[Film] The Red Spectacles, de Mamoru Oshii (1987)


Koichi, un ancien membre de la brigade spéciale des « Kerberos », parvient à s’enfuir du Japon, suite à la dissolution de son groupe, grâce à l’aide de deux de ses camarades qu’il doit laisser derrière lui. Quelques années plus tard il revient dans son pays natal mais découvre que tout a changé, que ce soit les habitudes locales ou les gens…


Avis de Palplathune :
Premier film live réalisé Oshii Mamoru, Red Spectacles est aussi la première incursion cinématographique dans le monde des « Panzer cops », univers créé à l’origine en manga par… Oshii Mamoru ! Il y reviendra en 1991 pour son deuxième film live, Stray Dogs, et en 1998 en tant que scénariste avec Jin Roh réalisé par Okiura Hiroyuki. C’est probablement parce qu’il est dans un univers aussi familier qu’Oshii profite de l’occasion de ce premier long métrage live pour flirter avec l’expérimentation. Car comment qualifier autrement un film qui mélange humour scato, réflexion politique et références théâtrales ?

Ce mélange des genres, particulièrement casse gueule, ne peut d’ailleurs qu’étonner l’amateur d’Oshii habitué de la part du réalisateur Japonais à un ton toujours sérieux (ses détracteurs diront intello-gonflant). On retrouve pourtant dans Red Spectacles les figures de style habituel de son créateur : Les longs moments contemplatifs bercés par la musique de Kawai ou les plages dialoguées dissertant sur la nature humaine sont bien là. Les ton noir et blancs/sépias, l’univers Orwellien, le rapport à la nourriture et la présence d’une femme fantomatique (un ghost ?) rappellent tout particulièrement Avalon. Tout comme pour ce dernier le choix de la photographie est une décision cohérente, pas un simple artifice technique. Cohérent parce qu’en parfaite adéquation avec l’univers sombre et répressif qu’il décrit. Mais aussi parce que, d’un point de vue pratique, cela permet de camoufler le manque de budget du métrage ! C’est particulièrement criant quand on compare la première scène de Red Spectacles (en couleurs) au reste du film (en noir et blanc). Si les panzer cops apparaissent crédibles avec leurs armures impressionnantes, l’environnement autour d’eux (un entrepôt désaffecté) donne un cachet série B trop prononcé et ne permet pas de croire à l’univers décrit. Au contraire donc de ces tons bichromes, louchant sur le sépia, rappelant les films d’Europe de l’Est ou d’URSS et qui permet de transformer (magiquement on serait tenté de dire !) un manque de moyen budgétaire en un monde répressif crédible.

La thématique de Red Spectacles même est difficile à déchiffrer, peut-être plus encore ici que dans n’importe lequel de ses autres films. Le problème vient de savoir si cette difficulté est un choix volontaire d’Oshii ou un aveu d’incompétence… La réponse à cette question est multiple, fonction des spectateurs qui le verront. Car tout comme Avalon (œuvre Oshienne présentant le plus de points communs avec ce premier long métrage), Red Spectacles est un film diviseur, il trouvera certainement d’ardents fans pour le défendre mais aussi des détracteurs très motivés. L’humble critique que je suis est dans une position intermédiaire par rapport à ces deux extrêmes. Car si les thèmes développés par le film s’avèrent intéressants (la fragilité des liens unissant les Hommes entre eux ou à leurs valeurs), son traitement embrouillé semble bien être la faute d’un Oshii encore maladroit dans son expression cinématographique. La comparaison avec ses autres œuvres va dans ce sens. Patlabor 2 et Ghost in the Shell traitent tous deux de sujets ambitieux mais de manière ouverte (réflexion guerre/paix pour le premier, la vie et l’intelligence artificielle pour le second). A côté de ça on a des métrages où toute la compréhension repose sur l’existence d’une clé de lecture : La Bible pour L’Oeuf de l’Ange et Patlabor, le rapport virtuel/réel pour Avalon. Or, ici, les pistes de compréhension sont nombreuses mais sans consistance solide. Que ce soit le twist Brazilien ou la présence féminine fantomatique, aucune ne semble mener nulle part. Ce genre de défaut n’étant jamais présent dans les autres films d’Oshii on peut penser que sa première réalisation live lui a échappé en partie…

Peut être conscient du fait qu’il faisait fausse route, le réalisateur Nippon se laisse aller à des digressions étonnantes par rapport à son style habituel. Il met ainsi en scène toute une séquence de poursuite et d’action comme si elle avait lieu sur une scène de théâtre ! Plus étonnant encore, sont ces séquences comiques basés sur les problèmes gastriques de notre héros qui viennent, régulièrement !, casser l’ambiance du film pour le faire passer dans un univers Wong Jingien du plus mauvais goût. Par son mélange des genres imprévisibles et ses nombreuses pistes de lecture (malheureusement infructueuses), Red Spectacles est parfois qualifié de Lynchien. Ce serait pourtant mal connaître les œuvres et les thématiques de ces deux cinéastes, l’un (Lynch) tourné vers les sensations, le ressenti, l’instinct et l’autre (Oshii) vers la réflexion, l’intellect. Le fait qu’Oshii puisse, dans ce long métrage, être ainsi comparé à un auteur tellement différent, antinomique même, montre bien à quel point Red Spectacles est un échec de la part du réalisateur Japonais. Reste que les échecs d’un grand cinéaste sont souvent plus intéressants que les réussites de réalisateurs moyens.

LES PLUS LES MOINS
♥ L’expérience proposée
♥ Visuellement intéressant
♥ Les panzer cops
⊗ Le manque de budget se voit souvent
⊗ Parfois brouillon

C’est pourquoi, bien que largement imparfait, Red Spectacles demeure une œuvre intéressante, méritant l’effort d’être visionné, ne serait-ce qu’une seule fois !



Titre : The Red Spectacles / 紅い眼鏡
Année : 1987
Durée : 1h56
Origine : Japon
Genre : Film expérimental
Réalisateur : Mamoru Oshii
Scénario : Kazunori Itô, Mamoru Oshii

Acteurs : Shigeru Chiba, Machiko Washio, Hideyuki Tanaka

 Jigoku no banken: akai megane (1987) on IMDb


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Auteur : palplathune

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