En 1930, pendant l’occupation britannique de l’Inde, Analeesan un jeune villageois sans but rejoint l’armée britannique et devient le soldat Miller. Forcé de participer à un massacre de manifestants pacifistes, il tue son supérieur et s’enfuit. Il va alors devenir un révolutionnaire sanguinaire.
Avis de Nasserjones :
Arun Matheswaran fait partie de cette vague de réalisateurs indiens quadragénaires apparue ces dernières années qui pratique un cinéma extrêmement violent et brutal en total décalage avec le cinéma bollywood coloré qui a longtemps régné en Inde. Bien que dès la fin des années 80, Ram Gopal Varma réalisait déjà des films noirs très violents, il a été quasiment toute sa carrière un marginal en Inde, certes respecté mais à part dans l’industrie du cinéma indien. Hors aujourd’hui, des réalisateurs comme Matheswaran, Lokesh Kanagaraj (Vikram, Leo) ou Prashanth Neel (K.G.F, Salaar) cartonnent au box-office indien si bien que leur influence est en train de complètement métamorphoser l’industrie du cinéma indien comme l’atteste la récente sorti du blockuster hindi Animal où la star Ranbir Kapoor, habituellement habitué aux rôles de jolis cœurs, a laissé pousser sa barbe et ses cheveux pour essayer de ressembler tant bien que mal à Yash dans K.G.F et où il charcute du gangster à la hache comme dans les films de Prashanth Neel. La révolution est en marche diront certain.
Plus encore que Prashanth Neel ou que Lokesh Kanagaraj, les films de Arun Matheswaran sont d’une noirceur extrême et avant ce Captain Miller, il s’est particulièrement illustré avec deux films assez malsains : le thriller Rocky en 2021 et le rape and revenge Saani Kaayidham en 2022. Matheswaran se distingue aussi des autres réalisateurs cités parce qu’il a un style bien plus occidental que les autres. Ici donc pas de danse, pas de chant, pas de ralentis à la Zack Snyder, encore moins de romance ou d’acteurs qui surjouent. Captain Miller est un véritable western crépusculaire à la Sergio Corbucci et quand je compare à Corbucci, je pense surtout à ses meilleurs films Django et Le Grand Silence. Dans sa thématique et dans son ambiance, le film se rapproche aussi pas mal du western zapata à la El Chuncho ou à la El Merenario (l’humour en moins) avec ses bandits rebelles qui combattent l’armée d’occupation britannique, ses paysages désertiques proches des paysages mexicains et son lot de gunfights sanglants à la Walter Hill, voir à la Sam Peckinpah (en beaucoup moins virtuose hein). Bien que le film soit très long (2h37), le rythme est plutôt bon, le film est bourré d’action, beaucoup de gunfights mais aussi des bastons à mains nues, une poursuite en moto, des explosions et une grosse scène de guerre finale de plus de 20 minutes. Les paysages sont très beaux et bien mis en relief par une belle photographie. Après la fin du film, je me suis longuement interrogé en me demandant depuis combien de temps je n’avais pas vu un aussi bon western et je crois qu’il faut remonter à plusieurs années. Il faut aussi souligner la principale force du film : la prestation XXL de l’acteur principal Dhanush. Là aussi, j’ai pensé à Corbucci et à la prestation de Trintignant dans Le Grand Silence. Il joue le rôle d’un type torturé, hanté par les meurtres de civils innocents qu’il a commis et flirtant régulièrement avec la folie. Impressionnant, la palette d’émotions qu’il fait passer au travers de son regard, tour à tour la douleur, la honte, la rage ou la folie meurtrière, toujours avec beaucoup de justesse et de sobriété, sans parler de son charisme naturel et de sa prestance, tout aussi crédible à l’écran lorsqu’il fracasse des crânes de soldats anglais que lorsqu’il ressasse ses péchés seul dans un coin.
Tout n’est pas parfait non plus. Beaucoup pourront reprocher au film un certain manichéisme et sa vision très clichée du colonialisme. Comme c’est le cas dans une bonne partie de la production indienne depuis plusieurs années, l’ombre d’un nationalisme ambiant plane sur tout le métrage. Rappelons-le, depuis 2014, l’Inde est gouvernée par un premier ministre d’extrême droite et dans un contexte politique xénophobe et antimusulman, les films de propagande avec des terroristes islamistes pakistanais sont devenu légion et nul doute qu’avec le succès de RRR, on va voir fleurir des films de propagande antibritannique. Soyons clair, je n’ai aucun souci avec le fait de montrer le colonialisme sous son plus mauvais jour et je suis même un anticolonialiste convaincu. Je trouve extrêmement jouissif les films comme Captain Miller où le massacre de colons y est montré comme un sport de haut niveau, mais difficile de ne pas souligner le côté propagandiste nationaliste de la chose. Les scènes d’action sont aussi un point gris du film. Elles sont nombreuses, généreuses et violentes, mais filmées de manière un peu plate. Dans les nombreux gunfights, on a par exemple trop souvent du champ/contrechamp, c’est-à-dire un plan sur le tireur, un plan sur celui qui reçoit la balle. Ça manque cruellement de plans larges, de recherche dans le découpage, malgré toute la violence, les morts et explosions, il n’y a pas vraiment une scène qui envoie du lourd et qui reste en tête. Pareil pour la bande-son qui manque de souffle, dans un tel film j’aurais bien aimé un thème principal à la Ennio Morricone qui me reste en tête mais ce n’est pas le cas. Et puis le final étonnamment assez rose m’a plutôt déstabilisé, alors que pendant tout le film règne une ambiance désespérée, je m’attendais beaucoup plus à un final à La Horde Sauvage. Tous ces défauts n’entachent en rien la qualité générale du film, qui demeure un gros morceau de cinéma de genre très recommandable et, pour une fois, pas juste réservé aux afficionados du cinéma indien mais peut-être aussi à un public plus large.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Un western zapata sanglant en 2024, ça ne se refuse pas ♥ La prestation magistrale de Dhanush ♥ Beaucoup d’action ♥ Les paysages |
⊗ Trop long comme toujours avec le cinéma indien ⊗ Les scènes d’action spectaculaires mais filmées sans inventivité ⊗ Le nationalisme du film pourra en agacer certains |
Captain Miller est un western crépusculaire sanglant où le massacre de colons britanniques y est montré comme un véritable sport de haut niveau. Certains trouveront peut-être l’objet trop manichéen ou trop nationaliste, d’autres le trouveront peut-être jouissif et justifié, mais difficile de nier la générosité du spectacle. |
LE SAVIEZ VOUS ?
• Le Capitaine Miller a vraiment existé mais n’a pas vécu en 1930 et n’a jamais combattu les anglais, c’est en fait une figure héroïque de la rébellion Tamoul au Sri Lanka où il est mort en 1987 dans un attentat suicide à la bombe contre une caserne militaire Sri-Lankaise.
Titre : Captain Miller
Année : 2024
Durée : 2h37
Origine : Inde
Genre : Western / Massacre de colons
Réalisateur : Arun Matheswaran
Scénario : Arunraja Kamaraj, Madhan Karky, Arun Matheswaran
Acteurs : Dhanush, Shiva Rajkumar, Sundeep Kishan, Priyanka Arul Mohan, Aditi Balan, Edward Sonnenblick, John Kokken, Nivedhithaa Sathish, Vinoth Kishan