En 2003 l’Inde fait sensation en présentant dans les divers festivals spécialisés son film phénomène Bhoot signé Ram Gopal Varma. On croit alors que l’Inde investit enfin le créneau du film d’horreur. Vont suivre alors une multitude de productions horrifiques plus ou moins réussies qui vont marquer le cinéma de genre indien. Cependant, c’est mal connaître la production du sous-continent que de penser que Bhoot ouvre une nouvelle brèche. En effet, depuis la fin des années 70 le pays le plus prolifique en terme de cinéma populaire et d’exploitation a inondé le marché de films d’épouvante et d’horreur avec, en prime, un véritable âge d’or situé au milieu des années 1980 et marqué par les productions Ramsay et Bhakri.
Fin 1970. Le cinéma indien est encore peu reconnu en dehors de son territoire excepté par les pays qui lui sont affiliés culturellement (Pakistan, Bangladesh, Île Maurice, etc …). Seuls les grands classiques (Mother India s’il fallait n’en citer qu’un) et le cinéma d’auteur des Satyajit Ray et autres Ritwik Ghatak semblent trouver un écho positif à l’étranger. Pourtant cette jeune démocratie est cinématographiquement en pleine ébullition et un cinéma populaire impressionnant envahit les box-offices locaux et régionaux. Parmi les multitudes de romances et autres films d’action réalisés à l’époque, viennent se greffer les premiers films d’horreur indiens. On en connaît les pionniers : La famille Ramsay, Rajkumar Kohli (Nagin et Jaani Dushman à la fin des années 70) ou encore Raveekant Naigach (Jadu Tona datant de 1977). C’est à ce moment là que, parti de rien, le producteur F.U. Ramsay va créer un véritable empire et être à l’origine des premiers grands succès de l’horreur à l’indienne. Même si Nagin (1976) de Rajkumar Kohli mettant en scène une femme serpent est considéré comme étant le premier classique du genre, Penanggalan (1967) ou encore Do Gaz Zameen Ke Neeche (1972) de Tulsi Ramsay, financés par son patriarche, marquent le début de la prise de pouvoir sur le genre de la famille. Purana Mandir (1984) de F.U. Ramsay est le film qui va populariser le film d’horreur à Bombay. Enorme succès à l’époque, la recette d’une telle réussite est simple : mise à la sauce locale des succès hollywoodiens avec, au générique de fin, toute la famille du producteur aux postes techniques stratégiques (ses fils Tulsi et Shyam Ramsay à la réalisation à titre d’exemple). Cette organisation permet de limiter un maximum les coûts de production et d’avoir le contrôle total sur le produit final. On retrouve alors un film sur-influencé (du mythe Dracula au célèbre Evil Dead de Sam Raimi, en passant par les kung fu urbains produits à la chaîne à Hong Kong et quelques clins d’œil tirés [ Du] Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone) qui recycle les principaux stéréotypes du film de genre en y intégrant les codes cinématographiques locaux. Entre séquences horrifiques et scènes de baston viendront alors s’incruster quelques passages musicaux particulièrement affectionnés par le public local. La dynastie Ramsay est née. Les films vont alors s’enchaîner avec une régularité impressionnante : Tahkhana (a.k.a. The Dungeon) (1986), Veerana (a.k.a. Loneliness) (1988), Purani Haveli (1989), Bandh Darwaza (a.k.a. The Closed Door) (1990), Mahakaal (a.k.a. Time of Death) (1993), etc … . La franchise Purana Mandir va être exploitée jusqu’à la moelle avec sa suite officielle en 3D, intitulée Saamri, ainsi que d’autres sombres rip off sauvages réalisés par d’obscures cinéastes.
Les années 80 marquent un véritable âge d’or du cinéma d’épouvante en Inde. Ramsay Films semble dominer implacablement le genre. C’est sans compter sur l’autre gourou de Bombay : Mohan Bhakri. Ce dernier affine le genre en jouant davantage avec la censure et ses films sont classifiés A (films pour adultes). Mohan Bhakri assume cette injuste restriction en imposant un maximum de séquences chocs tant au niveau de l’horreur que des scènes de sexe. Scènes de sexe toutes en suggestion, bien entendu, mais assez subversives pour provoquer la critique. Les frères Ramsay avaient déjà osé le topless vu de dos dans Purana Mandir. Mohan Bhakri pousse encore plus loin l’aspect érotisant de ses films avec ses nombreuses thématiques liées à la possession et au viol. Cheekh (a.k.a The Scream) (1985), Khooni Mahal (1987), Kabrastan (a.k.a The Graveyard) (1988), Khooni Murdaa (a.k.a Deadly Corpse) (1989), Purani Haveli (a.k.a. Mansion of Evil) (1989), Roohani Taaqat (1991) ou encore Insaan Bana Shaitan (1992) témoignent de l’immense vitalité des productions du concurrent direct à la famille Ramsay. La concurrence est saine entre les deux poids lourds. Les films recyclent les grands classiques américains de l’époque. Cependant, Ramsay et Bhakri font des émules parmi les petites structures de production. Des ersatz de leurs plus grands succès viennent polluer les écrans locaux avec 2 ou 3 sorties par mois revisitant honteusement leurs classiques respectifs. La faible qualité de ces petites productions fauchées et leur omniprésence sur les écrans lassent le public. La chute est brutale. Ramsay et Bhakri décident en 1992 de passer à autre chose après avoir dominé le genre pendant une décennie. Mohan Bhakri ou encore Shyam Ramsay mettront presque 10 ans avant de reprendre du service derrière la caméra. Aujourd’hui réalisateurs anecdotiques, ils ont marqué toute une génération de cinéphiles indiens avides de nouvelles sensations cinématographiques dans un pays encore allergique aux productions étrangères.
Le cinéma indien ne se résume pas uniquement à sa production en hindi issue des studios de Bombay. On a malheureusement tendance à occulter le dynamisme des cinémas régionaux. Les films du Sud de l’Andhra Pradesh et du Tamil Nadu rivalisent jalousement avec les productions du Nord. Un jeune cinéaste telugu décide alors de prendre à son compte le cinéma de genre local en s’imposant dans le domaine du polar, du thriller et du film d’épouvante. La filmographie de Ram Gopal Varma débute en 1989 avec un premier polar intitulé Shiva. Il faudra attendre son troisième film pour tâter le genre horrifique. Raat (1992) reprend le flambeau délaissé par ses homologues du Nord avec une énième reprise de The Exorcist. Puis viendra Deyyam (1996) qui restera un film d’horreur étrangement anecdotique. C’est en 2003 que va se consolider, autour de Ram Gopal Varma, une nouvelle vague de réalisateurs sevrés à l’horreur hollywoodienne et inspirés par les nouveaux réalisateurs japonais qui cartonnent le box-office. Les films de Nakata Hideo (Ring, Dark Water) et Shimizu Takashi (la franchise Ju-On) ne sont pas étrangers au thème et au climax de Bhoot (2003) qui est lui-même un remake de Raat. Bhoot raconte les mésaventures d’un jeune couple qui emménage dans un appartement où l’ancienne locataire a été retrouvée défenestrée. C’est alors que la jeune propriétaire sera victime de visions, de somnambulisme et de troubles de la personnalité. Une décennie après la fin de l’ère Ramsay, la recette du succès a changé. Entre temps, les films étrangers sont venus titiller les écrans locaux et le public ne semble plus être réceptif aux codes cinématographiques indiens. Ram Gopal Varma, alors installé à Bombay, n’ose plus les excentricités qui ont marquées les années 80. Le sexe et le bis ne sont plus d’actualité pour racoler le spectateur. A l’instar d’un Nakata Hideo en état de grâce au japon, Ram Gopal Varma se la joue sérieux, poseur et épuré dans sa réalisation. Minimaliste et sans séquences musicales, Bhoot est une immense réussite commerciale et critique qui relance l’intérêt pour le film d’épouvante dans le pays. Ram Gopal Varma impose son style pour le moins atypique en Inde même si, vu de l’étranger, ces nouveaux codes n’ont rien d’original. Le nouveau statu de Ram Gopal Varma est dorénavant assuré. Se mettant momentanément en retrait, il va produire toute une nouvelle vague de réalisateurs et être responsable de films à la qualité pour le moins inégale. Darna Mana Hai (2003) est un film à sketchs mené par Prawal Raman où le moyen côtoie le pire. Vaastu Shastra (2004) de Saurab Narang reprend lamentablement le mythe de la maison hantée. Alors que Bhoot sublimait le genre, Vaastu Shastra le couvre de honte avec son enchaînement de séquences téléphonées et ridicules. L’essai Bhoot n’est toujours pas transformé. Darna Zaroori Hai (2006), mené par une batterie de réalisateurs plus où moins confirmés, marque la deuxième incursion de Ram Gopal Varma dans le film à sketchs. Malheureusement la qualité n’est toujours pas au rendez-vous et, pire, s’avère encore plus brouillon et bancal que son prédécesseur pour lequel on pouvait attribuer un minimum de capital sympathie. Mais Ram Gopal Varma est un réalisateur imprévisible alternant de manière incompréhensible réussites et navets. Lorsque le projet Phoonk est annoncé en 2008, on se met à y croire. Le postulat de départ est prometteur : un ingénieur athée ne semble pas concevoir les croyances de ses concitoyens aux diverses superstitions qui empoisonnent la vie locale … jusqu’au jour où sa femme est mystérieusement envoutée. The Exorcist est toujours et encore la grande influence du réalisateur. Malheureusement Phoonk déçoit alors que le potentiel du film, basé les croyances et le folklore local, laissait penser le contraire. Jamais Ram Gopal Varma ne semblera en mesure de renouer avec le succès alors que, formellement et techniquement, ses films assurent un savoir faire évident. On pourra très raisonnablement conspuer des scénarios bancals. Le métier de script étant sans aucun doute le point faible des films produits en Inde. Les films écrits dans l’urgence offrent une vraie fraîcheur et une vraie spontanéité qui bonifient, en général, les productions indiennes. Toutefois, cette façon de faire trouve ses limites lorsqu’il s’agit de cinéma de genre extrêmement codifié caractérisé par une réalisation préparée et millimétrée. On précisera enfin que Bhoot a eu droit à son remake tamoul par B. Thyagarajan datant de 2004 et intitulé Shock.
Hors des gros systèmes de production rodés et prolifiques, il est difficile pour un cinéaste de s’exprimer dans le cinéma d’horreur et d’échapper à l’anonymat. Certains vont tout de même marquer quelques cinéphiles avertis. On notera par exemple Khooni Panja (1991) de Vinod Talwar ou encore Khooni Dracula (1992) de Harinam Singh qui reprennent les vieilles ficelles des frères Ramsay sans pour autant renouveler le genre. Plus récemment, le pire côtoie le meilleur. Gauri : The Unborn (2007) d’Aku Akbar est pour le moins désastreux avec son message anti-avortement encore moins subtile que le Re-cycle des Thaïlandais Danny et Oxide Pang. Plus intéressant, The Eye (2002) de ces mêmes frères Pang a été réadapté en 2005 par Shripal Morakhia. Intitulé Naina, ce remake (honorable dans la forme) prêche par le fait que le récit ne se réoriente pas afin de coller à une thématique purement indienne. L’inspiration n’étant pas la principale qualité des cinéastes indiens, relevons aussi le lamentable remake de The Others (Alejandro Amenábar 2001) renommé pour l’occasion Hum Kaun Hai (Ravi Sharma Shankar 2004). Malgré un Amitabh Bachchan au casting on ne peut pas conseiller le visionnage de cette contestable production. Toujours plus critiquable dans les réalisations inspirées de classiques de l’horreur, Bach Ke Zara (2008) reprend des séquences entières d’Evil Dead … avec une mise en scène qui touche le fond mais qui pourrait amuser le spectateur déviant.
Alors que la nouvelle vague tente en vain de redéfinir et de redynamiser le genre, voilà qu’à nouveau la dynastie Ramsay reprend du service. Aatma (2006) de Deepak Ramsay centre son récit sur un fantôme qui harcèle un médecin. Lorgnant davantage vers les anciennes productions Ramsay Films plutôt que vers le style léché et aseptisé de la nouvelle vague actuelle, Deepak Ramsay offre au spectateur nostalgique le brin de folie qui manque aux réalisations récentes. Les bastons surréalistes, les SFX douteux, la comédie déplacée et un soupçon d’érotisme annoncent un retour aux sources plutôt salutaire. De son côté, Shyam Ramsay revient aux affaires en 2007. Son Ghutan reprend lui aussi une histoire de femme fantôme venue se venger de son mari responsable de sa mort. Le retour timide mais encourageant de la famille Ramsay est, sans aucun doute possible, la plus grande satisfaction que pouvait espérer le genre. Espérons tout simplement que ce baroud d’honneur ne vienne pas fermer une parenthèse cinématographique riche en œuvres bâtardes et décomplexées qui composent sûrement ce que l’Inde à produit de plus improbable.
Quelques captures issus du documentaire South Asian Horror réalisé par Pete Tombs et Andy Starke (Mondo Macabro) :