[Film] Voyage à Tokyo, de Yasujirô Ozu (1953)


Shukishi et Tomi Hirayama rendent visite à leurs enfants, qu’ils ne voient plus depuis qu’ils vivent sur Tokyo. Ils vont rapidement prendre conscience qu’ils ne sont plus vraiment à leur place, sous le toit de ces enfants qui ont tous aujourd’hui fondé une famille.


Avis de Oli :
Plans fixes, caméra posée à hauteur de tatami, il n’y a pas de doute possible, vous êtes bel et bien devant un film de Ozu Yasujirô. Et pas des moindres, puisque VOYAGE A TOKYO fait partie des plus belles réussites de son réalisateur (qui en compte beaucoup), peut être un de ses plus beaux chefs d’œuvre, sans doute son film le plus connu de par le monde.

Cette réputation n’est pas surfaite, et VOYAGE A TOKYO est bien un film bouleversant d’une finesse incroyable. Comme à son habitude, Ozu ne verse pas dans le mélo classique et outrancier, il nous livre ainsi un film plein de retenu et de sobriété : nul besoin d’une musique larmoyante ici pour faire naître l’émotion, non. Les liens entre le spectateur et les personnages se tissent au fur et à mesure que l’histoire progresse, lentement, au gré du voyage de deux personnes âgées à Tokyo, venues non pas pour visiter la capitale mais pour voir leurs enfants. Ceux-ci ont aujourd’hui une vie de famille et des occupations diverses, et ils ne trouveront pas le temps de s’occuper de leurs parents. Ils ne s’apercevront pourtant jamais de leur maladresse, le fils étant ainsi convaincu que ses parents ont passé un séjour très agréable : « ils ont visité Tokyo, dit-il, ils vont pouvoir en parler pendant longtemps ». La personne qui va alors témoigner le plus d’affection aux vieux parents est Noriko, la belle fille, veuve depuis huit ans maintenant. Les traditions ne sont plus ce qu’elles étaient, et les liens du sang ne sont plus toujours les plus forts. Noriko va ainsi, avec beaucoup de simplicité, se dévouer pour rendre le séjour du couple Hirayama le plus convivial possible. Cette affection sincère est à l’opposé de celle un peu plus forcée (et presque calculée) des enfants naturels, et cette contradiction ressurgira tragiquement lorsque la mère tombera malade.

On retrouve devant la caméra d’Ozu quelques habitués, dont bien entendu son acteur fétiche Ryu Chishu, Miyake Kuniko ou encore la sublime Hara Setsuko dans le rôle de Noriko (dont la bonté et la si belle âme vont comme un gant). Des acteurs et actrices magnifiques, dont le jeu ne verse jamais exagérément dans le mélo et les larmes. Ainsi, Ozu n’a filmé que trois scènes où la tristesse s’affiche dans les pleurs : la plus terrible, celle où la vieille Hirayama Tomi exprime pour la première et unique fois sa peine, lorsqu’elle fond en larmes seule, avant de s’endormir. L’émotion est alors palpable, et bouleversante. La douleur finale de Noriko est également saisissante. Hormis ces quelques instants, Ozu préfère jouer avec les non-dits et sa retenue légendaire, et le spectateur averti saura saisir l’émotion quand elle apparaîtra, même furtivement, par le biais d’un regard, d’une remarque ou bien d’un simple sourire. VOYAGE A TOKYO est un film d’une grande finesse, à la portée universelle et intemporelle (choc des générations, éloignement des enfants, décomposition du système familial), que l’on pourrait comparer à NUAGES FLOTTANTS, puisque ces deux superbes films, s’ils n’ont pas véritablement le même thème principal, donnent néanmoins chacun envie d’aimer, et surtout l’envie d’exprimer cet amour. Avant qu’il ne soit trop tard.

LES PLUS LES MOINS
♥ Un film bouleversant
♥ Une jolie sobriété
♥ Les superbes personnages
♥ La mise en scène posée
⊗ …

Ozu réussit une nouvelle fois le tour de force de montrer la lumière qui peut se dégager des gens ordinaires, non pas en la magnifiant, mais en nous faisant prendre conscience que la beauté peut également trouver sa source dans la simplicité.



Titre : Voyage à Tokyo / 東京物語
Année : 1953
Durée : 2h16
Origine : Japon
Genre : Drame
Réalisateur : Yasujirô Ozu
Scénario : Yasujirô Ozu, Kôgo Noda

Acteurs : Chishû Ryû, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Sô Yamamura, Kuniko Miyake, Kyôko Kagawa, Eijirô Tôno, Nobuo Nakamura

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Auteur : Oli

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