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- Introduction
- Le Vampire, figure iconique de l’horreur
- Hellsing ou la naissance du vampire ultime
- Hellsing: Impure Souls ou les difficultés de l’adaptation animée
- Hellsing Ultimate ou les difficultés de diffusion d’une œuvre monumentale
- L’humain face au monstre ou face à lui-même ?
- Une banalisation du nazisme ?
La figure du vampire habite la culture et les imaginaires occidentaux depuis fort longtemps. Apparu sous sa forme littéraire au XVIIIe dans la poésie anglaise puis comme icône de fiction dans les romans de John Polidori (The Vampyre 1819), Sheridan Le Fanu (Carmilla 1872) et bien sûr, le monumental Dracula de Bram Stoker (1897), le vampire hante très vite les pellicules des cinématographes. Dès 1896, Le manoir du diable de Georges Méliès nous présente un être maléfique ayant peur des crucifix et en 1922, Murnau adaptait Dracula avec son Nosferatu.
Le Vampire, figure iconique de l’horreur
Les années 30 à 60 furent le théâtre de l’explosion du film de vampire, présenté sous sa forme gothique, classique et traditionnelle. La créature de la nuit est alors portée par des figures telles que Bella Lugosi ou Christopher Lee. Tout d’abord allégorie des pulsions et du refoulé de sociétés encore puritaines, le vampire s’est peu à peu détaché de son symbolisme initial pour devenir une icône de l’horreur et de la pop culture, déclinée sous des formes extrêmement diverses. De la revisitation de grands classiques avec le Dracula de Francis Ford Coppola (1992) et Entretien avec un vampire de Neil Jordan (1994) en passant par les vampires galactiques de Tobe Hooper (Lifeforce 1985) et ceux plus classieux de Tony Scott (Les prédateurs 1983) ou bien carrément crades de John Carpenter (Vampires 1998) jusqu’au mode super-héroïque de Guillermo Del Toro (Blade 2 2002), le monstre a connu de multiples traitements, formes et environnements.
Les Prédateurs (1983) / Lifeforce (1985) / Vampires (1998)
Certaines cultures, ayant leur propre vison du vampire, l’adaptèrent elles aussi sur grand écran. En Chine, le vampire fut abondamment utilisé dans les métrages de Ghost Kung Fu Comedy tel que Mr. Vampire de Ricky Lau (1985). Au Japon, la parution du roman de Bram Stoker dans les années 50 provoque la production de fictions où le personnage est assimilé directement au kyūketsuki du folklore local, c’est à dire un « buveur de sang » ; qu’il soit humain, animal ou démoniaque. N’ayant pas de figure vampirique dans leur propre folklore, les japonais, sous l’effet de la mondialisation et des transferts culturels l’accompagnant, adoptèrent essentiellement la vision élégante et sexualisée du vampire gothique des occidentaux. En 1959, par exemple, Nobuo Nakawaga entrainait le monstre dans des aventures typiquement japonaises avec Lady Vampire. Dans les années 70, Michio Yamamoto installait définitivement la figure vampirique dans l’imaginaire japonais avec sa trilogie The Bloodthirsty (The vampire doll 1970, Le lac de Dracula 1971, Evil of Dracula 1974). Véritable création hybride, résultante du croisement de deux cultures -la culture anglo saxonne et la culture nipponne- le vampire « à la japonaise » est un exemple majeur du dialogue et des représentations interculturelles. Un personnage aussi iconique, susceptible de multiples adaptations, entrainant avec lui une aussi grande variété de thèmes et de lecture ne pouvait pas laisser de marbre les mangaka et les animateurs japonais.
Lady Vampire (1959) / Le Lac de Dracule (1971) / Evil of Dracula (1974)
De fait, une multitude de manga, déclinés ou non en série animée, OAV ou films ont vu le jour. Il serait trop long de les citer toutes. Mentionnons toutefois le Don Dracula du grand Osamu Tezuka en 1980 (Astroboy, Le roi Léo, Cléopatra…), Jojo’s Bizarre Adventure d’Hirohiko Araki (débuté en 1986), Vampire Princess Miyu de Narumi Kakinouchi (1989), Nightwalker, The midnight detective de Kiyotoshi Sasano (1998), Vampire Hunter D: Bloodlust de Yoshiaki Kawajiri (2000), Blood, The last vampire de Hiroyuki Kitakubo (2000) ou encore Bleach de Tite Kubo (2001) et Trinity Blood de Kiyo Kujo en 2004 (adapté par les studios Gonzo, que nous recroiserons, en 2005).
Hellsing ou la naissance du vampire ultime
En 1997, le mangaka Köta Hirano se lance lui aussi dans l’action et l’horreur vampirique avec Hellsing. Ayant pour origine un one shot nommé Hellsing, The legends of vampire hunter paru en 1996, La série est pré-publiée dans le magazine Young King Ours entre 1997 et 2008 avant d’être éditée séparément sous la formes de 10 tomes chez Shonen Gahosha, qui seront eux mêmes publiés en France par Tonkam entre 2008 et 2009.
Hellsing, The Legends of Vampire Hunter (1997)
Hirano n’aime pas le one shot prototype de la série, même si celui-ci lui a permis de concevoir deux des personnages principaux de Hellsing. En effet, The legends of vampire hunter est souvent classé parmi les manga hentaï (manga a caractère pornographique), ce que dément formellement notre auteur qui déclare dans une interview donnée à Manga news en 2005 : « Il est vrai que beaucoup de monde considère ce récit comme ancré dans un registre érotique, mais personnellement ce n’était pas du tout mon intention de faire un manga dans ce genre, je voulais simplement créer une histoire d’action un peu osée…Tout ça pour dire que concernant l’histoire courte considérée comme érotique, je ne voulais absolument pas faire un récit dans ce genre. A cause de ça, je la considère comme ratée ». Cette défiance vis à vis de cette classification s’explique par le parcours d’Hirano et ses débuts de mangaka. Formé en animation dans une école professionnelle, tout d’abord assistant, il devient auteur de manga hentaï et aura beaucoup de mal à être considéré comme un dessinateur et un auteur plus sérieux. Ses réalisations, avant Hellsing, telles que Angel Dust (1994), Coyote (1995), Hi tension (1996) et Daidojin Monogatari (1998) ne connaissent qu’un succès très relatif.
Hellsing, The legends of vampire hunter reçoit toutefois d’assez bonnes critiques, ce qui qui pousse Young Animal Ours à lui proposer de décliner les aventures des protagonistes, ici Alucard et Victorias Seras (nommée initialement Yuri Kate) en série. Choisissant de se démarquer définitivement des univers érotiques pour lesquels il était connu, Hirano propose alors une œuvre déployant un univers sombre, ultra-violent, déjanté et jusqu’au-boutiste ayant pour cadre l’Angleterre contemporaine. Au service de la Couronne, la fondation secrète de l’ordre des chevaliers protestants Hellsing, dirigée par Integra Wingates Hellsing, se voit confrontée à l’afflux massif de vampires crées artificiellement et commettant des massacres dans tout le pays. Pour se débarrasser de ses forces démoniaques, la fondation a recours à Alucard, un vampire invulnérable à leur service depuis plusieurs générations. Celui-ci, au cours d’une mission, se voit contraint de tirer sur une policière, Victoria Seras, à qui il propose de choisir entre la mort et devenir elle-même une « draculina ». Optant pour la dernière option, celle-ci se voit alors affectée, à l’instar de son maître, à la défense de l’Angleterre et du protestantisme, accompagné par le majordome-assassin Walter. Devant intervenir en Irlande, terre catholique, la fondation s’attire les foudres du Vatican et de son Ordre Iscariote, lui-même dédié à la chasse aux vampires et à la lutte contre les hérétiques. Le conflit déjà larvé entre les deux organisations explose finalement avec la rencontre d’Alucard et du Père Alexander Anderson, bras armé de l’Ordre. Cependant, les catholiques ne sont pas la seule menace: dans l’ombre, le Major, ancien officier SS, a monté l’organisation Millenium à l’origine des vampires artificiels. Ces créatures sont créées pour former une armée conquérante, comme le stipule les ordres du Führer lui-même, donnés au Major une cinquantaine d’années plus tôt.
En bref, tout cela est un beau bazar ! Un mélange de références historiques, religieuses, mythologiques, littéraires, cinématographiques et même vidéoludiques. Ce mélange improbable fait de Hellsing un monument « pulp » aux allures de série B nanardesque complètement hors limite et jouissif ; poursuivant la vague de films d’action loufoques et vampiriques de la fin des années 90 (Blade, Une nuit en enfer, Vampires…). Néanmoins, la convocation de ces différentes influences amène son lot de thèmes, de questionnements et de sous textes plus sérieux, donnant à la série, qui se veut être avant tout une aventure d’action horrifique, un aspect plus profond qu’il n’en a l’air de prime abord. Certes, quelques incohérences ou erreurs se glissent ici et là. L’Église anglaise, par exemple, n’est pas protestante au sens strict du terme, mais anglicane. Cependant, cela n’entache en rien l’originalité et l’efficacité du récit. Hirano avoue d’ailleurs ne prendre de ces influences que ce qui lui sert à étoffer son univers et ne se définit pas « comme quelqu’un ayant beaucoup de culture, et si ça se voit comme ça ce n’est pas volontaire. Je suis simplement un otaku ! Toutes ces références viennent de ce que je vois et lis par passion otaku. Et en tout cas, je ne fais pas de recherches spécifiques ». Cet amour pour la culture otaku transpire de tout le manga, ne serait-ce que par les titres des chapitres jalonnant le récit, reprenant la plupart du temps les titres de jeux vidéo ayant marqué l’auteur (Final fantasy, Elevator Action, Castlevania, Deadzone, Age of Empire, Soldiers of fortune, Warcraft, Balloon Fight…). Fan autoproclamé de Katsuhiro Otomo et son Akira, à qui il « voue un culte », d’Akira Toriyama (Dragon Ball), de Hiroaki Samura (Blade of the immortal) et du cinéma de John Woo (Alucard employant souvent les revolvers à deux mains de la même façon que Chow Yun-Fat), Hirano ne se gêne pas pour mettre en valeur les œuvres ayant contribué à donner naissance à son histoire. Le fusil de Victoria Seras se nomme « Harkonnen », comme le baron machiavélique du Dune de David Lynch (qui lui apparaît d’ailleurs en rêve). Sur le canon est apposé d’ailleurs son prénom : Vladimir. Le pistolet « Jackal » d’Alucard, quant à lui, est habité par l’esprit de Bruce Willis version Cinquième élément (oui oui !). L’officine dirigeant dans l’ombre la Grande-Bretagne se nomme la « Table Ronde », véritable clin d’œil aux légendes arthuriennes. Le chara-desing du père Anderson est directement inspiré du Van Helsing campé par Edward Van Sloan dans le Dracula de Tod Browning (1931). Quant à celui du Major, il reprend les traits du regretté Philip Seymour Hoffman (The Big Lebowski, Magnolia, Truman Capote, Hunger Games…). Certains plans iconiques, la finition dans les détails des décors et la manière de jouer sur les contrastes appuyés du noir et blanc, ainsi que certains aspects du background d’Alucard, laissent aussi planer sur Hellsing l’ombre de Kentaro Miura et de son Berserk. Par exemple, à l’instar de Guts, Alucard est violé par un homme étant enfant. En somme, toute une série de références assumées jalonnent le récit afin que Hirano nous fasse ainsi l’exposé de sa culture et de son univers.
Van Helsing dans Dracula (1931) / Alexander Anderson dans Hellsing (2001)
A Toute Épreuve (1992) / Hellsing (1998)
Berserk / Hellsing
Berserk / Hellsing
Peaufinant son style au fil des chapitres, Hirano propose une fresque épique d’une très grande qualité graphique. Un dessin plutôt réaliste se trouve combiné aux idées les plus folles, à des personnages aux membres disproportionnés, à des contours aux traits appuyés et nerveux impliquant un travail minutieux on ne peut plus visible à chaque planche. Son appétence pour le moindre détail, sa finition, même concernant le moindre petit élément de fond est surprenant. Son sens du mouvement et de l’action donne aux combats parsemant les tomes un aspect dantesque d’une violence rarement atteinte dans un manga. Un travail original et quasiment obsessionnel sur le regard est aussi à relever. Les yeux, davantage que chez la plupart des autres mangaka, participent de la définition du caractère, du charisme des personnages. Souvent cachés derrière des lunettes (que Hirano lui-même porte), scintillant la plupart du temps de façon lumineuse dans la pénombre, ils définissent les protagonistes et renforcent leur iconisation. Un énorme focus est aussi opéré sur les sourires, souvent plein de morgue, laissant entrevoir des dents effilées ou serrées, prenant la forme d’un rictus menaçant ou indiffèrent aux menaces proférées. Le détail des armes montre toute la fascination que le mangaka entretient pour ces outils de mort. Toujours mises en avant dans leur beauté métalliques et meurtrières, détaillées graphiquement et décrites dans leurs caractéristiques et leurs performances avec la plus grande des précisions par ceux qui s’en servent, elles jouent un rôle majeur dans l’œuvre. Cependant, Hirano se refuse à présenter des armes existantes et préfère les inventer en rétorquant que « les armes apparaissant dans le manga sont irréelles donc ne venez pas me dire qu’elles n’existent pas ou que ma connaissance des armes est nulle. J’ai juste inventé des flingues cosmiques pouvant contenir un million de cartouches ». D’ailleurs, fait amusant, le dessinateur Shôji Satô, en guise de clin d’œil et de remerciement pour lui avoir permis d’obtenir un contrat, inclura le mangaka comme personnage de son manga Highschool of the Dead, dont l’un des protagonistes, grand amateur d’armes, se nomme Kota Hirano et lui ressemble.
Kota Hirano / Hirano par Hirano / Hirano dans High School of the Dead
Hellsing est indéniablement le fruit d’un labeur acharné malgré les affirmations de Hirano qui se dit lui-même très paresseux, préférant lire, jouer ou regarder des films que terminer ses planches. Ceci explique quand même la cadence très lente de parution des épisodes. En effet, la publication de l’intégralité du récit, qui ne fait pourtant que dix tomes, s’étale de 1998 à 2009 ; rythme que peu de mangakas se permettent. Devant le succès du manga, Hirano se lancera dans Hellsing: The dawn, préquel à la série se déroulant lors de la seconde guerre mondiale dans lequel Alucard et Walter, plus jeune, déjouent pour la première fois les plans de Millenium. Seulement, uniquement six chapitres sont publiés à ce jour et Hirano ne semble pas disposé à poursuivre l’aventure. Notons aussi l’existence de la série Cross Fire relatant les aventures des membres de l’Ordre d’Iscariote, ne comptant pour le moment (et pour de bon, parions le) que trois épisodes.
Les années de travail peu reconnu de Hirano lui ont tout de même permis de créer des personnages au chara-design fort, au charisme marquant et au background solide. En effet, on retrouve les prototypes de la plupart des personnages de Hellsing dans les œuvres antérieures de Hirano : Alucard et Victoria Seras ont leurs origines, comme nous l’avons vu, dans The legends of vampire hunter, Le père Alexandre Anderson dans Angel Dust (Alucard, pendant un de leurs affrontements, le surnomme d’ailleurs par ce titre), Le Major dans Coyote, Walter dans Daidojin Monogatari, Integra Hellsing dans Hi and Low etc…. Cette galerie de protagonistes permet à Hirano de donner sa version du Dracula de Bram Stoker, ou plutôt d’en proposer une suite.
En effet, Alucard, dont le nom est un anacyclique de Dracula, n’est pas un simple vampire : il est Vlad l’Empaleur, le Comte Dracula en personne, LE vampire originel que Van Helsing, selon Hirano, n’aurait pas exterminé mais mis à son service et celui de l’humanité. Dracula fit bien des apparitions remarquées dans plusieurs comics ou autres bandes dessinées en tant que personnage secondaire mais, nous semble-t-il, c’est bien la première fois qu’il en devient le personnage principal; qui plus est avec tout son background (sa lutte contre les Ottomans, son combat contre Van Helsing, son amour pour Mina Harker, son voyage vers Londres à bord du Demeter…). Paradant dans un style de dandy suranné à l’humour carnassier, au nihilisme désabusé par la futilité de son existence interminable, aux pulsions un brin sadique et masochiste, armé de deux armes de gros calibres, le .454 Casull et le Jackal 13mm, portant des gants sensés limiter ses pouvoirs sans limites et doté d’un appétit pour la violence et la mort (surtout la sienne, qu’il attend avec impatience), Alucard est un personnage inoubliable, autant dans son design que dans son symbolisme, mais aussi une authentique figure tragique.
Son alter ego, le Père Anderson, n’est pas en reste. Cet humain « renaissant » (au pouvoir de régénération acquis à la suite de manipulations génétiques et technologiques le rendant quasiment invulnérable) à la stature imposante, au fanatisme incurable mais aux valeurs chevaleresques et charitables est un des antagonistes les plus marquants de l’univers manga. Quant aux femmes du récit, comme Victoria Seras, dont on suit la lente transformation et la difficile acceptation de son « nouveau » destin vampirique. Refusant de boire du sang et de devenir réellement un vampire au sens plein du terme, elle n’est au départ qu’un « Midian » (terme emprunté au Cabal de Clive Barker, à la Bible ou à un groupe de Metal… on ne saura jamais), perdue dans un univers dont elle ne connaît pas les règles. Integra Hellsing, quant à elle, entretient avec Alucard une relation ambiguë de « dominante-dominé » mais est aussi emplie d’admiration craintive pour la violence potentielle de sa propre créature. Ces deux femmes fortes sont à inscrire au panthéon des personnages féminins les plus badass qui soient.
Tout ceux-là, ainsi que bien d’autres, participent à la tenue d’un récit épique mêlant histoire, horreur, action et querelles religieuses et idéologiques. D’ailleurs, Hellsing n’est pas un manga sur les vampires mais un manga sur la guerre AVEC des vampires. Dès la moitié du récit, nous sommes plongés dans une bataille apocalyptique en plein Londres, opposant protestants, catholiques et nazis, qui nous tiendra en haleine jusqu’à la fin du manga en nous offrant un flot ininterrompu de scènes de guerre et de destruction ultra détaillées. Cette guerre n’est pas seulement une guerre de conquête mais aussi une guerre idéologique ou les adversaires, convaincus de leur supériorité et du bien-fondé de leur action, n’hésitent pas à se montrer impitoyables. Dans Hellsing, il n’y a ni bons, ni méchants mais des personnages torturés, avides de vengeance, de combat et de mort. Le manga porte donc, sous ses aspects de grosse farce pour adolescent attardé, tout un discours sur la guerre et ses motivations, sur ses causes et ses effets ainsi que sur les doctrines qui peuvent l’engendrer. Hellsing est une œuvre aussi fun que nihiliste, dressant un portrait pessimiste et sombre de l’humanité sur fond de combats « tarantinesques » et gore à souhait.
Hellsing: Impure Souls ou les difficultés de l’adaptation animée
Le succès du manga aidant, une adaptation en série TV est produite dès 2001 par le studio Gonzo. Fondé en 1992 par Shöji Murahama et Mahiro Maeda (Evangelion 3.0 2012, deux segments de The Animatrix 2003, la séquence animée de Kill Bill 2003…), le studio a su se faire une bonne réputation en étant les pionniers de la CGI dans la japanimation avec Blue Submarine N°6 (1998). Seulement, le studio peine à être rentable et cherche des projets pouvant aisément s’exporter à l’étranger grâce à l’apport de références culturelles étrangères, comme il le fit plus tard avec Afro Samuraï, par exemple, qui mélange imagerie japonaise et blaxploitation. Forcément, le succès d’un manga récupérant le mythe de Dracula, figure majeure de la littérature et du cinéma occidental, ne pouvait laisser indifférent et Gonzo charge Umanosuke Lida, ayant travaillé sur des séries cultes comme Cowboy Bebop (1998-1999), Mobile Suit Gundam (1996-1998) ou Devilman (1987, 1990) de s’activer à la réalisation d’une adaptation animée avant même que le manga ne soit terminé. Le rythme de parution étant très lent, il a fallu aussi s’adjoindre les services de Chiaki Konoka (Vampire Princess Miyu, Serial experiments Lain…) au scénario afin de concevoir la suite du récit que Hirano ne semblait pas pressé de conclure.
Le 10 octobre 2001, Hellsing: Impure souls, une série de treize épisodes d’environ 25 minutes, est diffusé pour la première fois au Japon (la France, quant à elle, devra attendre 2004 pour connaître sa première diffusion sur MCM). Suivant les codes de la période, elle n’adopte pas le mode du feuilleton dont le manquement d’un épisode ferait perdre le fil de l’histoire et, par la même occasion des téléspectateurs mais celui du procedural drama fonctionnant sur le modèle « un épisode, une histoire », s’articulant autour d’un récit général plus long. La série connait alors un vif engouement et demeurera une réalisation appréciée jusqu’à aujourd’hui.
Cependant, Kota Hirano n’aime pas cette série. Pour cause, elle ne suit pas le scénario du manga et s’en détache même complètement à partir du septième épisode. Manquant de données sur la suite du récit de Hirano, Lida et Konoka ont élaboré une histoire différente : Pas de nazis et logiquement pas de Major ici, qui n’apparaissent réellement que plus tard dans le récit. L’Ordre D’Iscariote et le Père Anderson ne sont que de simples antagonistes parmi d’autres, traités rapidement et remplacés par d’autres ennemis sorti de l’imagination de Konoka, tel Incognito, méchant ultime au chara-design douteux visiblement inspiré par le Comte Orlok du Nosferatu de Murnau, tombant un peu comme un cheveu sur la soupe en se rattachant au « continent noir » (l’Afrique?) et à la mythologie égyptienne (culte du Dieu Set). Même si Alucard reste le personnage principal, le scénario s’axe davantage sur Victoria Seras. Il détaille les étapes et ses états d’âme dus à sa transformation graduelle en vampire, à tel point qu’elle devient quasiment la clef de voute du scénario. Par exemple, toute une sous-intrigue est créée entre Victoria et Helena, une vampire à l’apparence enfantine éternelle comme dans Entretien avec un vampire, afin de mettre en avant les émotions et les interrogations de cette dernière. De même, l’origine de la relation entre Alucard et Integra, abordée dans le manga dès le second chapitre, est ici reléguée au dixième épisode, sans que l’on sache trop pourquoi. Cette manœuvre a pour effet de donner beaucoup moins de substance et de profondeur à la relation type « amour vache » qu’entretiennent les deux personnages. Bien entendu, la dantesque et inoubliable « bataille de Londres » est inexistante et la fin d’ailleurs est quelque peu décevante car l’on apprend, après la défaite d’Incognito, que la Fondation Hellsing n’a finalement pas réussi à percer le mystère de la création des vampires artificiels, question initiant pourtant le scénario.
Incognito dans Hellsing / Orlok dans Nosferatu
Coté réalisation, même si elle ne parvient pas toujours à rendre visuellement la folie nerveuse du manga, la série n’a pas à rougir face aux autres réalisations animées de l’époque. Étant produite dans un temps limité avec un budget restreint, Lida se bat avec les armes mises à sa disposition et s’en sort plutôt honorablement. Les chara-design sont toutefois moins bien précis et réussi que dans le manga, devenant même parfois franchement moche (celui d’Incognito, comme nous l’avons dit, mais aussi certaines apparitions d’Alucard sans ses lunettes lui rendent peu honneur). L’animation connait aussi quelques problèmes de fluidité, surtout lors des combats, et peinent à retranscrire correctement l’intensité que Hirano leur donne initialement. Étant conçu comme un programme télévisuel, Hellsing: Impure souls ne peut se permettre l’ultra-violence du manga et propose donc une version plus aseptisée et sage des affrontements.
En revanche, conscient de ces limites techniques et scénaristiques, Lida joue énormément sur l’atmosphère générale et parvient à donner à la série un cachet singulier. Porté par une OST jazz-rock que n’aurait pas renié Shin’ichirô Watanabe et son Cowboy Bebop (1998), l’univers Hellsing prend ici des allures de polar noir au sein duquel les protagonistes, dans un rythme plus lent, enquêtent sur les mystères auxquels ils sont confrontés. Cachant intelligemment les limitations budgétaires et la pauvreté des décors par un jeu sur les ombres et la lumière, Lida plonge les personnages dans des pièces obscures où chaque recoin semble cacher quelque chose. De même, devant se suffire d’arrière-plans de couleur unie, Lida fait souvent se mouvoir ces derniers sous un ciel rouge contrastant avec le noir des éléments les entourant. Rouge comme le sang, noir comme la mort; mais aussi rouge et noir comme la cape de Dracula. Bien vu.
Hellsing Ultimate ou les difficultés de diffusion d’une œuvre monumentale
Le succès de Hellsing: Impure souls, mais aussi les remontrances de Kôta Hirano et des fans du manga, ne goûtant que très peu les changements scénaristiques de la série, insufflèrent vite l’idée de produire une nouvelle adaptation plus fidèle à la source. Ainsi, en 2006, sort le premier OAV de Hellsing Ultimate qui comptera en tout 10 épisodes d’une cinquantaine de minutes chacun et dont la production s’étale jusqu’en 2012. Ce n’est pas moins de six studios qui s’occuperont de donner forme à l’œuvre. La réalisation est placée sous la houlette de Tomokazu Tokoro (Gilgamesh 2003, The seven deadly sins 2016…) et Hideki Tonokatsu (Silent Möbius 1998, Lupin III 2012, Fruits Basket 2019…) qui supervisent le travail de trois studios d’animation: Satelight pour les quatre premiers OAV, Madhouse pour les trois suivants et Graphinica pour les trois derniers. En bref, des studios parmi les plus en vues de la période, à la pointe de l’innovation: Satelight est le studio ayant fait les grandes heures de la franchise Macross, entre autres exemples. Madhouse abrite les oeuvres de Yoshiaki Kawajiri (Ninja Scroll 1993, Wicked City 1897..), de Satoshi Kon (Perfect Blue 1997, Paprika 2006) ou encore de Rintarô (L’épée de Kamui 1985, X 1996…). Quant à Graphinica, petit frère du studio Gonzo fondé en 2009, comptant dans ses rangs les membres de sa filière numérique, il fait ses débuts officiels avec Hellsing Ultimate. C’est aussi ce dernier qui s’occupe de Hellsing: The dawn, préquel de la série formé de trois courts OAV.
Se voulant respectueux du travail de Hirano, le scénario suit strictement la même trame, en reprenant même les plans et les séquences de la façon la plus fidèle possible. Nous retrouvons ici l’intégralité des personnages, Le Major et sa horde de vampires nazis compris. La rivalité entre la fondation Hellsing et l’Ordre Iscariote revient au centre de l’intrigue. Hellsing Ultimate ne se permet que très peu d’incartades en matière scénaristique. Tout au plus s’autorise-t-il à placer la scène de la rencontre entre Alucard et Integra en introduction, plutôt qu’au deuxième chapitre comme l’avait fait Hirano.
Hellsing / Hellsing Ultimate
Concernant la réalisation, c’est une claque visuelle de chaque instant. Hellsing Ultimate est un monument de l’animation. Les scènes d’action, très nombreuses, y sont d’une fluidité imparable, aidé par une mise en scène au sein de laquelle les perspectives, les valeurs de plan et le cadrage sont au service de l’impact des combats dont l’ultra-violence ne connait que très peu d’égal dans la japanimation existante. L’aspect des personnages mi réalistes, mi déjantés de Hirano, mis en mouvement et en couleur avec une technique remarquable, est à la hauteur de l’œuvre originale. On serait même tenté de dire que la limpidité de l’animation renforce la violence implacable et l’atmosphère horrifique et martiale du récit. Tout y est minutieux, que ce soit les arrière-plans photo-réalistes dans lesquelles les personnages s’insèrent harmonieusement, ou les armes, détaillées et fétichisées jusqu’à la dernière limite. Lors des affrontements, l’imagerie chrétienne est distillée afin de porter un souffle épique et accentuer le charisme des protagonistes; que ce soit les pistolets ou les sabres d’Alucard et d’Anderson formant une croix, les prières et citations bibliques de ce dernier ou l’impressionnante armée de croisés investissant le centre de Londres. L’utilisation de la 3D, très appliquée, tombe toujours à point pour nous faire ressentir efficacement l’impact d’une explosion ou nous faire suivre le trajet d’une balle de revolver sortant de son canon. Les protagonistes, aux traits épais et précis, dont les yeux luminescents scintillent en rouge (les soldats nazis sont d’ailleurs fortement inspirés du design de ceux de Jin Roh, la brigade des loups de Hiroyuki Okiura 1999), en bleu, en mauve et dont les sourires carnassiers et luisants contrastent puissamment des environnements sombres ou enflammées dans lesquels ils se meuvent sont tous délicieusement captivants. La « bataille de Londres », absente de la série de 2001, se déroule sur pas moins de cinq OAV sans jamais lasser. C’est un spectacle grandiose, terrible et magnifique à la fois. Techniquement, Hellsing Ultimate est une réussite.
Hellsing Ultimate / Jin-Roh, la Brigade des Loups
Si l’on se prenait à pinailler pourrait-on dire que l’on discerne quelques écarts qualitatifs entre les épisodes selon les studios à la manœuvre. Les OAV Satelight installent l’ambiance et plantent idéalement les personnages dans leur contexte. La mise en scène y est terriblement efficace comme, par exemple, l’inoubliable entrée en matière du Père Anderson. La palme de l’animation reviendrait à Madhouse qui nous propose des scènes d’action extrêmement fluides et prenantes. Le combat entre Victoria Seras et Zorin Blitz -personnage « clin d’œil » au Max Zorin du Dangereusement vôtre de la saga James Bond– est tout simplement incroyable. Seul point noir, les CGI, le plus souvent excellemment intégrées, sont de moins bonne qualité chez Graphinica qui s’occupe hélas de la fin majuestueuse et apocalyptique du récit. Mais il s’agit là de chipotage. Le tout forme un ensemble globalement cohérent d’une très grande maîtrise technique et narrative. En revanche, l’emploi excessif du comic relief (technique de mise en scène propre à l’animation japonaise, se voulant comiques, où les chara-design sont déformés de manière volontairement grotesque et enfantine) contraste souvent trop fortement avec la dureté et l’ambiance gothique du métrage. Cependant, cette technique, sensée détendre une atmosphère trop tendue à certains moments, est aussi utilisée par Hirano dans son manga. Et puis, même dans une œuvre aussi sombre que Berserk, Puck et Isidro ont droit au même genre de séquences -peut être mieux amenées, il est vrai- sans que personne ne vienne se plaindre !
Si Hellsing Utlimate, chef d’œuvre d’animation, ne connut pas un succès phénoménal, c’est en partie à cause de la distribution des OAV. Le calendrier des sorties, complètement incohérent, a fini par perdre une partie du public. Réunissant trois studios et un mangaka, la production s’est embourbé dans des litiges juridiques concernant les droits de chacun qui ne sont toujours pas réglés aujourd’hui. Pour exemple, la société belge Dybex, chargée de distribuer les OAV en France, n’a pu sortir que les quatre premiers épisodes de Satelight. Ceux de Madhouse et Graphinica n’ont tout simplement pas connu d’édition et de distribution en France. La sortie des OAV aux États-Unis fut tout aussi chaotique (n’en sont sortis que huit), ce qui a joué un rôle majeur dans la mauvaise réception de l’œuvre hors du Japon. Néanmoins, Hellsing Ultimate et le manga de Hirano sont des œuvres majeures qui diffusent encore aujourd’hui leur héritage, visible dans des réalisations telles que Bleach (2004), Sym-Bionic Titan (2010), Gambling School (2014) ou L’attaque des titans (2013) et bien d’autres.
Hellsing Ultimate
L’Attaque des Titans
Hellsing / Gambling Ghost
Hellsing: Impure Souls / Sym-Bionic Titan
L’humain face au monstre ou face à lui-même ?
Si le manga et ses versions animées, malgré leurs défauts ou leur distribution lamentable, sont encore présents dans les mémoires c’est aussi parce que, sous des aspects grand-gignolesques fun et pulp, Hirano, consciemment ou non, pose avec Hellsing toute une série de questions universelles. Comme de nombreuses œuvres littéraires ou cinématographiques avant lui, telles que Frankenstein (Mary Shelley 1818) ou Freaks, la monstrueuse parade (Tod Browning 1932), Hellsing questionne le statut du monstre et de l’humain ainsi que de la fine barrière morale à franchir pour passer d’une nature à l’autre. Dans Hellsing, les monstres, bien qui puissants, ne sont finalement que les jouets de différentes organisations humaines. Ils ne servent pas leurs intérêts propres ni ne contrôlent leurs destinées. De fait, leurs actes, aussi cruels soient-ils, ne sont issus que de la volonté de leurs maîtres respectifs. Alucard est l’esclave de la fondation Hellsing, Victoria Seras appelle Alucard « Maître », Le Major contrôle ses armées de vampires nazis au doigt et à l’œil…Seuls les humains décident des événements, seuls eux ont un libre arbitre, seuls eux sont responsables et comme il est répété souvent au cours du récit … « seul un humain peut battre un monstre ». Devant les horreurs commises après leurs décisions, ne sont-ils pas aussi monstrueux que leurs serviteurs ? Voire même plus?
Les humains peuvent même choisir de devenir des monstres pour gagner en force et puissance, s’enlisant à jamais dans les rouages de la servitude en échange. Ils sont finalement les plus lâches en refusant d’affronter les épreuves liées intrinsèquement à leur condition de mortels. Le Major, laissé pour mort en 1945 par les troupes soviétiques investissant Berlin, refuse de boire du sang et de succomber à la tentation de l’immortalité. Comme il le répète, il est un humain car il agit par sa propre volonté, aussi perverse et désaxée soit-elle. C’est aussi la raison de sa haine farouche envers Alucard et sa détermination à l’éliminer: Alucard est un monstre, sans volonté propre et représente tout ce qu’il déteste.
Alucard est lui aussi bien conscient du problème et à plusieurs reprises, pose la question de la fine frontière entre humanité et monstruosité; lui qui fut humain et se fit monstre par esprit de vengeance. Ainsi, lors du massacre de l’hôtel de Rio, il lance à Integra « J’attends vos ordres, Maitresse….Je vous en prie, Integra, donnez-moi votre ordre…Ceux que je m’apprête à tuer ne sont peut-être que des humains mais je suis prêt à les exterminer sans hésitation ni l’ombre d’un regret. Pourquoi ? Parce que je suis un monstre. Qu’en est-il de vous, Integra? Mon arme est pointée, ma mire est ajustée, mon chargeur est plein, la sécurité est ôtée. Mais…C’est à vous de presser la détente. Alors? ». De même, Lorsque le Père Anderson, se rendant compte qu’il ne battrait jamais le vampire, se décide à se poignarder avec le Clou de Sainte-Hélène -l’une des grandes reliques du Christianisme- afin de se transformer lui-même en monstre invulnérable, Alucard l’avertit des conséquences d’un tel acte en lui disant « Arrête Anderson! Comptes tu devenir un monstre? Un monstre de Dieu? Un jouet immortel du divin? C’est la même chose! La même merde! Le monstre qui croit en Dieu et celui qui le rejette…Devenir un monstre comme moi c’est admettre que tu es trop faible pour vivre en tant que mortel. Tu dois me battre en tant qu’être humain ». Ce questionnement habite l’entièreté de l’œuvre, comme le démontre aussi la longue hésitation de Victoria Seras de boire du sang, ce qui la ferait définitivement devenir un vampire et plus un midian, état lui garantissant la préservation des quelques restes de son humanité perdue.
En somme, dans Hellsing, les humains sont les monstres. Ce sont eux qui sont à l’origine des horreurs perpétrées par leurs pairs et par les êtres surnaturels qu’ils contrôlent. De là part aussi une réflexion sur le sens de l’histoire humaine, emplie de guerre et de conflits sanglants depuis ses débuts. Hirano convoque les guerres de religion du XVIe siècle entre catholiques et protestants mais aussi la seconde guerre mondiale et son lot d’horreurs pour dresser le portrait d’une humanité ne s’épanouissant que dans l’extermination de l’autre. Et, selon lui, ce qui provoque cette folie destructrice chez l’humain, ce sont les idéologies, qu’elles soient d’ordre religieux ou politiques. En effet, on ne trouve ici ni bons, ni mauvais mais différents groupes humains: protestants, catholiques, nazis, tous complètement fanatisés; ne pouvant donner sens à leur existence que dans le conflit et l’écrasement des divergents. Que ce soit Vlad l’Empaleur, le IIIe Reich ou l’Inquisition, la source de la violence est toujours humaine, la plupart du temps pour des raisons doctrinales ou territoriales quelles que soient les époques. En cela, Hellsing, sous ses airs de farce gore et jubilatoire, est aussi un récit sombre, nihiliste et pessimiste, mais hélas réaliste, sur l’Homme et son histoire.
Une banalisation du nazisme ?
La distribution de Hellsing Ultimate à l’international, faite dans le chaos que nous avons expliqué, ne s’est pas faite non plus sans polémique. En effet, aux Etats-Unis, plusieurs éditeurs ont refusé la licence en accusant son auteur d’antisémitisme. Bien que les juifs soient totalement absents du récit, beaucoup trouvèrent que les nazis étaient représentés de façon beaucoup trop décontractée, sans jamais insister sur leur racisme et l’holocauste. Il faut dire que Hirano, habitué des petits éditos puérils, scabreux et provocateurs a eu la bonne idée d’écrire dès le premier tome: « Pays favori: l’Allemagne, à cause des nazis ». Avouons que notre homme cultive une certaine obsession pour les disciples du Führer. Hitler lui-même est présent dans ses mangas dès Doc’s Story, composé au début des années 90, et est encore présent dans son manga Drifters, débuté après le succès de Hellsing et dont la parution est encore en cours. On peut aussi lire sur l’un des gants d’Alucard les mots allemands « Gott Mit Uns » (« Dieu avec nous »), utilisés par l’armée allemande lors des deux conflits mondiaux. Tout cela peut logiquement laisser tout européen au moins circonspect quant aux intentions du mangaka. Seulement, il n’en est rien. Hirano n’est pas un cas à part au Japon et les nazis ou Hitler sont utilisés dans de nombreux manga et anime. Ce qui choquerait n’importe quel occidental normalement constitué ne choquera pas forcément un japonais, tout du moins pas de la même manière. D’une façon générale, le rapport à la fiction des japonais n’est pas exactement le même que celui des occidentaux. Au Japon, la fiction n’a strictement aucune raison morale de respecter les valeurs et les tabous qui prévalent dans le réel. Elle a un rôle cathartique et défoulant. Pour cette raison, nous pouvons trouver dans les mangas et films nippons du gore extrême, du viol, de l’inceste, voire de la pédophilie…et des nazis. La fiction n’est ici pas envisagée comme prescriptrice de morale. Elle raconte une histoire, fait vivre des émotions et se sert de ce qui lui semble servir au mieux ce dessein sans que cela n’offusque grand monde.
Doc’s Story / Drifters
Concernant le nazisme plus particulièrement, force est de constater qu’il est abordé dans de nombreuses œuvres, le plus souvent sans en mentionner l’antisémitisme. La plupart du temps, le nazi est le grand méchant, une allégorie du « mal absolu ». On peut retrouver le nazi ou, tout du moins des personnages en reprenant fortement l’imagerie dans de nombreux anime et manga tels que Jin-Roh, la brigade des loups (1999), Jojo’s Bizarre Adventures:Battle Tendency (1987), Black Lagoon (2002), Monster (1994), Fullmetal Alchemist (2001), Girls und Panzer (2017), Neun (2017) ou encore L’attaque des Titans (2013). Souvent exploités en tant qu’antagonistes ou pour donner forme à des systèmes totalitaires, les spécificités de la doctrine national-socialiste sont rarement explicitées. On peut relever toutefois que L’attaque des titans, n’en utilisant que le design et ne dépeignant pas explicitement le nazisme dans son récit, en est fortement inspiré. En effet, essentiellement à partir du tome 20, il est question de gouvernement militaire dictatorial, de domination d’une race sur une autre, de camps et d’épuration d’ethnique. Si l’œuvre a indéniablement le but de questionner l’histoire japonaise et celle de la seconde guerre mondiale dans sa globalité, certaines œuvres peuvent toutefois laisser dubitatif: dans la saison 2 de Jojo’s Bizzare Adventure, intitulée Battle Tendency, Joseph Joestar fait équipe avec Rudol von Stroheim, un officier nazi devenu cyborg, sans que son appartenance au parti fasciste ne soit réellement questionnée. De même, l’imagerie nazie de Girls und Panzer, mêlée à celle de filles aux tenues suggestives peut donner l’impression d’une certaine glamourisation assez malaisante. Le nazi, dans ces cas et dans d’autres, devient alors une icône pop comme une autre, un élément facilitant la création de personnages au chara-design et au backgroung cool et attrayant. Cette «popification» du nazisme dans la japanimation remonte aux années 70, lorsqu’une génération n’ayant pas connu la guerre se sert de l’imagerie SS pour créer les méchants de leurs réalisations, à l’image de Space Battleship Yamato (1974), space opera dans lequel le Führer Dessler et ses comparses aux noms germanisés tentent d’anéantir le monde. Ces « méchants à la sauce nazi » deviendront vite iconiques et attractifs pour le public et la tendance se poursuivra avec Mobile Suit Gundam (1979) ou bien Legend of the galactic heroes (1982-1987).
Fullmetal Alchimist / Le manga Neun
Les mangakas ayant connu la guerre, quant à eux, auront parfois pour projet de dépeindre Hitler dans toute sa folie, à l’image d’un Osamu Tezuka et L’histoire des trois Adolf (1983-1985) ou d’un Shigeru Mizuki et son Gegika Hitler (1971). Malgré ces œuvres cultes à forte portée pédagogique, Hitler est très mal connu au Japon. Le tabou de l’alliance japonaise avec l’Axe lors de la seconde guerre mondiale, l’éloignement géographique des horreurs commises ainsi qu’une certaine tendance au révisionnisme des différents gouvernements japonais se ressentent dans les contenus des programmes scolaires qui n’aident pas les japonais à appréhender le nazisme de la même façon qu’un européen. Pour beaucoup d’entre eux, avant d’être l’initiateur de la Solution Finale, Hitler est avant tout un grand conquérant. Dans son ouvrage Consumption of Nazi Culture Images in Postwar Japan, le chercheur Sato Takumi élabore le concept de « Nazi-Cul » afin d’expliquer les ressorts de cette sous-culture nipponne reprenant l’imaginaire nazi et la figure du Führer sans en connaître réellement l’historicité et les faits. Ainsi, on a pu voir Namsai, star de la pop thaïlandaise avec son groupe BNK48, arborer un t-shirt néo nazi en s’étonnant sincèrement que cela puisse offusquer qui que ce soit. La même mésaventure est arrivé au groupe japonais Keyakizaka46, déboulant sur scène avec des uniformes de la Gestapo car cela leur semblait tout simplement « cool ». De plus, des signes comme la swastika bouddhique (que l’on assimile à la croix gammée en Occident) sont souvent utilisé positivement dans les mangas -par exemple dans Tokyo Revengers (2017) – ce qui entraîne parfois un relatif clash des représentations dans les différentes sphères civilisationnelles où ces œuvres sont diffusées. On pourrait d’ailleurs rétorquer que plusieurs œuvres européennes prennent le pari de nous divertir, voire même de nous amuser avec le fait nazi et ce, dès Charlie Chaplin et Le Dictateur (1940), en passant par Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue (1981), Inglorious Bastards (2009) ou encore, plus près de chez nous, OSS 117: Rio ne répond plus (2009). La japanimation, pas plus que les japonais, ne sont plus xénophobes ou fascistes que les autres peuples du monde. Leurs réalisations sont simplement à l’image d’une société dont les représentations et les repères historiques et géographiques sont totalement différents des nôtres.
L’Histoire des 3 Adolf (Osamu Tezuka) / Tokyo Revengers
Déguisement de Hitler dans un magasin japonais / « Nazi-Cul »
Cette différence de perceptions et de représentations, liées aux histoires, cultures et trajectoires différentes de chaque peuple, peut évidemment jouer un rôle majeur dans la réception d’une œuvre hors de son aire d’origine. Tout au long de notre propos, nous avons pu nous apercevoir que l’adaptation et la réception d’un anime est tributaire de nombreux facteurs ; que ce soit l’approbation de l’auteur du matériel source ou des fans de la première heure, le rythme de parution du manga initial, les modalités de sa distribution et de sa diffusion mais aussi parfois les incompréhensions culturelles que peuvent occasionner une exploitation à l’étranger. Pour tout cela, Hellsing, en plus d’être une œuvre visuellement magnifique et conceptuellement intéressante, est un cas d’école. De plus, l’œuvre demeure celle d’Alucard, adaptation moderne et pulp de Dracula, reprenant le background originel de Bram Stoker pour en faire certainement l’un des vampires les plus marquants jamais créés.
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- Introduction
- Le Vampire, figure iconique de l’horreur
- Hellsing ou la naissance du vampire ultime
- Hellsing: Impure Souls ou les difficultés de l’adaptation animée
- Hellsing Ultimate ou les difficultés de diffusion d’une œuvre monumentale
- L’humain face au monstre ou face à lui-même ?
- Une banalisation du nazisme ?