[Film] Duel To The Death, de Ching Siu Tung (1983)


Dans la Chine ancienne gouvernée par les Ming, un duel opposant le meilleur sabreur du pays à son homologue japonais a lieu tous les dix ans. Cette année, le disciple de Shaolin Ching Wan doit affronter Hashimoto. Les deux hommes, que le sens de l’honneur et les valeurs martiales réunissent, se retrouvent tiraillés entre les complots et rivalités politiques séculaires entretenus par leurs deux nations et leur admiration mutuelle; avant de devoir se livrer à leur inéluctable confrontation fratricide.


Avis de Paul Gaussem :
Le début des années 80 marque le retour du wu xia pian sur le devant de la scène hongkongaise, après des années d’errance, grâce à un renouveau des traitements visuels et narratifs propres au genre. Reprenant les bases de la scénographie d’action onirique et virevoltante de King Hu (Dragon Gate Inn, A Touch of Zen…), des réalisateurs plus jeunes tentent d’en repousser encore les limites. En 1982 et 1983, Yuen Woo-Ping et Tsui Hark commettent chacun deux métrages qui demeurent encore aujourd’hui les mètre étalons et les exemples les plus frappants de cette renaissance : Miracle Fighters et Zu, les guerriers de la montagne magique, dont l’inventivité et l’audace en matière de chorégraphie, de découpage et d’effets spéciaux n’est plus à démontrer. Premier film du grand chorégraphe Ching Siu-Tung (Histoires de Fantômes Chinois, Swordsman…) en tant que réalisateur, Duel to the Death s’inscrit totalement dans cette mouvance et participe pleinement à ce bouillonnement créatif. Notre homme n’est toutefois pas un novice à l’époque. Chorégraphe depuis le début des années 70, il a travaillé sur de nombreux métrages, dont certains des films les plus iconoclastes de Tsui Hark (L’Enfer des Armes en 1980, Zu, les guerriers de la montagne magique en 1983). Il est donc totalement au fait de la révolution cinématographique en cours, partie prenante de tous les questionnements artistiques et innovations techniques et visuelles de la période. Ce savoir-faire et cette expérience, Ching Siu-Tung l’utilise pleinement pour sa première réalisation afin d’offrir au public un spectacle de très haute tenue, pouvant même rivaliser d’ingéniosité avec les deux œuvres cultes précitées.

Pour cela, notre réalisateur entend bien se démarquer de la folie burlesque de Woo-Ping et du fantastique psychédélique de Hark en proposant une œuvre plus réaliste, sombre et viscérale. Bien entendu, nous sommes dans le jiang hu – monde propre au wu xia pian dans lequel la société entière est régie et codifiée par la tradition martiale des écoles de combats ; où les lois les plus élémentaires de la physique n’ont pas cours – et l’on ne s’étonnera pas d’y voir les protagonistes voler dans les airs et rebondir sur leurs sabres, unir leurs corps afin de former un combattant unique à la taille démesurée ou encore discuter tranquillement avec un oiseau. Néanmoins, une fois mise de côté les outrances surréalistes propres au genre, le film s’inscrit davantage dans la tradition viriliste et violente du cinéma d’un Chang Cheh (Un seul bras les tua tous, La Rage du Tigre…) que dans celle, plus poétique, d’un King Hu. En effet, la rudesse réaliste des affrontements (en particulier le sanglant et anthologique duel final) et la rivalité, teintée de respect et d’amitié virile, des deux personnages principaux, constitue un hommage vibrant aux tropes scénaristiques de celui qui, en son temps, renouvela aussi le film de sabre chinois. Les deux héros, campés par un Damian Lau (Royal Tramp, The Heroic Trio, School on Fire…) et un Norman Chu (La 36e Chambre de Shaolin, Histoires de Cannibales, Wing Chun…) impeccables, sont des archétypes servant à renforcer une allégorie de la rivalité sino-japonaise consituant, comme dans beaucoup de productions chinoises, le cœur du film : La Chine, d’apparence fragile mais sage, humble et résistante; et le Japon, belliqueux mais brave et déterminé. Aussi, même si les japonais sont souvent dépeints comme des êtres retors, on peut tout de même croiser quelques chinois partageant le même défaut. Le film, dans lequel il n’y a réellement ni bons ni mauvais mais juste des hommes en rivalité, n’opte pas, au final, pour un traitement manichéen favorisant l’un ou l’autre des deux camps. Nos deux duellistes, mus par un sens de l’honneur chevillé au corps, ne sont fatalement que les marionnettes du destin et de la conjoncture politique de leur époque.

Leur opposition est soulignée jusque dans les chorégraphies : Ching Wan, le chinois, virevolte dans les airs dans le plus pur style wu xia ; tandis que Hashimoto a la plupart du temps les pieds rivés au sol, tel un roc, représentant ainsi la tradition esthétique du chambara. D’ailleurs, concernant les chorégraphies et les scènes d’action, Ching Siu-Tung nous offre le meilleur de ce que le cinéma HK a pu proposer. Le film, peut être le plus grand du réalisateur à ce jour, fourmille d’idées, toutes plus géniales les unes que les autres, exécutées avec un brio saisissant lorsque l’on garde en tête les moyens rudimentaires que les métrages de l’époque avaient à disposition. Des ninjas accrochés à des cerfs-volants attaquant via le ciel, fusionnant entre eux pour mieux se démultiplier, disparaissant dans des explosions aux nuages violacés ou rougeâtres, une tête décapitée déclamant encore son texte avant d’exploser, des combattants opérant des pirouettes d’arbre en arbre afin d’en rattraper d’autres, qui eux, volent littéralement au milieu de la forêt… le spectacle est grandiose et est encore rehaussé par une mise en scène, une photographie et un montage qui flirtent avec le sublime. Pour couronner le tout, cet incessant ballet sanglant et méticuleusement orchestré est orné d’une bande originale mémorable, dont les thèmes, tour à tour fantasmagoriques ou épiques, ne cessent de résonner en nous, même plusieurs jours après avoir vu le film.

Certains pourraient, à première vue, reprocher à Ching Siu-Tung son traitement simpliste et le monolithisme de ces personnages. Pour notre part, nous pensons qu’il n’en est rien. Duel to the Death, avec son scénario jusqu’au boutiste, se présentant comme une vulgaire histoire de duel entre la Chine et le Japon, propose en sous-texte une réelle réflexion sur le racisme, les préjugés et l’étau morbide que les velléités nationalistes referment sur ses protagonistes. Ceux-ci, bien que conscients de l’absurdité de la situation et des enjeux, ne pourront se soustraire à leur destin et joueront, tant bien que mal, leur rôle de continuateurs manipulés par des forces qui les dépassent. Véritable critique de la cruauté de l’Histoire et des passions humaines, Duel to the Death est, à n’en point douter, un chef d’œuvre incontournable, ayant contribué de manière virtuose à faire entrer le wu xia pian dans la modernité.

LES PLUS LES MOINS
♥ Des séquences de combats inoubliables
♥ Une mise en scène inventive et novatrice
♥ Une photographie remarquable
⊗ …
Révolutionnant le cinéma d’arts martiaux à sa sortie, Duel to the Death demeure un des plus grands classiques du genre. Œuvre magistrale et plus profonde qu’elle n’en a l’air, le film de Chin Siu Tung est un immanquable absolu pour tout amateur de cinéma.

LE SAVIEZ VOUS ?
• En 2014, Time Out a interrogé plusieurs critiques de cinéma, réalisateurs, acteurs et cascadeurs pour dresser la liste de leurs meilleurs films d’action. Duel à mort figurait à la 92e place de cette liste.

• [Dans la version cantonaise du film] Alors que la plupart de ses rôles étaient auparavant doublés par des acteurs professionnels, ce film est le rare exemple d’un Norman Chu doublé avec sa propre voix.



Titre : Duel to the Death / 生死決
Année : 1983
Durée : 1h26
Origine : Hong Kong
Genre : Wu Xia Pian virevoltant
Réalisateur : Ching Siu-Tung
Scénario : Ching Siu-Tung, David Lai, Manfred Wong

Acteurs : Norman Chu, Damian Lau, Flora Cheung, Paul Chang Chung, Eddy Ko, Yeung Chak-Lam, Kwan Yung-Moon, Casanova Wong, Hon Kwok-Choi, Stephen Yip, Wilson Tong

 Duel to the Death (1983) on IMDb


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Auteur : Paul Gaussem

Si vous connaissez un film dans lequel un cow-boy solitaire et un barbare sanguinaire chassent des mutants venus d'ailleurs à l'aide de mecha sur les hauteurs du mont Wu Tang, faîtes moi signe ! Perdu dans un Milius en compagnie de Tsui Carpenter et Steven Otomo, je ne cherche plus à retrouver mon chemin.
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