Selenge et Erkhmee forment un couple qui s’éloigne de la vie urbaine pour passer du temps dans une cabane isolée dans les bois. Quelque chose ne tourne pas rond entre eux, car Erkhmee semble dominant et peut-être même abusif, ce qui ne passe pas inaperçu aux yeux de leur voisin solitaire. Pendant ce temps, Selenge souffre manifestement d’un traumatisme, et l’environnement claustrophobique ne fait qu’empirer les choses.
Avis de Cherycok :
Il y a une première fois à tout, et Aberrance est ma première fois avec le cinéma mongol. Il faut dire que, lorsque je suis tombé dessus complètement au hasard, la curiosité de l’aventurier du cinéma que je suis a été attisée. Film mongol donc déjà, mais également film d’horreur, chose qui dénote dans une production cinématographique qui, du peu que j’en sais, n’est pas une farouche adepte du cinéma de genre horrifique. Aberrance est la première réalisation de Baatar Batsukh, directeur de la photographie depuis presque 15 ans, et ce fut un très joli succès au box-office de son pays. Le film a également fait sensation dans les festivals au point d’avoir droit à une sortie cinéma, certes discrète, aux États-Unis. Chez nous, rien de tout cela pour l’instant malheureusement, mais sait-on jamais car bien qu’il ne soit pas parfait, le spectacle proposé par Aberrance est des plus intéressants et hautement divertissant.
Aberrance s’ouvre sur une jeune fille apeurée courant dans une forêt enneigée et puis hop, on revient en arrière et on va comprendre petit à petit pourquoi cette fuite et ce qui a provoqué cela. Très rapidement, on va deviner d’où vient le danger : son mari. Sauf qu’au fur et à mesure que le film avance, c’est le doute qui arrive. Est-ce que cet homme austère, semblant brutal, ne serait pas en train de protéger sa femme qui a un traitement et qui pourrait du coup être mentalement instable ? A mi-film, le scénario nous dévoile ce qu’il en est et le film prend une autre tournure. Visuellement, Aberrance est ultra propre, rempli de très jolis plans et effets visuels qui maintiennent bien la tension, donnant à certains de ces plans un côté des plus inquiétants mais surtout immersif. Le réalisateur utilise beaucoup les snorricams (des caméras attachées aux acteurs, mais aussi ici à certains objets) afin de proposer des angles assez uniques. Souvent, en partie grâce à une palette de couleurs bien particulière, Baatar Batsukh, va utiliser le cinéma pur pour faire avancer l’histoire plutôt que d’utiliser les dialogues. Même chose en ce qui concerne l’utilisation de la musique de Ochsuren Davaasuren et Jargal Oyunerdene, très travaillée, qui s’apparente parfois à un compte à rebours, changeant sans cesse de ton avec des sonorités déformées, devenant parfois volontairement désagréables pour créer une sensation de malaise, voire de chaos. Le gore, bien qu’il y ait un peu de sang, n’est pas ici la priorité du réalisateur. Nous sommes ici dans une ambiance plus proche du cinéma horrifique des années 70, qui mise beaucoup sur son ambiance pour créer la peur plutôt que les jumpscares et le sang. Aberrance est court, 1h16 génériques compris, tout le gras a été retiré pour ne laisser que ce dont le scénario avait besoin pour fonctionner.
Le jeu des acteurs est très bon, à commencer par la jolie Selenge Chadraabal qui livre ici une performance habitée, aux limites de la folie. Mais ce sont, de manière générale, tous les acteurs qui nous offrent un très bon jeu, rendant avec une facilité déconcertante leurs personnages ambigus. L’intrigue globale est assez maigre et essaie parfois d’être un peu trop surprenante, en jouant avec les rebondissements afin que même les spectateurs les plus habitués aux films d’horreur se perdent un peu alors qu’ils pensaient avoir certaines certitudes. Le problème, c’est qu’il cherche peut-être à en faire un peu trop à ce niveau-là. Ça va jouer avec les personnages qui ne sont pas forcément ceux qu’on pense qu’ils sont, quitte à flirter parfois avec le « trop » et tomber dans certaines incohérences. Pourtant, ça fonctionne et difficile de ne pas se prendre au jeu jusqu’à cette dernière scène qui ne convaincra pas tout le monde, moi le premier. Alors le proverbe dit que « qu’importe la destination, c’est le voyage qui compte ». Cela s’applique tout de même ici et ce final un peu en dehors des clous ne gâche pas tant que ça le reste du film. Mais malgré tout, on ressort avec ce petit sentiment de gâchis car ce final aurait pu avoir beaucoup plus de puissance. On aurait par exemple aimé que cela joue un peu plus sur le côté maladie mentale du personnage principal féminin, au final laissé un peu de côté. Mais au final, qu’importe, on passe un bon moment et Aberrance porte bien son nom avec ce film où les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, et on saluera l’effort, surtout pour un premier film, d’essayer de proposer quelque chose de réfléchi et surprenant à partir d’un matériau de base des plus simples.
LES PLUS | LES MOINS |
♥ Bien mis en scène ♥ Visuellement alléchant ♥ Des personnages tendancieux ♥ Une tension très bien gérée |
⊗ Une fin ratée ⊗ Quelques incohérences |
Bien que son final pose problème, Aberrance a de sacrés atouts pour lui, à commencer par une superbe photographie, une très bonne gestion de la tension et un casting impliqué. Et puis voir un film d’horreur mongol, ce n’est pas tous les jours que ça arrive ! |
LE SAVIEZ VOUS ?
• A en croire le générique de fin, Aberrance est un hommage à Darren Aronofsky, réalisateur de Requiem for a Dream, Black Swan, The Whale ou encore Mother !
Titre : Aberrance
Année : 2022
Durée : 1h16
Origine : Mongolie
Genre : Ne vous fiez pas aux apparences
Réalisateur : Baatar Batsukh
Scénario : Baatur Batsukh, Trevor Doyle, Byambasuren Ganbat
Acteurs : Selenge Chadraabal, Erkhembayar Ganbat, OYundary Jamsranjav, Yalalt Namsrai, Bayarsanaa Batchuluun, Badamtsetseg Batmunkh, Sukhee Ariunbyamba