[Avis] Kala, de Joko Anwar

Titre : Kala / Dead Time: Kala / The Secret

Année : 2007
Durée : 1h41
Origine : Indonésie
Genre : Thriller / Fantastique

Réalisateur : Joko Anwar

Acteurs : Fachry Albar, Ario Bayu, Fahrani, Tipi Jabrik, José Rizal Manua, August Melasz, Arswendi Nasution, Shanty, Sujiwo Tejo, Frans Tumbuan

Synopsis : Dans un pays imaginaire et à une époque mal définie, Janus (Fachry Albar) jeune journaliste souffrant de narcolepsie tente d’exercer son métier. Son quotidien est constitué de meurtres, d’accidents, de révoltes urbaines ainsi que d’affaires de corruption. Alors qu’il enquête sur la découverte de cinq corps calcinés, il fait la rencontre d’Eros (Ario Bayu), policier aussi brillant que chevronné.

Avis de Laurent : Après la découverte sur le tard de Joko Anwar et de son étonnant Pintu Terlarang a.k.a. The Forbidden Door, le cinéma horrifique indonésien tient enfin son cinéaste de référence. En effet, Joko Anwar se démarque de la concurrence locale en proposant un cinéma audacieux et engagé sans pour autant renier ses origines et son folklore. En creusant un peu dans la filmographie du monsieur, on peut s’apercevoir qu’il n’en est pas à son premier coup de maître. En effet, quelques années auparavant, il révolutionna le box-office avec Kala qui est au cinéma indonésien ce qu’Avalon est au cinéma japonais. La comparaison avec le film de Mamoru Oshii n’est pas fortuite car tout comme ce dernier, Joko Anwar s’amuse à perdre ses spectateurs dans un univers et une époque mal définie avec un sens de l’esthétisme travaillé à l’extrême. Mais contrairement à Mamoru Oshii, qui va se singulariser via une profonde réflexion abstraite sur l’existence, Joko Anwar va se recentrer subtilement sur le monde réel en s’amusant à provoquer le spectateur par des analogies à peine voilée du régime indonésien actuel. Cette astuce de situer son récit dans un pays imaginaire va lui permettre de jouer avec la censure et de s’émanciper de tous les tabous qui brident habituellement l’audace des jeunes cinéastes locaux pourtant très dynamiques. Kala centre son récit sur le personnage de Janus, journaliste handicapé par des crises de narcolepsie chroniques. Alors qu’il se fait licencier par son employeur, il s’accroche à son enquête en cours et se retrouve au cœur même d’une série de meurtres inexpliqués. Entre violences policières et corruption généralisée, Janus va découvrir un terrible secret.

Joko Anwar n’est certainement pas un cinéaste comme les autres. Son cinéma subversif est une vraie bouffée d’air frais dans un pays de plus en plus rigide avec ses réalisateurs. En effet, les largesses des années 80s ne sont malheureusement plus d’actualité. À l’époque, la violence et la sexualité transpiraient des films populaires. Aujourd’hui, seuls les réalisateurs les plus malins et culottés arrivent à transgresser les interdits avec plus ou moins de réussite. Pour l’anecdote, Joko Anwar était journaliste au Jakarta Post avant de tâter de la pellicule … cette transposition étonnante de son ancienne profession dans ce film au parti pris évident en dit long sur l’engagement du réalisateur. Par ailleurs, Joko Anwar est probablement l’un des plus grands virtuoses du mélange des genres. Kala en est l’exemple parfait. Le film commence comme un film policier, puis vire rapidement du fantastique à l’horreur pure en introduisant un personnage mythologique fantomatique et inquiétant. La suite alternera romance, action et thriller noir ; le tout sur le ton du pamphlet politique. Difficile d’être plus complet dans cet exercice de style risqué et Joko Anwar, tel un funambule de la caméra, jongle sans complexe sur ces thématiques aventureuses.

Dans la forme, Kala tient toutes ses promesses. Son univers rétro est séduisant et insaisissable. Joko Anwar joue avec les époques avec une réussite étonnante. Le spectateur est sans cesse perdu dans un océan d’anachronismes volontaires. La ville imaginaire dans laquelle se passe l’action est d’une rare beauté … magnifiée par une photographie sépia redoutable rappelant une fois de plus l’œuvre culte de Mamoru Oshii. Les musiques signées Haris Khaseli et Aghi Narottama n’ont rien à envier à un Kenji Kawai des grands soirs et contribuent à tenir l’ensemble cohérent. On pourrait simplement regretter quelques moches effets spéciaux numériques … Le choix de la modestie dans le domaine aurait sans doute été plus approprié car Kala pouvait aisément se passer d’esbroufe inutile. Concernant l’acting, Joko Anwar fait une fois de plus confiance à un Fachry Albar qui jongle aisément avec les genres et on comprend pourquoi il en devient son acteur fétiche. Au diapason avec son metteur en scène, Fachry Albar sait exactement ce que Joko Anwar attend de lui et sa retenue est aux antipodes de son cabotinage permanent dans Pintu Terlarang.

Sans doute destiné uniquement aux initiés de par ses origines exotiques qui limitent son exposition à l’international, Kala n’en est pas moins l’un des tout meilleurs films du genre surfant habilement entre la fiction anticipative et le pamphlet politique intelligent. L’Indonésie nous offre décidément un bon paquet de surprises qui ne demandent qu’à trouver leur public. En tout cas, Joko Anwar est le réalisateur à suivre de très près de ce côté-ci du monde.

Note : 8/10

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Auteur : Laurent

Un des membres les plus anciens de HKmania. N'hésite pas à se délecter aussi bien devant un polar HK nerveux, un film dansant de Bollywood, qu'un vieux bis indonésien des années 80. Aime le cinéma sous toutes ses formes.
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