[Film] Au-Delà des Montagnes, de Jia Zhang-ke (2015)

Chine, fin 1999. Tao, une jeune fille de Fenyang est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Lianzi. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin.


Avis de Iris :
Avec un début de carrière dans le film underground, Jia Zhang-ke est passé du côté des films plus accessibles dans le début des années 2000 avec The World et sera récompensé en 2006 à Venise puis à Cannes en 2010. Il nous livre en 2015 cet Au-Delà des Montagnes, « même les montagnes pourraient s’en aller », qui fut son titre original lors de la présentation cannoise du film et qui donne d’emblée le ton mélancolique du film. Autant le dire d’entrée de jeu, ce film est une merveille, un envoûtement tant dans sa maîtrise des sentiments que dans sa performance technique avec des idées fortes qui nous amènent.

Jia Zhang-ke filme le destin de Tao, chinoise du nord de la Chine, à Fenyang, dans la province du Shanxi (d’où le réalisateur est également originaire) sur trois époques différentes s’étalant de 1999 à 2025. Le destin, ou quand nos choix déterminent notre vie et celle des autres, avec cette impression d’inexorabilité qui ne nous quittera pas tout au long du métrage.
Trois époques donc avec, dès le début, une sorte de huis-clos sentimental à l’intérieur d’un triangle amoureux avec Tao et ses deux amis d’enfance Zhang Jinsheng et Liangzi entre lesquels elle devra tôt ou tard faire un choix. On vit l’avancée avec les personnages de façon magistrale, leurs interrogations et leur souffrance deviennent nôtres car, comme chaque fois lors d’une triade amoureuse, tous souffriront : l’amoureux éconduit, le promis qui sera un choix de raison et la personne qui fera souffrir. De longs moments de silence (d’aucun diraient des lenteurs) où beaucoup d’émotions passent par les regards et l’expressivité de ces non-dits qui en évoquent plus que des mots permettent en réalité au spectateur de ressentir une empathie réelle. Jia Zhang-ke offre à ses acteurs des rôles parfaits, notamment à Zhao Tao qui est très juste dans son interprétation.
Seconde époque donc, 15 ans plus tard, en 2014. Tao est une femme divorcée qui a choisi de laisser la garde de son fils unique à son ex-mari pour lui offrir un avenir meilleur. Le choix d’une mère qui se sacrifie pour donner une chance à son enfant de quitter sa condition mais au prix de la solitude, de la « perte des jolis mots », du poids de l’absence. Solitude qui se verra d’autant concrétisée que lors de la perte de son seul pilier, elle retrouvera un fils de sept ans qui ne connait plus ses origines, parle plus facilement l’anglais que sa langue maternelle et qui ne saura plus prononcer le mot « maman ». Elle le laissera à nouveau partir, hors de Chine cette fois-ci, vers un destin idéalisé en Australie.
Troisième et dernière époque, 2025, centrée sur le début de l’âge adulte de Dollar (le fils de Tao) en Australie. Les relations père-fils se sont distendues (si elles ont jamais existé) et ce jeune homme de 21 ans sera un jeune adulte perdu, à qui rien ne plaira, et qui trouvera un réconfort certain auprès d’une femme de l’âge de sa mère, seule allusion à cette figure maternelle qui lui aura finalement tant manqué. Mais dans le déni, il refusera de prononcer le nom de sa mère et aura oublié son apparence preuve s’il en est que la douleur n’a parfois pas de visage.

Chaque passage n’est que peu ou pas accompagné de critique d’une société chinoise qui s’ouvre au monde et qui difficilement effectue sa transition entre tradition et modernisme. La seule façon (mais quelle façon !) de nous amener dans ces changements sera le rapport aux objets qui prendront le pas sur les sentiments (voiture lors de la première époque, iPhone, tablette et voiture ainsi que la mise en perspective entre l’avion et l’omnibus pour la deuxième époque et enfin les armes, l’appartement ainsi que des clés dans la dernière époque) et la récurrence comme un clin d’œil du repère ô combien traditionnel de la réalisation de raviolis à la main (ils seront présents dans chaque époque). Entre modernisme et immobilisme, le film nous ramène sans cesse à Fenyang qui sera le point central, l’ancrage de tous les destins croisés du film. Accompagné par une ouverture et une fermeture du film sur le « Go West » des Pet shop boys allusion ironique et presque cynique aux promesses non tenues d’un monde et d’une vie qui ne seront jamais meilleurs.

Autres choix, techniques cette fois-ci, pour figurer à la fois le changement d’époque et l’ouverture de société chinoise, le choix du format tout d’abord : la première partie s’ouvrait dans un format carré 1.33 avant de s’élargir au 1.85 de la période 2014. Ici l’ouverture de l’espace du cadre se fait le symbole d’un élargissement du monde, de l’ouverture de la Chine entre 1999 et 2025, mais elle symbolise également la distance entre les êtres qui elle se fait plus présente, presque pesante. Le choix de la photographie ensuite car Jia Zhang-ke a choisi de tourner chaque époque dans un grain d’image propre, et selon ses dires, l’idée de filmer trois époques différentes lui serait venue en mettant en perspective des rushs filmés avec des caméras différentes. Il aurait été frappé par « la sensation que ces images semblaient être les témoins de mondes différents ». C’est en effet celle qui est ici donnée au spectateur qui a réellement le sentiment d’accompagner les personnages sur un quart de siècle.
Seul bémol que l’on pourrait évoquer (si on veut vraiment être objectif et trouver un défaut à ce film), la dernière époque, australienne, se fait moins intéressante avec des acteurs peut-être légèrement moins bons, peut-être plus « sur-jouée ».

LES PLUS LES MOINS
♥ Les acteurs
♥ Les images
♥ L’immersion
⊗ La partie australienne
Au-delà des montagnes se résume en trois mots : beau, intense, vrai. Une des plus belles surprises de la fin d’année 2015. À éviter cela dit si l’on est réfractaire au mélodramatique et à un manque coriace d’action. Au-delà des montagnes ou « si c’était la douleur qui nous faisait ressentir que l’on aime ». Magnifique !



Titre : Au-Delà des Montagnes / Shan he gu ren
Année : 2015
Durée : 2h06
Origine : Chine / France / Japon
Genre : Nos choix nous définissent
Réalisateur : Jia Zhang-ke
Scénario : Jia Zhang-ke

Acteurs : Zhao Tao, Sylvia Chang, Dong Zijian, Zhang Yi, Liang Jing-Dong, Han Sanming, Anna Sasson, Yee Yang

 Au-delà des montagnes (2015) on IMDb


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Auteur : Iris

Aime tout ce qui de près ou de loin fait appel à tout sauf au réalisme, fan de SF, tombée petite dans l’Heroïc Fantasy, amatrice de grandes sagas impliquant Elfes, nains et autres trolls, fan de vampirades en tous genres ou de délires Lycanthropiques. Peut se satisfaire de l’esthétique et relativement bon public dès lors que cela ne concerne pas les requins à trois têtes ou la nouvelle vague. Impressionnable en cas de scènes de torture ou d’esprit malfaisant, a parfois besoin de décompresser devant un gros blockbuster décérébrant.
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