Titre : Nuits d’ivresse printanière / Spring Fever / 春风沉醉的晚上
Année : 2009
Durée : 1h55
Origine : Chine / France
Genre : Drame
Réalisateur : Lou Ye
Acteurs : Qin Hao, Tan Zhuo, Jiang Jiaqi, Wu Wei, Chen Sicheng
Synopsis : Nankin, de nos jours, au printemps. La femme de Wang Ping le soupçonne d’infidélité. Elle engage Luo Haitao pour l’espionner et découvre ainsi l’amour que son mari porte à un homme, Jiang Cheng. C’est avec lui que Luo Haitao et Li Jing, sa petite amie, se jettent alors à corps perdu dans une folle équipée amoureuse.
Avis de Laurent : Après son sulfureux Une Jeunesse chinoise, on se demandait jusqu’où pouvait aller Lou Ye. En effet, ce précédent film proposait sont lot de séquences sexuelles et évoquait frontalement les événements de Tien An Men. Rien que ça … inutile de préciser que les autorités et la censure locale n’ont que modérément apprécié la chose. Verdict : 5 années d’interdiction de filmer ! A l’inverse, la critique internationale et festivalière propulsait Lou Ye dans une autre dimension. C’est peu dire que l’enfant terrible de la 6ème génération de cinéastes chinois était attendu au tournant. Cette fois-ci, Nuits d’ivresse printanière (encore une fois coproduit par Sylvain Bursztejn) met en scène un trio amoureux à base d’infidélité et d’homosexualité. Avouez que pour un retour en toute discrétion on ne pouvait pas faire mieux.
Nuits d’ivresse printanière situe son action dans une ville de Nankin aussi grise que déprimante. La femme de Wang Ping soupçonne son mari d’infidélité. C’est avec stupeur qu’elle découvre, par l’intermédiaire d’un détective, que l’amante est en fait un amant. La Chine que dépeint Lou Ye est toujours aussi fascinante. Grise, froide et démoralisante d’extérieure elle devient colorée, moite et enivrante à l’intérieure. Les expériences que vont vivre les amants sont à mille lieue des stéréotypes habituels. L’univers de ces protagonistes est rythmé aussi bien par la froideur des usines textiles que par la chaleur du punk rockabilly ou encore des boîtes à travestis. Comme à son habitude, Lou Ye ne prend aucunes pincettes lorsqu’il s’agit de mettre en scène des séquences sexuelles. Contrairement à la majorité des réalisateurs chinois, l’amour est abordé de front avec des plans torrides présentant de la chair et de la sueur. Mais résumer ce nouveau film de Lou Ye uniquement par ses excès de transgression serait quelque peu réducteur. Même s’il peine à renouveler son style, Lou Ye est juste un grand narrateur capable de jongler sur les genres et les époques. La mise en scène est d’une fluidité déconcertante et elle est magnifiée par un montage discret mais pêchu. Alors qu’Une Jeunesse chinoise semblait avoir stabilisé la mise en scène de Lou Ye avec ses plans millimétrés et ses travellings de folie, Nuits d’ivresse printanière renoue avec un cinéma intuitif filmé caméra à l’épaule comme à la belle époque de ses premières réalisations. L’autre grande qualité de Lou Ye est de savoir diriger ses acteurs comme aucun autre. Le trio amoureux joue juste et naturel … sans tricher lors des scènes clés du film. On n’avait plus vu ça depuis le Happy Together de Wong Kar Wai en 1997. Sauf qu’il y a une réalité qui est tout autre entre la Chine Mainland d’aujourd’hui et le Hong Kong de l’époque.
En définitive, Lou Ye n’en a pas terminé avec les verrous qui empêchent la Chine de s’émanciper. Les sentences sont lourdes mais le cinéaste à la tête dure. Nuits d’ivresse printanière n’est certes pas aussi définitif qu’Une Jeunesse chinoise mais reste une œuvre de référence dans sa propension à vouloir faire voler en éclats les tabous. Espérons simplement que son film puisse être distribué dans son pays (ce ne sont pas les possibilités alternatives qui manquent) car il le mérite amplement.
Note : 8/10