[Film] Daniel, de Sidney Lumet (1983)

Au milieu des années 50, Rochelle et Paul, communistes américains, ont été accusés d’espionnage au profit de l’URSS. Quinze ans plus tard, leur fille Susan devient militante politique. Son frère Daniel cherche à oublier. Mais, suite à un événement tragique, il doit se replonger dans l’histoire familiale…


Avis de John Roch :
Diffusée entre le 24 janvier 1965 et le 24 avril 1966, la série Branded racontait comment un soldat de l’armée partait à l’aventure pour laver son honneur à la suite d’une condamnation par la court martiale pour un crime qu’il n’a pas commis. Larry Cohen avait une intention particulière avec cette série, qui était avant tout une parabole sur la fameuse Liste Noire qui a traîné dans la boue entres autres Orson Wells et Charlie Chaplin, forcés à quitter le pays. Une allégorie qui pour l’anecdote n’a pas du tout été appréciée par Chuck Connors, acteur principal de Branded et surtout républicain conservateur qui a (littéralement) failli tuer Larry Cohen dès lors que ce dernier lui ait révélé ses attentions. Le rapport avec Daniel ? Dans la forme : aucun. Mais il s’agit d’un exemple parmi d’autres qui montre et démontre que d’une part il n’était pas bon à cette époque de critiquer le maccarthysme, cette chasse aux sorcières lancée par Joseph McCarthy visant les sympathisants communistes, et d’autre part que de se revendiquer de ce parti ou de le défendre d’une manière ou d’une autre était à la limite du suicidaire. Pas tant pour les idéaux qui vont à l’encontre du capitalisme si cher au pays de l’oncle Sam, mais la cause à une paranoïa venue d’une URSS qui a développé la bombe atomique bien trop rapidement aux goûts des Américains. En plus d’être une escalade supplémentaire dans la guerre froide qui opposait l’est et l’ouest, cet événement est le point de départ de la peur rouge, page sombre de l’histoire Américaine pendant laquelle nombre de citoyens communistes était systématiquement surveillés et arrêtés pour soupçon d’espionnage pour le compte des Russes.

Daniel s’inspire du livre « The Book of Daniel » de E. L. Doctorow, qui lui-même s’inspire de la vie d’Ethel et Julius Rosenberg, couple devenu malgré lui le symbole de cette peur instaurée par le maccarthysme. Si l’affaire Rosenberg est si emblématique de cette période, c’est parce qu’ils demeurent les seuls à avoir été exécutés pour espionnage, sans aucune preuve tangible qui plus est et encore aujourd’hui malgré des témoignages les accablants, le mystère demeure quant au degré d’implication dans une histoire de vol de plans nucléaires, si toutefois implication il y a eu. Une affaire mondialement médiatisée en son temps qui trouve son biopic avec Daniel, enfin pas tout à fait. Sidney Lumet parle bien de cette histoire, mais en toile de fond car ce qui intéresse le réalisateur qui prend ici une autre direction dans sa carrière, ce n’est pas directement l’affaire Rosenberg, mais la répercussion qu’elle a eue sur les enfants du couple. Volontairement romancé dans le but de faire du film un vrai drame et non un devoir de mémoire, Daniel raconte ce que sont devenus ces enfants à l’age adulte, aux idéaux et vies opposées. Si Susan est une révolutionnaire dans l’âme qui embrasse n’importe quelle cause tant que celle-ci lui permet de lutter contre un système qui lui a enlevé ses parents, le rôle titre quant à lui fait fît de son patronyme traîné dans la boue et mène une vie normale. Une opposition qui nous est exposée d’entrée de jeu, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi l’héritage laissé par leurs parents est source de conflit entre une sœur et son frère, voire de rage pour ce dernier qui est un personnage plus complexe qu’il ne paraît, aussi détestable que compréhensible pour le spectateur. Si les premières minutes de Daniel donnent le sentiment d’avoir pris le film en cours de route, c’est pour mieux nous surprendre de par sa structure qui se déroule sur trois époques distinctes. Le présent donc mais aussi deux autres périodes clés de la vie de Daniel.

Une structure qui donne de l’épaisseur à un récit en apparence simple. Car si dans le fond on sait comment va finir le métrage, dans la forme les nombreux flashbacks apportent une réelle valeur au métrage. Daniel est un film intéressant dans sa structure dans le sens où chaque retour en arrière donne des clés à la compréhension de ce qui se passe dans le présent, mais l’inverse est également vrai et ainsi certains éléments laissés en suspend dans le passé trouvent tout leurs sens dans le présent. Écrit comme ça, Daniel semble être un film complexe, mais il n’en est rien. Au contraire, passé la surprise de passer sans prévenir d’une époque à l’autre, Sidney Lumet réussit avec Daniel à être cohérent de bout en bout grâce à un excellent montage qui mélange les époques tout en les brouillant sur la durée, jusqu’à ne faire qu’un dans un final techniquement parfait en plus d’être bouleversant. C’est l’autre qualité de Daniel, mais aussi quelque part son défaut. Avec ce film, Sidney Lumet aborde le sujet des conséquences des actions des parents sur leurs enfants, et sur ce point c’est une réussite tant les scènes qui exposent la relation entre Daniel et Susan à travers le temps sont touchantes grâce à un metteur en scène qui ne verse jamais dans le larmoyant lacrymogène, c’est même tout le contraire mais selon votre sensibilité, le film manque d’un petit quelque chose qui en fait une œuvre pas aussi émouvante qu’elle ne devrait l’être. Le film n’en reste pas moins un drame poignant, qui confronte deux enfants à l’opposition, terme qui est au centre du récit. Que ce soit dans les idéaux, dans les décisions des parents, dans les sujets de repas de famille aussi anodins soient-ils, dans l’héritage de son patronyme, tout cela sous fond de celle grandissante entre les USA et l’URSS… c’est cette opposition qui fait du personnage de Daniel un être torturé qui n’a d’autre choix que de remuer un passé tumultueux pour affronter ses démons et trouver lui-même sa propre voie. En plus d’aborder frontalement le maccarthysme, Daniel est un film qui est un sacré réquisitoire contre la peine de mort, aborder la chose est en total raccord avec l’entièreté du métrage, le rôle titre nous exposant les diverses techniques de mises à mort et de tortures à travers les âges qui font écho à la chasse aux sorcières orchestrée par Joseph McCarthy. Inédit depuis sa sortie en salle, Daniel est vous, l’aurez compris, un film à voir. Pour les amateurs de Sidney Lumet, Daniel est une pièce maîtresse de sa déjà fournie filmographie. Pour les autres, Daniel est un métrage thématiquement chargé, intelligemment construit, bouleversant, dans lequel le montage est à étudier tant il est d’une cohérence sans faille, au casting parfait. Reste que si émotionnellement parlant le film n’a peut être pas l’effet attendu, en tout cas dans mon cas, il reste une œuvre bouleversante qui non seulement ose parler d’une page sombre de l’histoire des États-Unis, mais qui parle également de l’influence que peuvent avoir les idéaux politiques des parents sur leurs enfants, et de ces derniers qui veulent s’en affranchir pour défendre leurs propres causes, quitte à remettre leurs existences en question. Des questions dont l’interprétation peut être sujet à débat, Daniel étant mine de rien politiquement orienté (pour un Ricain on s’entend), mais qui n’entache en rien à ce qui est au final un grand film.

LES PLUS LES MOINS
♥ Globalement, c’est bouleversant…
♥ La structure du film
♥ Un film qui ose parler du maccarthysme
♥ Le casting
♥ Techniquement impeccable
♥ La relation entre les personnages à travers leur histoire
♥ Le final et son montage parfait
♥ Thématiquement chargé et intelligent
⊗ … mais pas aussi émouvant que ça ?
Daniel est un film important. Que ce soit dans la filmographie de Sidney Lumet pour les amateurs du réalisateur, ou dans le traitement de ses thématiques qui renvoient à une période sombre de l’histoire des États-Unis, le métrage est une réussite bien trop méconnue. Inédit jusqu’ici depuis sa sorite en salle, Daniel est un grand film mérite une (re)découverte d’urgence.

Daniel est sorti chez Spectrum Films en combo DVD-Blu-ray au prix de 25€. Il est disponible à l’achat ici : Spectrumfilms.fr

En plus du film, on y trouve : The Bobbie Wygant Archive : Lumet & Hutton. A voir avant le film: Introduction de Jean-Baptiste Thoret. A voir après le film : Le Cinéma est mort – Lumet par la gauche et la bande-annonce



Titre : Daniel
Année : 1983
Durée : 2h10
Origine : USA
Genre : La liste de McCarthy
Réalisateur : Sidney Lumet
Scénario : E.L. Doctorow

Acteurs : Timothy Hutton, Amanda Plummer, Edward Asner, Burtt Harris, Lindsay Crouse, Mandy Patinkin

Daniel (1983) on IMDb


   

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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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