[Film] Call me Chihiro, de Imaizumi Rikiya (2023)

Dans une petite ville côtière, Chihiro, une ancienne prostituée décomplexée se reconvertit dans la vente de bentos et réconforte les âmes solitaires qui constituent sa clientèle.


Avis de Rick :
A l’heure où chaque métrage se transforme en quête pour la survie de l’humanité (ou son extinction), en recherche d’artéfact, en grand méchant manichéen qui veut tout détruire, cela fait toujours du bien de se retourner vers la simplicité, celle faite de tout petits rien. Call me Chihiro, débarqué sur Netflix en ce début 2023, est un de ces petits rien. Pas d’antagoniste, pas de monde à sauver, pas de rebondissements de fous furieux toutes les trois minutes pour maintenir un spectateur éveillé, mais juste le portrait d’une femme, ancienne prostituée, dans la petite ville portuaire d’Hiroshima, qui, sous ces apparences de femme parfaite parlant à tout le monde, aidant son prochain, qu’il s’agisse de petit garçon turbulent, d’adolescente mal dans sa peau ou d’un papy sans-abris, déploie ses ailes pour parler d’un sujet beaucoup plus vaste et universel, à savoir, la solitude que l’on ressent tous à un moment ou à un autre, et donc cette irrémédiable envie de se connecter avec les autres, cette envie d’interactions. Ni plus, ni moins. Call me Chihiro nous propose donc pendant un peu plus de deux heures de suivre les aventures, ou plutôt les interactions sociales de Chihiro, une femme qui dit ce qu’elle pense, et qui paraît totalement surréaliste si l’on reste à la surface des choses. Comment après tout une ancienne prostituée peut se reconvertir dans la vente de bentos, être appréciée de tous, et avoir en plus de tout ça le temps de rendre visite à une vieille dame à l’hôpital, de passer du temps avec un sans-abris et de le nourrir, de lire des mangas un peu dépassés avec une jeune adolescente, de passer du temps avec une autre adolescente qui ne se sent pas à sa place dans son groupe d’amies, mais aussi d’aider un jeune garçon délaissé par sa mère, tout en ayant encore un peu de temps pour parler à une ancienne amie elle-aussi prostituée, de prendre une bière avec son ancien patron (Franky Lily, toujours un plaisir de le voir) et de faire quelques papouilles à un chat errant dans le coin ?

Chihiro pourtant, sublime Arimura Kasumi, n’est pas une femme parfaite, son corps porte les marques de son passé, et des coups de fils de temps à autres viennent noircir son regard. Elle n’est pas la femme modèle, ni idéale, mais représente ici bien plus un pont entre les différents personnages, et donc entre différentes thématiques abordées par le film, et entre différents archétypes. Certains personnages le soulignent d’ailleurs, Chihiro parraît parfois distante envers les événements, traversant certaines épreuves l’air de rien, comme un fantôme, ne ressentant par exemple rien à l’annonce de la mort de sa mère suite à un coup de fil. Une coquille sans émotions, qui pourtant déborde d’amour pour les autres et d’émotions quand il le faut, qui se met en quelque sorte au service des autres, comme pour en apprendre plus sur le monde qui l’entoure, et sur elle-même, qui se sent seule, comme si tous les autres autour d’elle étaient des étrangers (venus d’une autre planète). Car chaque personnage, pour une raison ou pour une autre, subit la solitude, ou une pression, sociale, familiale, amicale ou salariale. Chihiro navigue entre chaque élément, passant d’une thématique à une autre, avec un ton doux la plupart du temps, et cette volonté d’arranger les choses, et donc cette volonté du film de tendre vers le film doux et positif plus que vers le drame larmoyant et dépressif. Hiroshima, ses petites rues et ses magnifiques couchers de soleil sont le lieu idéal pour filmer tout ça, et d’ailleurs, le réalisateur ainsi que son directeur de la photographie s’en donnent alors à cœur joie, livrant quelques sublimes plans, où l’espace de quelques secondes, voire parfois minutes, le temps se fige pour nous laisser apprécier l’instant présent, sans avoir à se presser pour nous amener rapidement à la prochaine thématique, à la prochaine péripétie. Call me Chihiro est un film qui prend son temps pour nous imprégner de son ambiance, douce et parfois nostalgique, et ça fait du bien.

La formule n’est bien entendue pas franchement nouvelle, mais encore une fois, à une époque où tout doit aller vite pour maintenir le spectateur éveillé avant qu’il ne passe à la seconde d’après à une autre œuvre, cela fait toujours grand plaisir à voir. Surtout que le métrage en question fonctionne autant dans ses moments simples et contemplatifs, et dans sa relative simplicité du début, que lorsqu’il explore un peu plus dans la seconde partie la psychologie de Chihiro, son passé, et amène de nouveaux personnages dans son récit, notamment la mère du petit garçon, pour alors nuancer bien plus son propos, et donc ne plus faire de Chihiro ce personnage qui paraissait si parfait aux premiers abords. Dans son genre, Call me Chihiro est donc une réussite, assez inespérée d’ailleurs lorsque l’on voit le métrage débarquer sur une plateforme comme Netflix. Mais parfois, les miracles existent donc. Ce n’est pas parfait, certains seront sans doute déçus de voir un film finalement aussi prude dans sa manière d’aborder certains sentiments, mais c’est avant tout un film qui sonne vrai, et donc parvient à nous toucher avec ces petits moments, jusqu’à réussir à nous faire sourire lors de ces derniers instants, sans utiliser aucun artifice, visuel, auditif ou narratif. Oui en réalité, c’est vraiment très bon.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un film doux qui prend son temps
♥ Les thématiques fortes et réalistes
♥ Une belle galerie de personnages
♥ Un casting varié
♥ Hiroshima, joliment filmé
⊗ Décevant si l’on s’arrête à la surface des thématiques
note6
Call me Chihiro est un film doux qui sait prendre son temps pour profiter des petits moments, de l’atmosphère d’Hiroshima et de ses nombreux personnages ressentant la solitude, qui malgré leurs différences, vont grandir les uns aux côtés des autres.


Titre : Call me Chihiro – ちひろさん
Année : 2023
Durée :
2h14
Origine :
Japon
Genre :
Drame
Réalisation :
Imaizumi Rikiya
Scénario :
Imaizumi Rikiya et Sawai Kaori d’après le manga de Yasuda Hiroyuki
Avec :
Arimura Kasumi, Toyoshima Hana, Shimada Tetta, Van, Wakaba Ryûya, Sakuma Yui, Nagasawa Itsuki, Ichikawa Miwako, Suzuki Keiichi, Negishi Toshie et Franky Lily

Call Me Chihiro (2023) on IMDb


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Auteur : Rick

Grand fan de cinéma depuis son plus jeune âge et également réalisateur à ses heures perdues, Rick aime particulièrement le cinéma qui ose des choses, sort des sentiers battus, et se refuse la facilité. Gros fan de David Lynch, John Carpenter, David Cronenberg, Tsukamoto Shinya, Sono Sion, Nicolas Winding Refn, Denis Villeneuve, Shiraishi Kôji et tant d'autres. Est toujours hanté par la fin de Twin Peaks The Return.
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