[Film] City of Darkness, de Soi Cheang (2024)


Dans les années 80 à Hong Kong, Chan Lok-Kwun, un migrant clandestin fraichement débarqué du Vietnam, survit comme il peut dans la ville. A la suite d’une altercation avec un gang qui le prend en chasse, il se réfugie dans la citadelle de Kowloon où il va très vite s’intégrer et se découvrir une nouvelle famille.


Avis de Nasserjones :
Une fois n’est pas coutume, les journalistes ont eu une longueur d’avance sur les fans de cinéma HK. Du fait de la présentation en exclusivité du film au Festival de Cannes, les professionnels du métier ont donc pu voir le film avant tout le monde et on a donc eu déjà droit à beaucoup de critiques du film sur la toile ou dans la presse spécialisée. Tout a donc déjà été presque dit sur City of Darkness, la plupart des critiques louant les nombreuses qualités indéniables du film et souvent soulignant exactement les mêmes points, à croire parfois que toutes les critiques avaient été écrites par la même personne.

Alors oui, City of Darkness est une belle réussite, un revival inspiré et plein de fureur du film de baston made in HK comme on l’aime. Soi Cheang le nouveau patron incontestable du cinéma de la ville, nous livre un blockbuster martial dans la lignée de ce qu’il avait déjà fait avec SPL 2 mais en gommant les principaux défauts de l’époque pour gagner en efficacité. On se souvient tous du terrible combat final de SPL 2 opposant Tony Jaa et Wu Jing à Max Zhang mais qui était en partie gâché par son montage puisqu’il était entrecoupé de scènes où on voyait Louis Koo malade du cœur en train d’agoniser et de scènes avec la fille de Tony Jaa perdue dans Bangkok qui tombait nez à nez avec un vilain loup en CGI. En superposant les trois évènements en même temps, Soi Cheang nous empêchait d’apprécier pleinement le combat. Soi Cheang, arrivé aujourd’hui à maturité, corrige donc toutes ses maladresses en se concentrant uniquement sur l’action lorsqu’elle éclate, sans montage ou effets de style pompeux. Niveau bastons, City of Darkness dépote sérieusement avec de longs combats homériques à base de coups de marteaux, de sabre, … Kenji Tanigaki livre ici ses meilleures chorégraphies, dans la lignée de ce qu’il avait déjà fait sur la saga Kenshin mais en plus violent. Chose d’ailleurs à savoir avant de regarder le film et dont très peu ont parlé jusqu’ici : City of Darkness est l’adaptation d’une bande-dessinée Hongkongaise avec un style visuel un peu proche de Hokuto No Ken où des supers guerriers bodybuildés défoncent des murs à mains nues. Ne vous attendez donc pas à un quelconque réalisme ici, matériel oblige, les combats sont extrêmement fantaisistes, très comics. On peut clairement parler de manhua live. Pour une fois d’ailleurs, le titre français de City of Darkness fait pleinement sens puisqu’il s’agit du titre du manhua et est beaucoup plus adapté que le titre Hongkongais Twillight of the Warriors : Walled in. Et puis en dehors des combats qui sont le principal argument de vente du film, il y a bien sûr la reconstitution de la citadelle de Kowloon qui est géniale avec ses ruelles étroites, son architecture labyrinthique, ses câbles qui pendent partout et ses petits commerces, créant un univers visuel cinématographique complètement à part qui nous ramène au final fou du premier Long Arm of the Law.

Comme souvent dans le cinéma HK, le mélange des genres fonctionne miraculeusement bien, le film arrivant constamment à trouver l’équilibre entre film noir et film de baston ultra fantaisiste dans un mariage contre-nature et irraisonnable où pourtant l’alchimie prend. Certains ont aussi souligné l’aspect politique du film, voyant cette citadelle de Kowloon comme une allégorie du Hong Kong actuel, dernier bastion de résistance envers le pouvoir Chinois. Est-ce que Soi Cheang avait vraiment ça en tête en réalisant son film ? Pas sûr du tout. En tout cas, City of Darkness s’inscrit pleinement dans la tendance du nouveau cinéma Hongkongais post 2014 qui tend à affirmer l’identité et l’histoire Hongkongaise, là où les derniers films de Herman Yau, de Donnie Yen ou du regretté Benny Chan tendaient plus vers des films plus universels et plus internationaux. Et puis il y a la troisième grosse réussite du métrage : le casting. Bien sûr, ça fait énormément plaisir de retrouver Sammo Hung dans un rôle de chef de gang proche de son rôle dans SPL et Louis Koo est toujours aussi impeccable, mais la plus grande réussite est le quatuor de jeunes acteurs. A part le chanteur Raymond Lam qui a 44 ans, les trois autres ont moins de 40 ans et sur ce coup-là aussi, Soi Cheang a eu du flair. On le sent depuis 3/4 ans, il commence à y avoir une vraie saturation chez le public chinois des anciennes gloires du cinéma HK comme Donnie Yen, Jackie Chan ou Andy Lau et le fait de mettre en avant quatre nouveaux visages a sans doute fortement contribué au vent de fraicheur que City of Darkness apporte. D’autant plus que la petite équipe qu’ils forment fonctionne à merveille et que les personnages sont attachants. Donc oui, City of Darkness, comme plusieurs l’ont déjà écrit, est un film de baston extrêmement jouissif avec un style visuel à part, bien à lui, et un quatuor de héros attachants.

Là où j’ai eu beaucoup de mal avec de nombreuses critiques, c’est avec l’analyse qui me semble complètement erronée du cinéma de Hong Kong, qualifiant City of Darkness de « chant du cygne », de « film témoin d’une époque révolue » ou de « baroud d’honneur ». Ceux qui continuent de regarder des films HK contemporains et qui continuent de suivre l’actualité de la ville le savent : les équipes de chorégraphes/cascadeurs (cœur névralgique de ce cinéma) comme celle de Donnie Yen et Kenji Tanigaki, de Chin Ka-Lok ou de Nicky Li sont toujours présentes dans la ville. En réalité, plus qu’un « baroud d’honneur », City of Darkness est surtout une démonstration de force, une piqure de rappel qui vient rappeler aux amnésiques que le cinéma de Hong Kong continue d’être le détenteur d’un savoir-faire unique en matière de spectacle martial. Le dernier film de Soi Cheang est bel et bien un message envoyé au monde entier : donnez-nous les budgets et nous pouvons encore aujourd’hui réaliser les meilleurs films de baston au monde. Est-ce que ça veut pour autant dire que nous allons prochainement voir débarquer peins de nouveaux films de castagne de la trempe de City of Darkness ? Ça c’est beaucoup moins sûr, étant donné qu’à part City of Darkness justement, tous les derniers blockbusters HK comme les deux polars de Herman Yau, Crisis Negotiators et Customs Frontline, le dernier Dante Lam Bursting Point, ou le Jason Kwan I Did it my Way, ont tous été des échecs au box-office chinois, il est fort à parier que les réalisateurs Hongkongais vont avoir plus de mal à trouver des budgets prochainement. Néanmoins, succès oblige, une suite et une préquelle à CIty of Darkness ont déjà été annoncées par les producteurs et, surtout, ce dernier a montré la voie pour le futur de ce cinéma : stop les vieilles formules, les histoires usées de flics undercovers et les stars vieillissantes et omniprésentes depuis 30 ans et plus d’histoires originales et de jeunes acteurs.

LES PLUS LES MOINS
♥ Les combats
♥ La reconstitution de Kowloon
♥ Le casting
⊗ La bande son de Kenji Kawai qui fait trop Ip Man
⊗ Quelques CGI moyens

City of Darkness est bel et bien le gros spectacle martial annoncé. Mais plus qu’un baroud d’honneur ou qu’un chant du cygne, il est avant tout une démonstration de force, un message envoyé au monde entier : le cinéma de Hong Kong n’est pas mort et il continue d’être le détenteur d’un savoir-faire unique dans le domaine du film de baston.



Titre : City of Darkness / Twilight of the Warriors : Walled In / 九龍城寨.圍城
Année : 2024
Durée : 2h05
Origine : Hong Kong
Genre : Baston / Manhua live
Réalisateur : Soi Cheang
Scénario : Shum Kwan-Sin, Au Kin-Yee, Chan Taili, Lai Chun

Acteurs : Louis Koo, Sammo Hung, Richie Ren, Raymond Lam Fung, Terrance Lau, Kenny Wong, Philip Ng, Tony Wu, German Cheung, Aaron Kwok, Jozev Kiu

Twilight of the Warriors: Walled In (2024) on IMDb


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Auteur : Nasserjones

Fan névrosé de cinéma HK, élevé aux girls with guns et heroic bloodsheed, j'essaye depuis quelques années de me soigner comme je peux en m'ouvrant un peu plus à des films plus intimistes et différents. Des Philippines au Kazakhstan, de la Corée à l'Indonésie, je poursuis tant bien que mal mon auto-thérapie.
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