Dans un pays inconnu, le Bunker Palace Hôtel sert de refuge aux dignitaires d’une dictature en train de s’écrouler. Le lieu est conçu pour protéger ses occupants et leur garantir le luxe auquel ils sont habitués. Les arrivées s’échelonnent. Clara, une espionne rebelle, parvient à s’infiltrer dans le bâtiment
Avis de John Roch :
Avec son univers, ses thématiques et son style, Enki Bilal a marqué la BD Franco-Belge et s’est imposé comme une nouvelle valeur sûre du neuvième art dans les années 80. Passionné par le cinéma qui a nourri son amour pour le dessin, l’auteur qui a travaillé sur les décors de La Vie Est Un Roman et le design du Molasard de La Forteresse Noire veut passer à la réalisation. Conscient de son inexpérience dans le domaine, pour ce faire la main il propose à d’autres dessinateur de le rejoindre pour mettre en scène un film à sketch dont son segment se nomme Bunker Palace Hôtel. Seulement Bilal se retrouve seul à la barre de ce projet mort né mais fait la connaissance du producteur Maurice Bernart qui est enthousiaste de collaborer avec le dessinateur, mais sous condition que Bunker Palace Hôtel se concrétise sous la forme d’un long métrage. Un long qui n’aura par ailleurs aucune peine à convaincre une équipe et un casting qui a de la gueule (Jean Louis Trintignant qui bouffe l’écran, mais aussi Carole Bouquet, Maria Schneider et Jean-Pierre Léaud entre autres) enthousiastes à l’idée de tourner dans une proposition différente du cinéma Français qui aura en revanche bien plus de mal à convaincre les spectateur, le métrage ayant été un four à sa sortie. Il faut dire que Bunker Palace Hôtel est un film d’anticipation difficile d’accès pour le grand publique. Pas tant à cause de l’univers d’Enki Bilal dont la méconnaissance n’est pas un frein à la découverte du métrage, c’est même une porte d’entrée, mais celle à une œuvre particulière et non pas sans défauts, en première ligne un rythme et un statisme qui risque d’en décourager plus d’un. Pourtant, tout aussi bancal soit-il, Bunker Palace Hôtel est un film intéressant sur bien des points.
Intéressant dans son ambiance. Tourné à Belgrade, ville natale du réalisateur, les rues de l’actuelle capitale de la Serbie dans lesquelles Bunker Palace Hôtel introduit ses personnages donne une atmosphère non seulement froide au métrage, mais aussi pré-apocalyptique. Bunker Palace Hôtel n’est pas vraiment un film de science fiction mais un film d’anticipation qui se déroule dans un futur proche dans lequel un régime totalitaire est sur le point de s’écrouler. La perestroïka dont l’équipe a profité pour tourner de l’autre coté du rideau de fer montrant des signes de faiblesses du bloc communiste, Enki Bilal anticipe avec son premier long la chute de l’URSS qui s’annonçait alors. Si la thématique est obsolète aujourd’hui, Bunker Palace Hôtel n’en perd pas moins de sa force puisque le temps donne une autre forme d’ambiance au film, rétro futuriste celle-là, qui fonctionne plutôt bien, notamment grâce aux superbes peintures sur verre qui flatte la rétine dans le premier quart d’heure. Si celles-ci ont pris un coup de vieux de par leur perceptibilité, elles ne paraissent à contrario jamais datées car non seulement elle donnent ce coté rétrofuturiste évoqué, mais donnent aussi un aspect bande dessinée, tout comme la mise en scène qui si elle n’est pas parfaite, on ressent l’inexpérience du dessinateur derrière la caméra sans pour autant que le résultat soit catastrophique, réussie par moments de par ses cadrages à livrer des plans qui semblent extirpés d’une BD. Presque muet, le premier quart d’heure de Bunker Palace Hôtel pose les bases de son univers: ses personnages, son contexte politique et son monde qui semble arriver à sa fin sous une pluie de lait. Du moins pour les plus proches collaborateur du Président, qui trouvent refuge dans un Bunker de luxe construit dans l’éventualité ou le système s’écroule.
Ce système qui s‘ écroule, Bunker Palace Hôtel le montre bel et bien, mais de manière intimiste sous la forme d’un huit clos dans lequel l’élite dudit système va vivre implicitement la rébellion qui fait rage à la surface tout en étant témoins de leur propre auto-destruction. C’est la que Bunker Palace Hôtel va diviser tant le métrage se montre parfois paradoxal. Pas sur le plan visuel, le métrage bénéficie d’un décor, véritable personnage à part entière, unique soigné et cohérent avec l’univers qui a été introduit en début de bobine, dans lequel la technologie se présente sous la forme d’automates cybernétiques loin d’être au point. C’est sur d’autres aspects que le film se plante aussi bien qu’il réussi. Coté mise en scène, comme évoqué plus haut, si globalement le résultat n’est pas déshonorant et que quelques plans semblent sortir tout droit d’une BD, l’inexpérience de Enki Bilal (lucide sur ses débuts de metteur en scène sans expérience) se ressent trop pour convaincre totalement sur ce point. Le scénario lui aussi a ses forces et ses faiblesses. D’ un coté il faut saluer la caractérisation des personnages, l’originalité de l’univers proposé par Enki Bilal et l’ambiance particulière qui s’en dégage. De l’autre, si parfois on a l’impression d’avancer dans l’histoire, celle-ci ne semble jamais décoller et faire du surplace pendant une petite partie du film. Puis il y a ce sentiment que malgré tout les efforts du réalisateur pour offrir au spectateur quelque chose d’autre et d’original, il ne l’est dans le fond qu’en surface (un dictateur qui s’enferme dans un bunker avec ses plus proches collaborateurs impuissant face à la chute de son régime totalitaire, ça vous parle?). Il y a enfin ce rythme assez particulier, lent voire statique, qui est à la fois une force dès lors que l’on se plonge dans l’histoire et l’univers, mais aussi sa plus grande faiblesse si vous y restez hermétique. Bunker Palace Hôtel n’est donc pas un film destiné à tous mais tout aussi bancal soit-il, Bunker Palace Hôtel mérite un coup d’œil justement pour cette raison. C’est un film autre, en son temps un petit coup de pied dans la fourmilière du cinéma Français, une œuvre qui a certes vieilli sur certains aspects, sa thématique en premier lieu, mais qui paradoxalement tient encore la route de par sa transformation de film d’anticipation à métrage rétrofuturiste avec le temps.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ L’histoire ♥ L’ambiance ♥ L’univers ♥ Le Bunker Palace Hôtel ♥ Certains plans qui semblent tout droit sortis d’une BD ♥ Le casting, Jean Louis Trintignant en tête |
⊗ Le rythme qui ne plaira pas à tout le monde ⊗ Le scénario qui fait parfois n’avance pas ⊗ De manière globale, trop statique ⊗ La réalisation bancale |
Avec Bunker Palace Hôtel, Enki Bilal signe un film autre dans le paysage cinématographique Français. Si le métrage a pris un coup de vieux sur certains aspects, sa thématique en premier lieu, il traverse néanmoins bien le temps grâce à son univers qui aujourd’hui ne tient plus de l’anticipation mais du rétrofuturisme et donne donc une nouvelle manière d’approcher ce premier film certes bancal mais non dénué d’intérêt. |
Bunker Palace Hôtel est disponible en Combo Blu-ray / DVD chez Rimini Editions au prix de 24.99€ dans une édition riche en contenu. En plus du film, on y trouve une interview de Enki Bilal enregistrée en Juin 2023; Cinémonstre (1h15), un montage réalisé par Enki Bilal à partir des trois films qu’il a réalisé; Enki Bilal – souvenirs du futur, un documentaire de 2019 (52 min); des images du tournage issues des archives INA (4 min) et 4 cartes postales. |
Titre : Bunker Palace Hôtel
Année : 1989
Durée : 1h35
Origine : France
Genre : La chute
Réalisateur : Enki Bilal
Scénario : Enki Bilal et Pierre Christin
Acteurs : Jean Louis Trintignant, Carole Bouquet, Maria Schneider, Jean-Pierre Léaud, Roger Dumas, Hans Meyer, Benoît Régent