Chow Mo-Wan est maintenant un écrivain de science fiction. Il écrit une œuvre où il s’évade, un lieu imaginaire, 2046, un lieu dont on ne revient jamais. 2046 était également le numéro de la chambre où il avait l’habitude de rencontrer Su Li Zhen, son grand amour, en 1962 à Hong Kong. Fin 1966, il s’installe dans la chambre 2047 et enchaîne les conquêtes, sans vouloir s’attacher.
Avis de Rick :
En 2000, Wong Kar-Wai nous avait livré In The Mood For Love, son œuvre la plus mature. En quelque sorte, la boucle était bouclée, puisque le métrage reprenait des thèmes et décrivaient des personnages parfois similaires à ceux de Nos Années Sauvages, son second film, en 1990. Dans la scène finale de ce dernier, il mettait d’ailleurs en scène Tony Leung Chiu-Wai, dans un rôle ressemblant comme deux gouttes d’eau à celui qu’il joue dans In The Mood for Love. Quatre ans après, le cinéaste revenait avec 2046, une suite de In The Mood for Love. Qu’allait-il donc pouvoir ajouter ? N’allait-il pas risquer là une redite de son œuvre, en sachant que de film en film, il n’aura jamais arrêté de décliner sous toutes ces formes possibles les mêmes thèmes ? Un peu plus de deux heures plus tard, il n’en est rien, 2046 est une continuité de son film précédent, une suite, mais également une œuvre à part, une œuvre magnifique où Wong Kar-Wai filme comme toujours ses actrices avec grâce, et où le sentiment amoureux est au cœur du récit. Wong Kar-Wai reprend ici le personnage de Chow, joué par Tony Leung Chiu-Wai, l’acteur fétiche du cinéaste (il aura joué dans presque tous ces films), après les événements de son film précédent. Chow est seul. Sa femme n’est plus là, et Su Li (Maggie Cheung), la personne qu’il aimait, mariée, n’est plus à ses côtés non plus. Chow est devenu écrivain, et s’évade dans des récits de science fiction. Il se refuse l’amour, il se refuse le droit d’y croire, il préfère vivre dans le souvenir de cette relation qui n’a pas fonctionnée, et qui n’était pas vouée à fonctionner.
2046 traite donc du sentiment amoureux du point de vu du souvenir, un peu à la manière des Cendres du Temps dans un genre totalement différent (le Wu Xia Pian). Pour se faire, Wong Kar-Wai va dépeindre dans son métrage plusieurs époques de Hong Kong, mais également filmer l’univers imaginaire de 2046, l’univers écrit par Chow dans lequel il s’évade. Il nous apparaît comme dépité, malheureux, écrivant des histoires qu’il n’aime pas, flirtant avec des femmes qu’il n’aime pas non plus. C’est à ce moment là qu’il s’installe dans la chambre 2047 d’un petit hôtel et va se mettre à écrire son roman de science fiction, en se mettant lui-même en scène sous les traits d’un Japonais, mettant sur papier ses frustrations, ses souvenirs. Et durant cette écriture, il va faire des rencontres. Beaucoup de rencontres, féminines notamment, ce qui va permettre au réalisateur de retrouver certaines actrices qu’il avait déjà rendu magnifique à l’écran par le passé, comme Faye Wong (Chungking Express) ou Carina Lau (Nos Années Sauvages), mais également de filmer Zhang Ziyi et Gong Li. Mais au fur et à mesure de ses différentes rencontres, de ses histoires d’amour, platoniques ou physiques, Chow n’arrive pas à oublier, chacune de ses relations est vouée à l’échec dés le premier instant. Au fond de son cœur, c’est toujours Su Li Zhen qu’il attend, qu’il veut voir. Pour autant, chaque moment passé avec chacune de ses femmes, il en garde le souvenir, tout cela reste encré au plus profond de lui, et tout cela se retrouve dans 2046, son roman.
Comme à son habitude, le film est avant tout basé sur les émotions liées aux thèmes de l’amour et du souvenir, et Wong Kar-Wai, avec Christopher Doyle à la photographie, livre une œuvre plastique sublime, et ce peu importe l’époque du récit, et même dans le monde imaginaire de 2046. L’ensemble est magnifique et cohérent d’un bout à l’autre, chaque plan semble pensé et permet à la caméra, et donc à l’œil du spectateur, de se focaliser sur les différentes actrices, les conquêtes de Chow, mais également sur certains objets, source des nombreux souvenirs qui le hantent. La scène la plus significative se déroulera dans un taxi, où Chow se rappellera alors de Su Li Zhen. Une scène courte nous permettant de revoir Maggie Cheung, et de faire totalement le lien avec In The Mood for Love. Des petits instants magiques comme ça, le film en a des tas, comme l’importance pour Chow du double rôle joué par Faye Wong, jouant à la fois la seule femme que Chow ne possédera pas, mais également l’androïde de son roman. Umebayashi Shigeru, qui signait déjà le thème principal du précédent long métrage du maître, signe là une partition prenante et magnifique, se mariant à merveille avec les images. Complexe, cohérent, ambitieux, vrai, sensible, 2046 est un nouveau métrage qui a sa place dans la pourtant courte filmographie du réalisateur (seulement 10 longs métrages), sans pour autant en constituer son meilleur film. Tout aussi mature qu’In The Mood for Love, le métrage se révèle pourtant peut-être moins touchant que d’autres œuvres précédentes, comme s’il lui manquait un petit quelque chose pour le rendre plus complet, mais le fan du cinéma de Wong Kar-Wai sera gâté à tous les niveaux.
2046 s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’œuvre de Wong Kar-Wai. Complexe et magnifique, sans doute pas son meilleur film, mais encore un grand cru.
Titre : 2046
Année : 2004
Durée : 2h09
Origine : Hong Kong
Genre : Drame
Réalisateur : Wong Kar-Wai
Acteurs : Tony Leung Chiu-Wai, Zhang Ziyi, Gong Li, Kimura Takuya, Faye Wong, Carina Lau, Chang Chen et Maggie Cheung
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