Titre : Sia Dai / Daughters / เสียดาย
Année : 1996
Durée : 1h48
Origine : Thaïlande
Genre : Drame
Réalisateur : Chatrichalerm Yukol
Acteurs : Johnny Arifone, Sorapong Chatree, Lynn Nussara
Synopsis : Quatre jeunes filles en proie aux difficultés du quotidien tentent de s’évader en expérimentant toutes sortes de drogues. Cette lente descente aux enfers leur permet d’échapper momentanément à la pauvreté et aux problèmes familiaux. Plus dure sera la chute …
Avis de Laurent : Prince Chatrichalerm Yukol est un cinéaste à part dans le paysage cinématographique thaïlandais. Sa redécouverte récente dans un genre très promotionnel pour la monarchie locale (Legend Of Suriyothai en 2001 ou encore King Naresuan en 2007) ferait presque oublier le travail qu’il a auparavant accompli dans la dénonciation des maux qui gangrènent le pays. En effet, l’essentielle de sa filmographie avant les années 2000 est constituée de drames sociaux et réalistes axés sur les thématiques de la prostitution (The Angel – 1974), de la violence (Gunman – 1983), de la misère (The Elephant Keeper – 1987) et de la drogue (Sia Dai – 1996).
Sia Dai a.k.a. Daughters, tourné en 1996, est un drame semi-documentaire qui met en scène quatre jeunes filles qui vont sombrer dans l’univers de la drogue. Cette longue et douloureuse descente aux enfers sera leur seul moyen de s’évader des conditions difficiles qui alimentent leurs existences respectives. Quand l’une subit des violences familiales, les autres doivent supporter une situation incestueuse, un divorce douloureux ou encore la condition de prostituée d’une mère. L’expérimentation de drogues de plus en plus dures va les mettre en relation avec des personnages peu fréquentables : dealers et proxénètes. Le tout sous le regard désabusé de leurs parents.
Dans un style très réaliste, Chatrichalerm Yukol adopte pour Sia Dai des codes empruntés au film-documentaire. Les séquences dans lesquelles les différents protagonistes se confessent au réalisateur se juxtaposent aux scènes de défonces. Dans un pays qui censure dans son cinéma la simple vision d’une cigarette ou encore une arme pointée sur un visage, Chatrichalerm Yukol ose montrer frontalement comment les jeunes utilisent les drogues. Le lien de parenté entre le réalisateur et la famille royale n’est sans aucun doute pas étranger aux libertés inédites prises par le célèbre cinéaste … et c’est tant mieux. Quelques séquences glamour et romantiques (pour l’essentielles tournées en boîte de nuit) viennent tout de même apporter une touche typiquement thaï dans cet univers glauque et claustrophobique.
La réussite de Sia Dai tient en partie dans sa direction d’acteurs qui ose énormément sans sombrer dans le piège de la surenchère dramatique. Le ton est juste, et quelque soit la génération d’acteurs concernée, le pathos facile et ridicule est systématiquement évité. Le rythme est lui aussi correctement maîtrisé malgré quelques scènes répétitives. Les séquences démonstratives dans lesquelles les filles se droguent sont appuyées par des flashbacks bien amenés qui permettent de comprendre leurs gestes suicidaires. Les différents protagonistes sont ensuite interviewés afin d’ajouter cette touche de réalisme qui caractérise parfaitement l’œuvre de Chatrichalerm Yukol.
Au final, Sia Dai symbolise parfaitement le cinéma de Chatrichalerm Yukol d’avant les années 2000. Son statut à part lui permettait alors de coucher sur pellicule tous les maux de la société thaïlandaise à une époque où la santé cinématographique du pays touchait le fond. Aujourd’hui il semble s’affranchir de sa dette envers la famille royale via ses blockbusters patriotiques. Il y aurait presque du Zhang Yimou en lui.
Note : 6/10