[Film] Appel D’Urgence, de Steve De Jarnatt (1988)

Un après-midi, au muséum d’histoire naturelle, Harry, un musicien de jazz, rencontre Julie, une barmaid, dont il tombe amoureux. Le soir même, victime d’une panne de réveil, Harry arrive trop tard à son rendez-vous avec Julie. Une cabine téléphonique se met alors à sonner et Harry décroche. À l’autre bout du fil, un militaire croyant s’adresser à son père lui annonce que la guerre nucléaire doit éclater dans moins d’une heure. Harry part à la recherche de Julie.


Avis de John Roch :
Steve De Jarnatt est l’homme de deux films considérés comme cultes aujourd’hui. D’abord Cherry 2000 : navet pour les uns, nanar pour les autres, le métrage est surtout un gros plantage au box office US avec, accrochez-vous, 14000 dollars de recette pour un budget de 10 millions de billets verts. Un chiffre fou, de quoi être tricard du système Hollywoodien, surtout pour un premier film. Heureusement pour Steve De Jarnatt, la distribution de Cherry 2000 ayant été un sacré bordel, la bombe à retardement budgétaire n’explosera que deux ans après son tournage. Le réalisateur a eu entre temps l’opportunité de réaliser son second et dernier long métrage : Appel D’Urgence, ou Miracle Mile au pays de l’oncle Sam. Miracle Mile, c’est un script que Steve De Jarnatt traîne depuis le début des années 80 à Hollywood. Jugé parmi les scripts les plus ambitieux non portés à l’écran de l‘année 1983, le scénario a d’abord été envisagé pour être l’adaptation cinématographique de La Quatrième Dimension, finalement abandonné au profit d’un film à sketch. Par la suite, le film devait se faire avec la Warner, mais celle-ci impose deux conditions. La première, c’est que Steve De Jarnatt ne réalise pas le film. La seconde, la plus problématique, c’est que le studio impose au réalisateur et scénariste des réécritures, n’appréciant pas le ton pessimiste du script et son refus du happy end de rigueur dans un métrage Hollywoodien. Ces conditions, Steve De Jarnatt les refuse, rachète son scénario et trouve refuge chez une boite de production indépendante du nom de Hemdale, petite société qui a produit entre autres Terminator, Platoon, Le Retour Des Morts-Vivants ou encore Le Dernier Empereur. Doté d’un budget modeste de 3 millions de dollars, Steve De Jarnatt peut enfin concrétiser, les mains libres, un projet qu’il a porté pendant huit ans.

Pour résumer Miracle Mile, on pourrait dire qu’il s’agit d’une comédie romantique et d’un film catastrophe sur fond de fin du monde filmée de manière intimiste à échelle humaine. Un mélange plutôt déroutant, et inédit en son temps, pour un résultat vraiment étonnant. Car oui, dans ses premières minutes, Miracle Mile a tout de la comédie romantique mignonne comme tout. Une romance qui débute entre Harry, musicien, et Julie, serveuse dans un diner, qui se tournent autour sans que l’un ne fasse le premier pas vers l’autre. Puis vient la première rencontre, les premier rires, les premier dîners et les premiers je t’aime. Mais lors du vrai premier rendez-vous (entendez par la celui ou « ils vont baiser jusqu’à en devenir tout bleu » dixit Julie), Harry arrive avec trois heures de retard à cause d’une coupure de courant. Se rendant tout de même au diner qui fait l’angle de miracle mile, il répond à un appel d’une cabine téléphonique. Au bout du fil, un inconnu qui s’est trompé de numéro et qui lui annonce en panique que des frappes nucléaires ont été déclenchées et seront lancées dans cinquante minutes. Croyant au départ à un canular, Une personne haut placée présente dans le diner lui affirme que cette histoire est vraie et qu’il faut rapidement quitter les lieux pour le pole sud avant que l’apocalypse ne s’abatte sur le monde. Pour Harry, deux solutions s’offrent à lui : rejoindre fissa l’aéroport, ou espérer arriver à temps sur le toit d’un immeuble sur lequel un dernier hélicoptère décollera avant que le compte à rebours ne touche à sa fin. Refusant de partir sans Julie, Harry va prendre tous les risques pour retrouver sa bien aimée et tenter sauver leurs vies. Loin de vouloir faire dans le spectaculaire, Steve De Jarnatt prend à contre pied tout ce qui s’était fait en matière de film catastrophe ou de métrage où la terre est sur le point d’être éradiquée par des aliens, une menace toxique ou nucléaire, ou par dame nature elle même. Entendez par là que vous ne verrez pas dans Miracle Mile des personnages tenter de survivre ensembles ou indépendamment, de discutions au sein du gouvernement visant à trouver un plan pour sauver le monde, ou de héros au grand cœur et un salaud prêt à faire tous les coups bas possibles et imaginables pour vivre. Rien de tout ça dans Miracle Mile, qui passé sa 22eme minute se transforme en course contre la montre qui se déroule en temps réel. Course qui n’adopte qu’un seul point de vue, celui de Harry que la caméra ne lâchera plus jusqu’au générique de fin.

C’est ici la première qualité du script en béton (à une petite facilité scénaristique près, mais j’y reviendrai) de Miracle Mile. Son personnage principal n’est pas un héros, juste un mec normal pressé par le temps et dépassé par la situation qui ne veut que retrouver la seule chose qui compte pour lui. Bien évidement, si il est 4h du matin et que les rues sont désertes, Harry va faire des rencontres et même réussir à convaincre ces personnes de l’urgence de la situation. Des personnages secondaires nombreux mais pas trop, auquel il semble difficile de s’attacher puisque ceux-ci quitterons l’histoire parfois aussi vite qu’il y sont arrivés, parfois pour y revenir un peu plus tard, parfois jamais plus. Pourtant, Steve De Jarnatt réussit à caractériser et à faire exister des personnages non dénués d’intérêt et aux réactions logiques qui fonctionnent de manière autonome au sein de l’histoire. Car encore une fois c’est du point de vue du protagoniste que se déroule Miracle Mile, chaque personnage vit à sa manière ses paroles. Certains vont sauver leur peau en emmenant un maximum de vivre, certains n’y croient pas et continuent de vivre leurs vies, et d’autres partiront, tout comme Harry, chercher ce qui leur tient le plus à cœur au cas où celui-ci leur raconte bel et bien la vérité. La vérité justement, si la petite facilité scénaristique susmentionnée la rend inéluctable, Steve De Jarnatt réussit à faire douter de sa véracité avec quelques petites astuces et détails à priori anodins qui remettent en question l’intégralité du métrage. De par son ambiance déjà qui passe de la légèreté à l’urgence puis au désespoir, mais qui a aussi un coté onirique renforcé par les rues vides, la superbe musique signée Tangerine Dream et l’unique point de vue du métrage centré sur Harry, qui se retrouve à plusieurs reprises au diner ou tout a commencé. Le protagoniste est censé aller de l’avant dans sa course contre la montre, le film le montre au final tourner en rond comme si tout ceci n’était qu’un mauvais rêve.

Ensuite, lorsque l’heure fatidique approche, rien ne se passe et là encore Steve De Jarnatt nous fait douter l’espace d’une scène de quelques secondes : et si finalement cet Appel D’Urgence, ledit appel et le film lui même n’était qu’un canular, et que c’est Harry qui déclenche malgré lui, à défaut de l’apocalypse, un début de chaos en ville ? Puis retentissent les sirènes, les premières informations qui rendent l’affaire officielle, le début de la fin arrive. Mais là encore, ne comptez pas voir frontalement les pillages, viols et meurtres qui vont se dérouler pendant un final qui prend un ton grave et désespéré. Steve De Jarnatt va au bout de son idée et se refuse le spectaculaire et la complaisance, toujours en collant aux baskets de son protagoniste jusqu’aux derniers instants qui alternent entre espoir et désespoir jusqu’à son dernier plan d’une ironie totale : le métrage s’ouvre sur un documentaire anthropologique diffusé dans un musée d’histoire naturelle qui résume les milliards d’années qu’il aura fallu à l’Homme pour évoluer, il se conclut au même endroit où la civilisation est éradiquée en quelques secondes. Puis vient brutalement le générique de fin et c’est dans cette brutalité que Miracle Mile prend tout son sens. Avec ce film, Steve De Jarnatt a réalisé une chose anti-Hollywoodienne par excellence. Un métrage qui refuse le spectaculaire, le développement inutile de personnages secondaires dont on n’en saura pas plus que ce que Harry en sait, ou de scènes d’exposition qui auraient alourdis l’ensemble. La structure en temps réel permet de se débarrasser de tout artifice et superficialité d’un script qui n’en avait de toute façon pas besoin et qui va à l’essentiel. En ce sens le film peut paraître creux et vain, mais c’est tout le contraire. Filmé à échelle humaine en adoptant un seul et unique point de vue, Miracle Mile réussi à être crédible dans sa description de la fin du monde sans vraiment la montrer, touchant sans verser dans le larmoyant, et attachant sans pour autant s’attarder plus que de raison sur le développement des ses personnages.

Personnages interprétés par un casting sans aucune tête d’affiche (du moins en son temps) mais pas inconnus pour autant qui comprend entre autres Anthony Edwards (révélé dans top Gun mais pas encore mondialement connu en tant que Dr. Green dans Urgence), Mare Winningham (peut être la plus connue du lot, du moins aux USA puisque membre du Brat Pack), Kurt Fuller (éternel second rôle vu dans une chiée de films, de SOS Fantôme à Wrong Cops, en passant par Running Man ou Wayne’s World), Earl Boen (le doc Silberman des Terminator), Mykelti Williamson (Bubba le pote de Forrest Gump), ou encore Denise Crosby (maman de Gage et sœur de Zelda dans Simetierre) et Brian Thomson (habitué aux rôles de brute et de gros dur, ici dans un rôle à contre emploi en jouant un pilote d’hélicoptère homo en spandex). Tous sont impeccables malgré un temps de présence qui pour certains n’excède pas les deux minutes, et il est évident que le script a séduit l’ensemble du casting, filmé par Steve De Jarnatt qui fait preuve de rigueur dans sa mise en scène, alternant petits plans séquence, travellings et steady cam fluides. Des qualités, Miracle Mile en est rempli de partout, ce ne sera pourtant pas suffisant puisque le métrage sera un bide au box office. Le contexte de l’époque, à savoir la chute du bloc communiste était alors en train de mettre un terme à la guerre froide et à la menace d’une guerre nucléaire, et la pré-apocalypse n’était plus vraiment présente sur les écrans car c’était le post-apo qui avait du succès, ont eu raison de Miracle Mile. Quant à Steve De Jarnatt, les bides successifs de Cherry 2000 et de Miracle Mile auront mis un terme à sa carrière et ne réalisera plus que ponctuellement des épisodes de séries télé. Dommage car longtemps oublié, Miracle Mile a depuis quelques années refait surface et est considéré à sa juste valeur sans avoir pris une ride, d’autant plus que le sujet est aujourd’hui redevenu d’actualité. Ironique, quand on sait que la thématique du film était considérée comme obsolète à sa sortie.

 

LES PLUS LES MOINS
♥ Un scénario en béton…
♥ Un film à l’ambiance qui alterne entre la légèreté, le désespoir et l’onirisme
♥ Un film humain, crédible, touchant et attachant
♥ Un film en apparence simple mais plus profond qu’il ne parait
♥ Un film qui va au bout de ses idées
♥ Le casting
♥ La musique de Tangerine Dream
⊗ …à une petite facilité scénaristique près (mais je cherche la petite bête)

Crédible dans sa description de la fin du monde sans vraiment la montrer, touchant sans verser dans le larmoyant, et attachant sans pour autant s’attarder plus que de raison sur le développement des ses personnages, Miracle Mile est un film en apparence simple mais bien plus profond qu’il n’y paraît. Ce métrage peu commun est un petit bijou trop longtemps oublié qui ces dernières années accède enfin à la reconnaissance qu’il mérite. Appel d’Urgence ? A voir d’urgence oui.



Titre : Appel d’urgence / Miracle Mile
Année : 1988
Durée : 1h27
Origine : U.S.A
Genre : Miracle
Réalisateur : Steve De Jarnatt
Scénario : Steve De Jarnatt

Acteurs : Anthony Edwards, Mare Winningham, Denise Crosby, John Agar, Lou Hancock, Mykelti Williamson, Kurt Fuller, Robert DoQui, Earl Boen, Alan Rosenberg, Bryan Thomson, Danny De La Paz, Diane Delano

Miracle Mile (1988) on IMDb


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Auteur : John Roch

Amateur de cinéma de tous les horizons, de l'Asie aux États-Unis, du plus bourrin au plus intimiste. N'ayant appris de l'alphabet que les lettres B et Z, il a une nette préférence pour l'horreur, le trash et le gore, mais également la baston, les explosions, les monstres géants et les action heroes.
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