Dans le Japon contemporain, l’histoire de plusieurs familles vivant dans un bidonville. Des exclus en tous genres, des drames qui se nouent dans les ombres, des visages dépourvus d’espoir. Ces êtres humains déambulant pareils à des fantômes, inexistants aux yeux de la société, trouvent néanmoins parfois le temps d’oublier, en sombrant dans l’alcool, ou la folie.
Avis de Oli :
Dodes’kaden est le premier film réalisé en couleurs par Kurosawa. Le maître a attendu de nombreuses années avant de s’essayer à ce procédé, et on sent qu’il avait mûrement préparé son “coup”. Le film est en effet un véritable “hymne” à la couleur, celle-ci ayant une place à part entière dans l’histoire (costumes, ciels, décors…). Illustrant tour à tour l’espoir ou le désespoir par des couleurs plus ou moins lumineuses, les rêves ou les cauchemars par des teintes imprégnées de beaucoup de symbolisme … Kurosawa effectue un véritable travail de peintre : il maîtrisait également cet art et ça se voit, il est d’ailleurs sans doute l’auteur de quelques dessins apparaissant dans le film. C’est un régal pour les yeux.
Si le film est d’une grande humanité, puisqu’il dépeint la vie (et la mort) de ces gens qui se sont retrouvés un jour exclus, volontairement ou non, de la société, il n’a pas connu le succès escompté. Un échec donc, et le mot est faible, puisque la société de production Kinoshita créée par Kurosawa et trois autres cinéastes pour l’occasion a tout bonnement sombré corps et âme. L’histoire prenant place dans leur société moderne, les japonais n’ont sans doute pas supporté un film aussi pessimiste, exhibant aussi cruellement la déchéance et le désespoir d’une certaine partie de la population. Incompris, parfois méprisé, Kurosawa tentera alors de se suicider. Fallait-il faire le film ? L’artiste peut-il mettre en scène la pauvreté ou la folie moderne ? Cette question Kurosawa se l’est sans doute posée, puisqu’il met visiblement cette interrogation en images : lorsque le jeune fou, conducteur d’un tramway imaginaire, manque de « renverser » ce peintre, posé au milieu de la décharge, avec sa toile et ses pinceaux. Qui est le plus fou des deux ? Le fou, ou bien le peintre qui veut le mettre en scène ?
Le temps aidant, le film connaîtra enfin la reconnaissance qui lui est due. Certains parlent de chef d’œuvre, d’autres y voient peut-être le plus grand film de Kurosawa Akira. Pour ma part, j’ai beaucoup de mal à opérer un classement parmi toutes ces œuvres plus impressionnantes les unes que les autres. La seule chose que je tienne pour acquise est le fait que Dodes’kaden est sans doute le film le plus singulier de son réalisateur : pas de fil conducteur, des scènes qui se succèdent sans apparemment qu’aucun lien ne les unisse, hormis le lieu, ce bidonville sordide. Parmi ces laissés pour compte, certaines figures ont marqué de leur emprunte l’histoire du cinéma : Rochukan, le jeune fou, imaginant conduire chaque jour son tramway, l’onomatopée qu’il crie toute la journée durant ayant donné son titre au film : “Dodes’kaden, dodes’kaden, dodes’kaden…” ; ou encore ce clochard survivant en récupérant des restes avariés auprès des restaurants, et qui donne de l’espoir à son fils en lui construisant une maison … en rêve. Les portraits sont multiples, et graves. Survivre à l’enfer, voilà bien le but de tous ces personnages gangrenés par la misère, hantés par les remords, et qui pour se donner l’illusion de s’en sortir se laissent ronger par la folie, l’alcoolisme, ou le mensonge.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Le travail sur les couleurs ♥ Les personnages ♥ Mise en scène minutieuse |
⊗ … |
Dodes’kaden est une œuvre majeure, mais sa longueur et sa construction particulière pourront désenchanter certains spectateurs. |
Titre : Dodes’kaden / Dodesukaden / どですかでん
Année : 1970
Durée : 2h20
Origine : Japon
Genre : Drame
Réalisateur : Akira Kurosawa
Scénario : Akira Kurosawa
Acteurs : : Yoshitaka Zushi, Kin Sugai, Junzaburo Ban, Kyoko Tange, Hisashi Igawa, Hideko Ogiyama, Kunie Tanaka, Jitsuko Yoshimura, Shinsuke Minami