[Interview] Emmanuel Soler, créateur de Freaks ON

Les offres françaises SVOD commencent à se multiplier, c’est un fait. Histoire de changer un peu des chroniques, bien que cela reste notre fond de commerce, nous avons décidé de lancer un cycle « Interviews des plateformes de SVOD françaises ». Et quoi de mieux que de commencer par le petit dernier, arrivé dans nos contrées en 2021, à savoir FREAKS ON, dont nous vous relayons les sorties toutes les semaines. C’est Emmanuel Soler, son créateur, qui se plie à l’exercice, et il a pas mal de choses à nous dire, aussi bien sur sa plateforme, que sur la SVOD en général.

Bonne lecture à tous.



Pourriez-vous présenter Freaks On à nos visiteurs ?

E.S : Freaks On, c’est un service de SVOD, qui est thématique, qui se veut être un service de complément aux offres mainstream, que ce soit Netflix, Prime, ou les autres services tels que celui-là. La volonté, c’est d’être une plateforme indépendante, qui soit tournée vers le film de genre, et le film de genre de tout horizon. L’idée c’est d’avoir une offre dans laquelle on peut à la fois trouver des classiques, mais pas forcément des classiques mainstream, c’est-à-dire des classiques de studios ou des grosses licences comme Freddy, mais plutôt d’aller rechercher justement dans les classiques des films qui sont respectés et connus mais auxquels on ne va pas forcément penser tout de suite, par exemple des films comme Vamp (1986) ou des giallos de réalisateurs comme Argento, comme Fulci ou autres.
Et en même temps, c’est d’offrir une possibilité à des producteurs ou distributeurs indépendants, qui font des films de genre en ce moment, de les faire découvrir. L’idée, c’est d’être à 50% source européenne, c’est vrai que c’est un peu difficile. Aussi, là, on a un réseau qui s’est créé par hasard sur des films sud-américains, on a des vraies belles choses qui nous ont été proposées. Et donc voilà, c’est un petit peu cette ambivalence entre le classique et le film indépendant de maintenant, mais l’idée c’est d’être complémentaire par rapport aux offres mainstream et c’est de proposer du cinéma indépendant de toutes façons. Et en même temps, on a une attention particulière pour les jeunes créateurs / réalisateurs, et c’est pour ça qu’il y a beaucoup de courts métrages sur Freaks On. Il y en a un par semaine. Au niveau du catalogue là, on est à 300 titres, l’idée c’est de sortir un long métrage et un court métrage par semaine.


Vous êtes le petit dernier arrivé en France avec comme envie de faire découvrir des films différents, parfois inédits. Comment vous est venue l’idée de créer Freaks On ?

E.S : C’est une vieille idée que j’ai depuis longtemps. Moi je suis producteur pour la télévision, et l’arrivée d’Internet m’a fortement intéressé. J’ai toujours voulu en fait proposer des choses directement pour un public. Donc j’avais deux solutions, soit je faisais du long métrage et je le proposais au public, soit on passait par une plateforme de SVOD. Parce que derrière l’idée de Freaks On d’être un éditeur, de proposer du contenu à des gens, du contenu qui est déjà existant dans le patrimoine mondial, c’est aussi de proposer de la création. C’est pour ça que dès le premier jour de Freaks On, on a nous-même fabriqué des magazines comme Freaks Off qui est un petit magazine de 10 minutes qui fait découvrir les coulisses des grands classiques, ou le programme qu’on fait avec Rurik, qui est un programme auto-promotionnel, mais en fait qui est un vrai programme à lui tout seul vu que je n’ai aucune prise sur ce que dit ou fait Rurik. C’est lui qui est complètement libre de ses choix ou de ce qu’il dit. Donc c’est assez courant que Rurik n’aime pas les films qu’il présente et il le dit. Mais il trouve toujours, car c’est un passionné comme nous, quelque chose de positif à dire sur les films, c’est ça que je trouve intéressant avec lui, c’est que toute œuvre mérite d’être regardée et il y a toujours quelque chose d’intéressant. Évidemment, il y a des films qui sont des vraies daubes, qui n’ont aucun intérêt, mais ça en général on ne les met pas sur la plateforme. Nous est sélectifs.

Donc c’est venu pour moi de l’envie de faire quelque chose dans le cinéma de genre, parce que c’est quelque chose qui m’intéresse depuis très jeune et que le fait de pouvoir le faire était pour moi un moyen d’exprimer cela.



Comme cela a été le cas pour des plateformes de SVOD du genre Outbuster, vous avez choisi de passer par du financement participatif ? Est-ce une obligation aujourd’hui en France pour ce genre d’initiative ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?

E.S : Alors non, aujourd’hui Freaks On a été financé par moi et par d’autres activités de services qu’on a sur une société de production. Avec l’argent qu’on génère, on finance Freaks On, tout simplement. C’est une façon d’amorcer, car de toutes façons, pour commencer ce genre d’initiative, il faut avoir de l’argent. On ne peut pas le faire sans argent. Et le financement participatif, on ne l’a fait que pour une raison, c’était déjà pour tester le marché, identifier les gens qui potentiellement pouvaient être intéressés par nous, par ce qu’on proposait, et en fait d’affiner un petit peu notre offre. Mais ça n’a pas du tout servi à financer Freaks On. Freaks On est une société indépendante qui est financée par une société indépendante. A mon avis, ça ne pourra pas rester comme ça, il faudra forcément que, à un moment donné, on cherche des financements extérieurs pour nous aider à accélérer parce que, avoir 300 titres ou plus, ça coute très très cher. Donc ça ne peut pas se faire par financement participatif.


Comment faites-vous le choix des films qui arrivent sur votre plateforme ? Avez-vous des critères bien précis ?

E.S : Oui et non. Les critères précis sont ceux qui ont été évoqués avant, c’est-à-dire que volontairement on ne va pas aller vers des titres qui sont hypra connus ou qui sont déjà présents soit chez des concurrents, soit sur le mainstream. Et on n’a pas de critères précis, c’est-à-dire que comme on couvre tous les types de cinéma de genre, on ne va pas se dire qu’on veut que des films de zombies, que des films de rape and revenge, des thrillers etc… On essaie d’être disparate sur notre offre, que ça couvre à peu près tous les styles, et après c’est opportuniste parce que le problème de cette activité, c’est que des fois tu veux des titres qui ne sont pas disponibles, donc tu es obligé de te rabattre sur d’autres. Et puis un des critères, c’est que ce soit de qualité, tout simplement. Alors on n’a pas la même sensibilité, donc on est plusieurs à sélectionner les titres, et on regarde tout simplement si les films ont plu, que ce soit en festival, que ce soit sur la presse etc… Juger un film pour nous-même, d’ailleurs c’est ça le problème quand on est passionné, c’est qu’on a envie de mettre un film qui nous plait à nous. Mais le but, ce n’est pas de faire une plateforme pour nous, c’est de faire une plateforme pour les gens. Donc on regarde quand même soit les tendances, soit comment ça a été couvert par la presse. Et après bien évidemment, on a des coups de cœur et, à ce moment-là, on teste.



Comment se passe l’exploitation des films de votre catalogue ? Est-ce qu’ils y restent définitivement une fois qu’ils y rentrent ? Ou alors est-ce qu’ils ne sont là que pour une durée limitée ?

E.S : Non, aucun film sur aucune plateforme ne reste définitivement dans les catalogues, tout simplement parce que les ayants droits ont un droit inaliénable et que ça restera toujours leurs œuvres en premier lieu. Les œuvres appartiennent aux créateurs, même chez Netflix ou ailleurs. Nous, c’est entre 12, 24 ou 36 mois, ça dépend les deals. La plupart du temps c’est 12 mois. Mais ce qu’on fait, comme on a d’excellentes relations avec les ayants droits, qui sont des distributeurs, soit des producteurs, même des fois des réalisateurs directs, si on voit qu’un titre marche bien sur la plateforme, on va demander à le prolonger. De toutes façons, c’est toujours limité dans le temps, mais aussi géographiquement. C’est-à-dire que là, les droits qu’on a, ils sont disponibles en France, en Suisse et en Belgique à 95%. Après il peut y avoir des exceptions selon les titres.


Bien qu’il y ait quelques classiques, comme récemment La Dernière Maison sur la Gauche de Wes Craven, les films que vous proposez sont souvent assez « exotiques » pour beaucoup de monde, n’avez-vous pas peur de « brusquer » les habitudes des gens et, du coup, de vous priver d’un certain public moins curieux ?

E.S : Si, c’est pour ça d’ailleurs que, du coup, au mois de décembre, on a un gros catalogue de 50 titres très classiques qui est arrivé, disponible en VF et en VO, car on savait qu’en France il y avait une difficulté sur la VO, sur la moitié des gens à peu près, et on le retrouve très bien sur les commentaires des réseaux sociaux. L’idée, c’est d’avoir le curseur au bon endroit, c’est-à-dire de brusquer forcément un petit peu parce qu’il ne faut pas avoir peur de regarder un film qui parle en espagnol ou en japonais, parce qu’on peut tomber vraiment sur de très bonnes surprises, et c’est le cas moi je trouve. Je suis très fier de notre catalogue actuel parce qu’il y en a vraiment pour tous les goûts. Il y a des films qui rassurent, où tu as l’impression d’être chez toi, où tu retrouves des jaquettes que tu voyais dans les vidéoclubs où tu rentrais, ou que tu connais parce qu’il y a des youtubeurs qui en parlent. Et en même temps, tu vois des choses un petit peu plus intrigantes, un peu plus nouvelles. Donc oui, c’est un choix un peu risqué, mais on pense que c’est nécessaire d’avoir un regard nouveau, de pas être sur une plateforme où on trouverait que des films qu’on connait, que des choses qui nous sont familières. Donc voilà, c’est un habile équilibre entre les deux à trouver, et ce n’est pas évident, bien sûr.



En plus des films, vous proposez également des programmes « maison », comme les séries d’émissions Rurik Empitche et Freaks Off. Comptez-vous continuer de créer de nouveaux contenus du genre, et si oui, lesquels ?

E.S : Bien sûr qu’on va continuer à faire de nouveaux contenus. On a d’ailleurs un pilote qui va être fait cette semaine sur un nouveau programme que Freaks On va proposer, un nouveau format avec Rurik. Et en fait, les émissions de Rurik rejoignent ce que je disais avant, c’est-à-dire que pour pas justement brusquer les gens, en tout cas pour les aider, les accompagner, leur tenir la main vers le catalogue de Freaks On qui peut faire un petit peu peur, on a eu l’idée de faire ces émissions qui justement permettent de s’approprier un petit peu le film. Enfin, en tout cas, d’être conseillé, d’être guidé sur les choix du catalogue. En 10 minutes, Rurik a expliqué un film et donc te rassure que, c’est bon, tu peux regarder.


N’est-il pas trop difficile de se faire une place face aux mastodontes que sont Netflix et Disney+, bien que vous proposiez un catalogue complémentaire qu’on ne verra sans doute jamais chez eux ?

E.S : Non non. Que ce soit Disney, Netflix, etc., ce n’est pas du tout la même démarche. Ce qu’on fait là n’est pas nouveau, ça a toujours existé. Je veux dire, aux États-Unis, tu as 200 chaines câblées, et pourtant elles vivent toutes. Ici, en France, on vient de connaitre la VOD, mais ce qu’il s’est passé avec le satellite en France, c’est exactement ce qu’il va se passer avec la VOD en ce moment. Tu as du mainstream, t’as des mastodontes qui doivent plaire au plus grand nombre, et donc ils vont faire des choses qui sont plus grand public. Mais il y a tout un public, il y a de la place pour d’autres plateformes plus indépendantes qui vont proposer des choses plus spécialisées. Bien sûr qu’il y a de la place pour ça, c’est sûr et certain et c’est pour ça que je disais que c’était une plateforme de complément parce qu’on a tous besoin d’avoir un Netflix ou un Disney, car y’a des soirs où on ne veut pas se prendre la tête et regarder quelque chose qu’on va dire de « facile ». Et quelques fois, on en a marre, on a envie d’autre chose et je suis sûr que les plateformes indépendantes ont vraiment une raison d’être. Mais comme je dis, ce n’est pas nouveau, ça a toujours existé, que ce soit avec la télévision, le satellite ou l’OTT après.



Depuis quelques temps, les offres SVOD se multiplient en France et nous avons vu arriver des plateformes telles que ShadowZ, Salto ou Outbuster. Comme je disais plus haut, vous êtes les derniers arrivés dans le milieu, est-ce difficile de débuter ? Comment se passe la « cohabitation » ? N’avez-vous pas peur que, à la longue, la multiplication des offres puisse poser problème ?

E.S : Je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait qu’une seule. Et puis il y a tellement de titres… l’offre patrimoniale mondiale dans le cinéma de genre est énorme, colossale. ShadowZ tout seul ne peut pas tout couvrir, donc c’est pas plus mal qu’il y ait deux plateformes, ou trois avec Insomnia. Après, c’est quel va être le ton de chacun, quel va être le catalogue de chacun. C’est ça qui va nous distinguer et va faire qu’on va réussir à cohabiter. De mon côté, ça se passe très bien. On ne les connait pas particulièrement mais on n’a pas de souci avec ça du tout.


Si vous deviez conseiller quelques films de votre catalogue à nos visiteurs pour leur donner envie de s’abonner, quels seraient-ils et pourquoi ?

E.S : Moi je conseillerais de regarder… Alors il y aurait Inbred, American Mary, les Sushi Typhoon pour ceux qui ont envie de délirer, Il Signor Diavolo, Luz : The Flower of Evil, The Forest of the Lost Souls, et puis Laid to Rest, le 1 et le 2. Je sais que le 1 est très difficile à trouver en France et c’est une licence intéressante. Et puis moi, il y a un film qui me fait marrer, c’est Megamuerte, une histoire de groupe de métal qui est maudit. Et puis les courts métrages. Je trouve qu’il y a vraiment des perles : Livraison, Scratch, y’en a plein.


Le mot de la fin ?

E.S : Nous on croit énormément à ce projet, ça nous fait vraiment kiffer de faire ça. On veut continuer à évoluer et à se développer, à proposer toujours des choses… on va avoir de très belles choses-là entre maintenant et le mois de juin. Il y a par exemple un film qui s’appelle Nocturna, qui va être un Freaks On original, dont on aura l’absolue exclusivité en France/Suisse/Belgique, qui va sortir en Février, un film en 2 volets. Donc on va continuer ce genre d’initiative, d’avoir des films en tout droit, c’est un film qu’on va pouvoir proposer même en salles. On va aussi faire des évènements physiques, on a des partenariats qui sont en cours de signature, … Bref, il va y avoir beaucoup de choses sur 2022. Il faut nous suivre, et surtout s’abonner.


E.S : Nous remercions énormément Emmanuel Soler pour le temps qu’il  nous a accordé, ainsi que Sophie Jugnet sans qui cette interview n’aurait pas été possible, et nous espérons que Freaks On continuera d’exister pour proposer des films différents comme on les aime chez DarkSideReviews.

Interview réalisée et mise en page par Cherycok – Janvier 2022
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Auteur : Cherycok

Webmaster et homme à tout faire de DarkSideReviews. Fan de cinéma de manière générale, n'ayant que peu d'atomes crochus avec tous ces blockbusters ricains qui inondent les écrans, préférant se pencher sur le ciné US indé et le cinéma mondial. Aime parfois se détendre devant un bon gros nanar WTF ou un film de zombie parce que souvent, ça repose le cerveau.
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