qui rend le film aussi troublant, même 41 ans après.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ La bande son donnant une ambiance unique ♥ L’ambiance glauque ♥ Des images inoubliables ♥ Des thèmes forts |
⊗ Inaccessible pour le grand public |
Eraserhead est un film fascinant et troublant, radical dans sa proposition de cinéma différente, et qui va autant marquer des spectateurs en les faisant adhérer ou rejeter l’œuvre. Lynch frappe très fort dés son premier métrage. |
Titre : Eraserhead
Année : 1977
Durée : 1h25
Origine : U.S.A.
Genre : Fantastique
Réalisateur : David Lynch
Scénario : David Lynch
Acteurs : Jack Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph, Jeanne Bates, Judith Roberts et Laurel Near
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